Le contrôle de constitutionnalité des actes administratifs: Expérience des conseils d'Etat libanais et français

Le contrôle de constitutionnalité des actes administratifs: Expérience des conseils d'Etat libanais et français
Préparé par: Wassim WEHBE
dea droit public fondamental

Pour rendre justice, les tribunaux sont appelés à appliquer les règles juridiques.

Parmi ces dernières, figure la Constitution comme norme supérieure que les tribunaux doivent prendre en considération en tranchant les litiges.
Si tous les juges sont amenés à appliquer la Constitution, le Conseil d’Etat, lui, a une situation particulière.
En effet, le Conseil d’Etat a pour fonction essentielle de protéger les citoyens contre les abus commis par l’administration.
Il aura également, à apprécier plus souvent que les autres juges la conformité à la Constitution de l’action administrative.
Pour cela, le Conseil d’Etat pourra plus que tous les autres juges, combler les lacunes du système du Contrôle de constitutionnalité. Lorsque le Conseil d’Etat est amené à appliquer la Constitution, la  question suivante se pose: Le Conseil doit-il se limiter aux dispositions de la Constitution ou bien doit-il respecter d’autres règles à valeur constitutionnelle et constituant le bloc de légalité constitutionnelle ? En fait, l’insertion en 1990 du préambule dans la Constitution a élargi le bloc de légalité constitutionnelle et a amené le Conseil d’Etat à utiliser les dispositions de ce préambule pour annuler des actes administratifs inconstitutionnels.
Cependant, ce contrôle de constitutionnalité des actes administratifs est limité. En fait, le Conseil d’Etat ne peut pas contrôler tous les actes administratifs, puisque certains d’eux violent la Constitution du seul fait qu’ils appliquent une loi inconstitutionnelle, mais selon la théorie de l’écran législatif, la loi fait écran entre la Constitution et l’acte contrôlé. Autrement dit, il est interdit au juge administratif de censurer ces actes qui sont ainsi protégés par la loi.
La contestation de la constitutionnalité amène automatiquement le juge à contester la constitutionnalité de la loi, ce qui est interdit au Liban en vertu de l’article 18 de la loi 250/93([1]).
Lorsque l’Administration prend une décision conformément à une loi inconstitutionnelle, la volonté du constituant se trouve violée doublement : d’une part, par les représentants qui ont légiféré une loi inconstitutionnelle, et d’autre part, par l’Administration qui édicte des normes juridiques à caractère réglementaire qui sont aussi contraires à la Constitution.
 La loi s’interpose entre l’acte administratif et la Constitution pour empêcher, non seulement une éventuelle sanction de l’acte attaqué, mais aussi une sanction souhaitable à cette loi inconstitutionnelle([2]).
 Le Conseil d’Etat se trouve ainsi placé devant l’alternative suivante : soit appliquer la loi inconstitutionnelle et par suite rendre l’acte administratif conforme à cette loi, soit écarter l’application de cette loi pour qu’il puisse statuer sur la constitutionnalité de l’acte.

On évoquera dans une première partie l'exercice de contrôle de constitutionnalité des actes administratifs par le Conseil d'Etat, puis dans une deuxième partie les limites de ce contrôle.

Première partie: L'exercice de contrôle de  constitutionnalité des actes administratifs On peut penser que le Liban se présente comme un « Etat Policier » au sens juridique du terme.
 En fait, l’ « Etat de Droit » est instauré au Liban au niveau de l’action de l’administration. Celle-ci, faisant partie du pouvoir exécutif, assure l’exécution des lois et exerce la puissance publique, mais elle n’est pas soustraite au respect du droit.
Par conséquent, le principe de légalité qui domine son statut, est un principe essentiel à l’effectivité de l’Etat de Droit.
 Selon la théorie de la hiérarchie des normes établies par Hans KELSEN, dans sa théorie pure de Droit([3]), tout système de droit est constitué d’un ensemble de normes juridiques, qui s’organisent selon une pyramide hiérarchique.
 En effet, pour être considérée comme valide, une norme doit respecter les conditions de production posées par la norme supérieure. Le droit positif Libanais est organisé selon ce système.
 La légalité est ainsi faite d’un ensemble hiérarchisé de normes. Par conséquent, les actes administratifs émis par l’administration doivent respecter les normes supérieures. Au sommet de celles-ci apparaissent les règles constitutionnelles, qui constituent ce qu’on appelle bloc de légalité constitutionnel (chapitre I) que l’administration doit respecter sous peine d’annulation de ses actes par le juge administratif. Par ailleurs, le juge administratif se réfère aux décisions émises par l’organe qui assure le respect de ces règles, bien entendu, c’est le Conseil constitutionnel  qui a pour mission de faire respecter la hiérarchie des normes et assurer le respect de la Constitution.
 Par suite, la violation par un acte administratif de la chose jugée des  décisions du Conseil constitutionnel constitue dès lors, un cas d’inconstitutionnalité([4]), et celles-ci deviennent une référence pour le juge administratif (chapitre II).

 

Chapitre I: La référence du juge administratif aux règles constitutionnelles écrites
Le juge administratif est le juge de constitutionnalité des actes administratifs..
Il se réfère aux règles constitutionnelles placées au sommet des normes juridiques. Cependant, doit-il se borner à appliquer uniquement un texte écrit de droit positif (section 1) tels les articles de la Constitution, et son préambule, ou bien au contraire étendre sa recherche et appliquer d’autres règles non écrites (section 2), tels les principes généraux de droit et la coutume constitutionnelle.

 

Section 1 : les dispositions de la Constitution
Le Liban présente une originalité d’être régi par une des Constitutions les plus anciennes du monde encore en application, puisqu’elle remonte à 1926([5]).
En effet, le Liban moderne dans ses frontières actuelles a été constitué en Etat unitaire en 1920, au lendemain du démantèlement de l’empire Ottoman, par adhésion de diverses communautés confessionnelles qui composent le peuple libanais.
Ainsi, la « Déclaration du Mandat » adoptée le 24 juillet 1922 par le Conseil de la société des Nations (SDN) imposait à la France, puissance mandataire, l’élaboration d’un statut organique pour le Liban. Cette puissance devait respecter des obligations relatives aux droits des communautés religieuses au Liban([6]).
De même, le Conseil représentatif créé en 1926 et qui a adopté la Constitution de 1926, était formé de représentants élus sur la base de la répartition des sièges entre les communautés.
La Constitution libanaise fut promulguée le 23 mai 1926, confirmant dans les articles 9,10 et 95 les garanties préservées aux communautés. Par conséquent, le confessionnalisme est une des caractéristiques de cette Constitution.
La lutte pour l’indépendance fournit la base d’un consensus entre les libanais, fondé sur les sources de la légitimité de leur Etat. Le pacte national de 1943 est le fruit d’un compromis entre les élites du pays.
Ce pacte tacite consiste à partager les pouvoirs entre les grandes communautés religieuses. Cependant, la guerre éclata en 1975 et ne se termina qu’en 1989, où un nouveau pacte national fut élaboré, mais cette fois ci, il fut écrit et connu sous le nom d’« Entente Nationale de TAEF ».
Il servit de base à la réforme constitutionnelle et arrêta la guerre civile. C’est ainsi que la Constitution de 1926 fut modifiée, mais les articles 9 et 10 restèrent toujours en vigueur, et l’article 95 prévoyant la suppression par étapes du confessionnalisme politique. Pourquoi a t-on évoqué cette petite histoire de la Constitution et de la politique libanaise ? C’est parce que comme écrivait  le doyen VEDEL([7]) « dans ses profondeurs, le régime administratif est le reflet des croyances politiques ». Certes, le régime confessionnel libanais a une grande influence sur le droit administratif.
Le professeur DELVOLVE considère que l’existence de plusieurs communautés se répercute directement sur l’administration libanaise([8]) qui exerce la puissance publique dont les actes sont contrôlés par le juge administratif en cas de violation de la Constitution.
Celle-ci est la source de toutes les compétences qui s’exercent dans l’ordre étatique. Elle détermine les modes de production des normes juridiques subordonnées en habilitant divers organes et en édictant selon certaines procédures. Elle délimite également le contenu de ses normes notamment au regard des libertés publiques et droits fondamentaux. La réforme de 1990 a  conduit au passage de la première République à la deuxième République modifiant ainsi la répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels et les principes de fond et surtout les libertés publiques et les droits fondamentaux. On évoquera en premier lieu la situation avant 1990(A) et dans un deuxila situation lors de la réforme de 1990(B).

 

A- La situation avant 1990
Le «  Grand Liban », proclamé par le général Gouraud en 1920, était appelé à sortir de la gestion qu’assurait le Mandat français, et à consolider son existence au moyen d’une Constitution cohérente et globale. La Constitution de la première République libanaise ainsi promulguée le 23 mai 1926, a instauré un système politique marqué par l’exemple français de la troisième République.
La Constitution eut des incidences considérables en droit administratif, au niveau de la répartition des compétences et sur le fond du droit. En effet, la Constitution distribue les compétences entre les pouvoirs publics constitutionnels. Le pouvoir législatif était composé de deux chambres: le Sénat (art.22)([9]) et la Chambre des députés à laquelle appartient l’initiative des lois (art.18). Le juge administratif ne pouvait pas contrôler la constitutionnalité de ces lois considérées comme des actes purement législatifs([10]) ainsi que les actes dits actes du Parlement concernant la fonction et le règlement intérieur de ce dernier. Le rôle du pouvoir législatif était marginalisé par la pratique des décrets lois pris en vertu de l’article 58([11]) qui faisait du gouvernement l’organe effectif au Liban. Quant au pouvoir exécutif, il était confié au Président de la République qui l’exerce avec l’assistance des ministres nommés et révoqués par lui même (art.53). Il promulgue les lois et en assure l’exécution et dispose à cet effet du pouvoir réglementaire. Il préside le Conseil des ministres qui prend des décisions qui ne sont exécutoires que si elles ont pris en forme des décrets signés par le Président de la République et le ministre compétent([12]). Le Président de la République est non responsable politiquement. En fait, le juge administratif ne contrôle pas tous les actes du pouvoir exécutif, il en soustrait quelques uns. Tels les actes de gouvernement([13]). Le pouvoir judiciaire est protégé par la Constitution (art20). On se pose la question de la compétence du juge administratif sur les actes émanant du pouvoir judiciaire. En fait, la jurisprudence du Conseil d’Etat distingue entre les actes d’organisation du service de la justice dans la mesure où il s’agit d’actes du pouvoir exécutif dont il reconnaît la compétence([14]) et les actes juridictionnels dans la mesure où il s’agit d’actes du pouvoir judiciaire dont il dénie la compétence([15]). La répartition des pouvoirs comme elle est mentionnée dans la Constitution a mené le juge administratif à constater que le régime libanais est basé sur la séparation des pouvoirs([16]). Quant aux principes de fond, ils sont énoncés dans le deuxième chapitre intitulé :" des libanais et de leurs droits et devoirs". Le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques, est bien précisé dans l’article 7 ainsi que l’égalité des libanais devant l’accès aux emplois publics (art12). Les libertés de conscience (art.9), d’enseignement (art10), d’expression, d’association, de presse, et de réunion (art13), et de droit de propriété sont protégés par la loi (art15). En fait, les actes administratifs qui ne respectent pas ces libertés et ces droits, seraient contraires à la Constitution et annulés par le juge. Les arrêts rendus par le Conseil d’Etat qui annulent les actes violant ces principes sont nombreux([17]). Mais le conseil d’Etat a écarté le principe d’égalité au profit d’un autre principe qui consacre l’équilibre communautaire. En effet, le principe d’égalité des citoyens libanais dans l’accès aux emplois publics trouvait une certaine restriction, du fait que cette application était conditionnée par l’article 95 de la Constitution qui reflète le système confessionnel. A plusieurs reprises, le Conseil d’Etat a dû appliquer cet article. Il a considéré que « les nécessités de l’équilibre confessionnel consacrées par l’article 95, imposent que le classement envisagé pour les recrutements par voie de concours soit opéré au sein de chaque communauté »([18]) . L’application de cet article ne faisait que restreindre le droit de l’individu([19]). Le pacte national bien qu’il ait le mérite du pluralisme assurant aux libanais la jouissance des libertés publiques a contribué à alimenter la guerre civile au Liban. Cette situation a conduit les libanais à chercher une autre solution soit le Document d’Entente National signé à TAEF.

 

B- La réforme constitutionnelle de 1990
Si on demande à un libanais de citer les causes des différentes crises politiques et des guerres, il répond : le confessionnalisme politique ! En effet, la guerre civile éclata en 1975. Pour mettre fin à cette guerre, 62 députés se sont réunis à TAEF, suite à l’initiative de 3 pays arabes (l’Arabie Saoudite, l’Algérie, le Maroc), pour signer le « Document d’Entente Nationale »en 1989. En application de ce document, une loi constitutionnelle fut promulguée le 21 septembre 1990, modifiant certains articles de la Constitution de 1926. Ce document n’avait pas seulement pour objet de mettre fin à la guerre, puisqu’il a établi des réformes aux niveaux politique et juridique. Sur le plan politique, un cessez de feu a eu lieu, ainsi l’abolition du confessionnalisme politique avait été l’objectif des ressemblants. Une tentative vers la suppression du confessionnalisme figure dans le Document, le préambule et dans l’article 95 de la Constitution qui considère que sa suppression constitue un but national essentiel dont la réalisation nécessite d’agir selon un plan par étapes. Sur le plan juridique, ce document a été adopté pour régler la paralysie du système politique. En effet, le président KABBANI([20]) considère que le régime parlementaire appliqué après l’indépendance et sur la base du pacte national fait que « le non responsable gouverne et le responsable ne gouverne pas ». Il sous-entend que le Président de la République non responsable politiquement était le chef de l’exécutif, tandis que la majorité parlementaire n’a jamais gouverné. La réforme constitutionnelle de 1990 a transféré la présidence du pouvoir exécutif au Conseil des ministres. Elle a également attribué un titre pour le Premier ministre nommé par le Président de la République en tenant compte des consultations parlementaires qui le lient et dont les résultats sont portés officiellement à sa connaissance (art53-2). La nouvelle distribution des pouvoirs fait que le Parlement vote la question de la confiance au Gouvernement formé par le Premier ministre choisi par cette majorité.
Les actes du Président de la République doivent être contresignés par le Premier ministre et par le ministre intéressé. Pour la validité de ces actes, le Conseil d’Etat considère qu’ils ne peuvent être contresignés par les ministres d’Etat. En effet, la signature exigée par l’article 53 engage la responsabilité politique et administrative du ministre qui contresigne, tandis que les ministres sans portefeuilles (d’Etat, ne peuvent pas être atteints par la responsabilité administrative, martelant le Conseil d’Etat([21]). Le Conseil d’Etat, par une jurisprudence novatrice, mais mesurée, contribue à une interprétation équilibrée d’un système gouvernemental complexe et du régime des pouvoirs publics([22]). Les faits de cette jurisprudence méritent d’être étudiés : par décret du Président de la République, pris sur proposition du Président du conseil des ministres, un ministre avait été muté d’un département ministériel à un autre. Ce décret avait été attaqué devant le Conseil d’Etat pour violation de l’article 53 de la Constitution. Le Conseil a considéré que « les actes que le Président de la République, le Premier ministre ou les membres du Gouvernement accomplissent dans leurs relations réciproques, telle la nomination ou  la démission des membres du Gouvernement ne relèvent pas de la compétence du juge administratif, puisqu’ils font partie des actes de gouvernement….
M. Rolland DRAGO, dans sa note sur cet arrêt([23]), pose la question si le Conseil d’Etat tend à donner la compétence au Conseil constitutionnel pour statuer sur ses actes. Le commentateur constate alors que le Conseil d’Etat répond à cette question en considérant que le Conseil constitutionnel qui a reçu compétence de contrôler la constitutionnalité des lois ne donne pas de ce fait au Conseil d’Etat, juge de légalité des actes administratifs, de contrôler les actes de Gouvernement. Le Conseil d’Etat ne dénie pas sa compétence pour statuer sur ces actes avant de préciser une exception importante : il considère que l’acte de gouvernement est affranchi par nature du respect de la légalité. En fait, il ne lui revient pas de contrôler la légalité interne ni externe de l’acte administratif, sauf si la décision émane d’une autorité manifestement incompétente.  Ensuite, le Conseil est conduit à rechercher l’existence de cette incompétence manifeste. Pour se faire, il se réfère aux textes de la Constitution qui règlent les compétences et posent les règles relatives à l’exercice du pouvoir. Il se trouve en face de l’article 53 et 65 de la Constitution([24]).
Le Conseil a considéré que le changement des portefeuilles ministériels n’était pas prévu dans les deux articles 53 et 65 de la Constitution et que « c’était la procédure de nomination qui devait être suivie », c'est-à-dire celle de l’article 53. Pour savoir si le décret de mutation a respecté la Constitution, le Conseil considère expressément pour la première fois que « le juge administratif peut être amené à apprécier la constitutionnalité d’un décret –qui n’a pas été pris sur la base d’une loi, dès lors que ce contrôle n’exige pas du juge une appréciation sur la validité d’une loi- si l’acte administratif viole de façon directe la Constitution, et à vérifier sa conformité à la Constitution en examinant cette situation comme le ferait le Conseil constitutionnel: c'est-à-dire en appliquant le droit constitutionnel ». Finalement, le Conseil estime que le décret attaqué n’a pas été pris par une autorité manifestement incompétente, mais par une autorité chargée constitutionnellement de prendre une telle mesure. 
Le Conseil d’Etat s’est érigé en juge constitutionnel des actes émanant d'une autorité non législative à plusieurs reprises. En effet, ceci est devenu une jurisprudence à laquelle le Conseil se réfère pour statuer sur la validité d’un acte administratif par rapport à la Constitution.
Il reprend cette jurisprudence après un an dans un arrêt qui a annulé une décision prise par un ministre intérimaire, puisqu’elle était prise contrairement à la Constitution. En fait le décret 2902 /93 a donné l’intérim au ministre d’Etat en cas d’absence du ministre des finances."Cet intérim cesse de plein droit lorsque le titulaire du département vient reprendre la direction de ses services", énonce le Conseil d’Etat. Le ministre intérimaire a pris une décision au moment où le ministre titulaire était en poste au ministère, ce fait a conduit le Conseil d’Etat à annuler cette décision ([25]) . Au niveau des principes de fond, la réforme de 1990 a repris tous les droits fondamentaux et les libertés publiques. Une modification de l’article 95 a renforcé le principe d’égalité affaibli par l’ancien article 95, et supprimé en grande partie le confessionnalisme politique.
Malgré le choc provoqué par cet article, deux remarques méritent d’être évoquées: la première est que cet article n’a pas supprimé la répartition confessionnelle dans toutes les fonctions, celles de la première catégorie demeurent reparties en parité entre les communautés. La deuxième remarque est que la règle de répartition reste appliquée de nos jours au mépris de la Constitution en toute bonne conscience. On remarque aussi que chaque communauté a un pourcentage de poste dans la fonction publique. Quant au juge administratif, il doit se conformer au nouvel article constitutionnel.

 

Section 2 : le préambule ajouté en 1990
Après le dernier amendement constitutionnel de 1990, « un événement constitutionnel radical » s’est produit([26]) : la Constitution libanaise s’est dotée d’un Préambule. En effet, le « Document d’Entente National » est formé de quatre titres : les principes généraux et les réformes, la souveraineté de l’Etat libanais sur l’ensemble de son territoire, la libération du Liban de l’occupation israélienne et finalement les relations libano- syriennes. Ainsi, dans le Préambule qui est formé de 10 alinéas, figurent tous les principes généraux sous forme de 9 alinéas et le dernier concerne l’abolition du confessionnalisme politique. L’ancien conseiller juridique auprès de la Chambre de députés M. MNASSA, définit le Préambule comme « l’une des conséquences d’une expérience nationale vécue, pendant et après la guerre »([27]). En effet, ce préambule adopte tous les principes qui protègent le Liban de toute contestation sur son identité arabe affirmée par l’alinéa et de sa souveraineté (a), ainsi que le partage du pays (al.i). Pour ce qui est des caractéristiques du régime et de la légitimité qui le structure, il est indiqué sans ambiguïté qu’il s’agit d’une « République démocratique parlementaire », fondée sur le respect des libertés publiques (al.c). Les alinéas suivants définissent les fondements institutionnels de la légitimité, le peuple étant présenté comme source de pouvoirs et titulaire de la souveraineté. Le Préambule  précise le mécanisme de fonctionnement du régime, reposant sur le principe de séparation des pouvoirs (al.e). La suppression du confessionnalisme politique est désormais un objectif national (al.h). La question des réfugiés palestiniens qui se trouvent au Liban depuis 1967, est traitée par l’alinéa (i), le Liban proclame souvent le refus d’implanter les palestiniens sur son territoire. Ils ont en fait, le droit de retour dans leur pays.  Cependant, ce qui caractérise ce Préambule est qu’il contient plusieurs références à des engagements internationaux. En fait, la Constitution libanaise n’a jamais contenu de mention relative à un traité ou à un engagement international. « Le Liban est arabe par son identité et son appartenance. Il est membre fondateur et actif de la Ligue des Etats Arabes et engagé par ses pactes; de même qu’il est membre fondateur et actif de l’Organisation des Nations Unies, engagé par ses pactes et par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. L’Etat concrétise ces principes dans tous les champs et domaines sans exception », ce que prévoit l’alinéa (b). Dans cet alinéa, nous partageons l’idée de M. MANSSOURI, qui pose la question de la capacité du juge libanais à intégrer tous ces engagements, vu la pluralité de ceux-ci.  Si on veut savoir si le juge administratif se réfère à ce Préambule, pour annuler un acte administratif pour son inconstitutionnalité, il faut qu’on traite sa valeur juridique.

 

B- La valeur juridique du Préambule
L’étude de la valeur juridique du Préambule est nécessaire afin de savoir si le juge administratif, en contrôlant la légalité des actes de l’administration peut se référer aux dispositions du Préambule ou bien si celles-ci restent des formules générales non insérées dans le droit positif([28]). La question s’était posée en France à propos du Préambule de 1946. Le Professeur CHAPUS([29]) estime que cette question avait reçu de la part des juridictions administratives et judiciaires, la réponse affirmative qui s’imposait à l’évidence, et que ce Préambule avait une valeur constitutionnelle. La question de la valeur juridique du Préambule de 1958 a ainsi, pris la suite de celle de 1946. Le Conseil d’Etat Français a manifesté sa volonté que ce Préambule ne soit pas dissocié du reste de la Constitution([30]). Par suite, le Conseil constitutionnel a suivi le Conseil d’Etat en affirmant à plusieurs reprises la valeur constitutionnelle du Préambule de 1958([31]). Au Liban, le Conseil constitutionnel s’est référé en premier temps, au Préambule de la Constitution de 1990 sans affirmer sa valeur juridique([32]). Il a fallu attendre la décision du 7 août 1996 pour qu’il soit déclaré que « le Préambule de la Constitution fait partie intégrante et inséparable de celle-ci »([33]). Il a également déclaré dans la décision du 12 septembre 1997 que «les principes qui figurent dans le Préambule de la Constitution sont considérés comme partie intégrante de celle-ci ; qu’ils ont la même valeur juridique que les dispositions de la Constitution »([34]). Le Conseil d’Etat s’est référé au Préambule pour confirmer la nature parlementaire de notre régime, consacré par le Préambule, mais sans préciser  sa valeur([35]).
Récemment, le Conseil d’Etat a décidé dans son arrêt concernant la naturalisation des palestiniens, que le fait de donner la nationalité à ces derniers constitue un acte qui viole la Constitution([36]).
En fait, donner la nationalité libanaise aux palestiniens, c’est-à-dire les faire implanter au Liban, et cela  viole l’alinéa (i) du préambule qui refuse l’implantation.
 En effet, le Conseil des ministres a décidé en 1994 de donner la nationalité à certains résidants au Liban dont  40000 palestiniens. Dès le début, cette affaire a pris un caractère confessionnel puisque la Ligue maronite a saisi le Conseil d’Etat demandant l’annulation du décret de naturalisation des palestiniens musulmans. Or, le Conseil d’Etat refusant d'annuler ce décret, a déféré le dossier au ministère de l’Intérieur en précisant que ce département devra le réexaminer en vertu de retirer la nationalité libanaise à ceux qui ne la méritaient pas. Dans cet arrêt, Le Conseil d’Etat a essayé de rester à l’écart des questions confessionnelles et, a dirigé l’Etat pour corriger les vices de ce décret. Finalement, cette question confessionnelle ne s’est pas tranchée dans les portiques du Conseil d’Etat. 
 
Chapitre II : La référence du juge administratif aux règles constitutionnelles non écrites
Le Conseil d’Etat, en tant que juge constitutionnel, ne se contente pas d’appliquer des règles constitutionnelles écrites, mais il cherche à appliquer d’autres qui ne sont pas écrites.
 On traitera, dans un premier temps, les principes généraux du droit (section1) et dans un deuxième temps, la coutume constitutionnelle (section 2).

 

Section 1: Les principes généraux du droit
L’on sait que le juge administratif, pour annuler un acte administratif se réfère aux composants du bloc de légalité composé de la Constitution (règles constitutionnelles), des lois, des principes généraux du droit, des traités et des règlements. Le Conseil d’Etat libanais a fait entrer les principes généraux du droit dans le bloc de légalité dès 1970.
Il est admis que ces principes se situent au niveau des lois. Mais, pourquoi a t-on décidé dans notre étude de placer les principes généraux du droit parmi les normes de référence constitutionnelle auxquelles le juge administratif se réfère pour annuler un acte administratif pour son inconstitutionnalité ? Autrement dit, la valeur de ces principes s’est-elle changée en valeur constitutionnelle ? En France, avant 1958, cette question ne sembla pas utile, puisque le juge administratif ne pouvait pas empêcher une loi d’être contraire à un principe général du droit.
En l’absence d’un contrôle de la constitutionnalité des lois, le fait qu’une loi méconnaît un principe général du droit ayant valeur constitutionnelle, ne faisait en rien obstacle. Depuis 1958, la valeur constitutionnelle de ces principes est remise en cause en raison essentiellement de l’institution des règlements autonomes de l’article 37 de la Constitution([37]).
Au Liban([38]), malgré l’absence de toute distinction entre le domaine de la loi et du règlement, la valeur juridique de ces principes est mise en question. En effet, le Conseil constitutionnel a dépassé l’application de la Constitution et dégagé des normes appelées « principes généraux constitutionnels ». La liste de ces principes ne diffère pas de ceux dégagés par le Conseil d’Etat. Le Conseil constitutionnel dégage presque les mêmes principes en ajoutant d’autres principes concernant des questions qui ne relèvent pas de la compétence du Conseil d’Etat. Après l’attraction de principes généraux du droit dans la sphère constitutionnelle (A), le Conseil d’Etat commence à constitutionnaliser certains principes considérés depuis longtemps comme des principes généraux du droit (B).

 

A- L’attraction de principes généraux du droit dans la sphère constitutionnelle
La politique du Conseil constitutionnel consiste à redéfinir sous forme de principes généraux constitutionnels un certain nombre de principes généraux du droit qui avaient été dégagés et utilisés par le Conseil d’Etat. Le juge  constitutionnel utilise plusieurs expressions en se référant à ces principes, tels « les règles ayant valeur constitutionnelle », « les dispositions et les principes constitutionnels ayant valeur constitutionnelle », « les principes et règles ayant valeur constitutionnelle », « principes constitutionnels et les règles ayant valeur constitutionnelle », « principes généraux ayant valeur constitutionnelle », « principes ayant valeur constitutionnelle », « principes généraux constitutionnels ». Malgré toutes ces expressions, les juristes libanais([39]) sont d’accord pour désigner une seule catégorie: « les principes généraux constitutionnels ». Ainsi, la question qui se pose est de savoir si le juge constitutionnel attire les principes généraux du droit formulés par le juge administratif, leur confère une nouvelle qualification. L’énumération des principes dégagés par le Conseil constitutionnel nous amène à constater qu’il a pris certains principes dégagés historiquement par le Conseil d’ Etat et leur a donné valeur constitutionnelle. Pour la première fois au Liban on peut parler des apports du droit administratif au droit constitutionnel dans le domaine des principes généraux du droit.
Parmi les premiers principes empruntés par le juge constitutionnel figure, le droit de la défense considéré par le Conseil d’Etat comme un principe général de droit([40]). En effet, dès sa 2ème décision, le Conseil constitutionnel a déclaré que l’article 20 de la Constitution contient des principes constitutionnels, dont les droits de la défense([41]). Le principe d’égalité, sous ses différents aspects et notamment l’égalité devant la loi, est utilisé par le Conseil constitutionnel qui leur a donné une valeur constitutionnelle. Ce principe est déjà consacré par le Conseil d’Etat qui considère que ce principe oblige le respect de la loi et son application à tous les citoyens sans distinction « l’égalité entre les individus comme fondement général devant la loi en nécessitant l’égalité entre eux chaque fois qu’ils se trouvent dans les mêmes circonstances »([42]). Le Conseil constitutionnel n’était pas loin de cette définition puisqu'il a considéré que « tous les citoyens appliquent et subissent les mêmes lois »([43]). Il réaffirme sa jurisprudence en considérant que ce principe est l’un des principes généraux ayant valeurs constitutionnelles([44]). Ainsi, le principe d’égalité devant les charges publiques est consacré par le Conseil d’Etat qui a décidé que « les citoyens supportent également les charges imposées par l’administration dans l’intérêt public et jouissent de tous les avantages collectifs »([45]). Le Conseil constitutionnel à son tour, considère ce principe comme principe ayant valeur constitutionnelle. En fait, le Parlement a voté une loi dispensant certaines personnes de la taxe sur la valeur ajoutée. Le Conseil constitutionnel a déclaré que cet article  a violé le principe d’égalité devant les charges publiques qui a une valeur constitutionnelle, et ensuite a  annulé cet article([46]).  Un autre principe que le Conseil constitutionnel vient de consacrer comme principe à valeur constitutionnelle, est celui de la séparation des pouvoirs. Ce principe est également emprunté du Conseil d’Etat. Celui-ci a considéré que le contrôle de la constitutionnalité des lois viole le principe de séparation des pouvoirs et constitue une intervention dans les affaires du pouvoir législatif([47]). Le Conseil constitutionnel a consacré ce principe dans ses décisions([48]). En outre, le Conseil constitutionnel considère que le principe de la continuité des services publics a une valeur constitutionnelle([49]). Ce principe est déjà consacré par le Conseil d’Etat comme un principe général de droit([50]). La question qui se pose est de savoir si le Conseil constitutionnel a la possibilité de dégager des principes généraux non dégagés par le Conseil d’Etat. M. OULD BOUBOUTT écrit dans sa thèse sur l’apport du Conseil constitutionnel français au droit administratif que « le marché des principes généraux du droit évolue d’une situation du monopole au profit du Conseil d’Etat vers une situation de duopole par l’entrée en jeu du Conseil constitutionnel([51]).  La situation au Liban ne s’éloigne pas de celle décrite par M. BOUBOUTT. En effet, le Conseil constitutionnel libanais a dégagé des principes généraux constitutionnels qui lui sont propres, et que le Conseil d’Etat ne conteste pas. Tels le principe de l’indépendance de la justice([52]), le principe d’autonomie des communautés religieuses dans la gestion de leurs affaires, ainsi que le principe de la continuité des services publics religieux([53]). Il a dégagé également le principe d’égalité des droits et d’obligations entre les candidats aux élections([54]), ainsi que celui des élections des conseils municipaux([55]). Vu cette transformation évoquée de certains des principes généraux, comment réagira la haute juridiction administrative ? La politique du Conseil d’Etat se dirige vers la constitutionnalisation de certains principes généraux du droit.

 

B- La constitutionnalisation de certains principes généraux du droit par le Conseil d’Etat
Les principes généraux du droit sont des principes qui touchent directement aux droits fondamentaux et aux libertés publiques protégées par la Constitution. La protection de ces principes constitue le grand souci du Conseil d’Etat. Ce dernier ne se contente pas d’appliquer les principes généraux du droit, mais il s’efforce de les puiser partout où il les trouve([56]). Le plus souvent, le juge administratif s’y réfère sans viser les textes constitutionnels pour marquer que ces principes sont antérieurs à toute loi écrite([57]). De ce fait, sans aucune référence à un texte, il a dégagé les droits de la défense, la liberté de commerce et de l’industrie, la liberté individuelle, la liberté syndicale, le principe de l’enrichissement sans cause, le principe de la continuité des services publics et le principe de la séparation des pouvoirs. La réforme de la Constitution en 1990 a consacré certains de ces principes dans le Préambule. Désormais la liberté de commerce et de l’industrie est protégée par l’alinéa (f), ainsi que le principe de séparation des pouvoirs (al.e) et la liberté d’opinion (al.c). D’autres principes, comme déjà évoqué, sont constitutionnalisés par le Conseil constitutionnel. La politique jurisprudentielle du Conseil d’Etat s’est dessinée progressivement sur le terrain de la transformation des principes généraux du droit en principes constitutionnels. En effet, cette politique s’est dessinée à travers des changements de formulation des arrêts dont l’objectif manifeste est, d’une part, d’opérer une jonction avec les qualifications retenues par le Conseil constitutionnel, et d’autre part, de suivre et de respecter les mutations constitutionnelles de certains articles. Le Conseil d’Etat a constitutionnalisé trois principes dont le principe de continuité des services publics, le droit au recours et les droits de la défense.

 

Section 2 : La coutume constitutionnelle
Le pays des Cèdres est composé de 18 communautés  religieuses dont leur  particularité est à la base d’un système politique appelé « confessionnalisme » qui consiste à distribuer le pouvoir entre les différentes communautés au prorata de leur importance numérique. Cette distribution des pouvoirs est devenue après plusieurs répétitions  une coutume qui s’est renforcée par le Pacte national de 1943 et qui a consacré tacitement l’entente entre toutes les communautés du Liban. La question est de savoir la réaction du juge administratif qui se trouve en face de cette coutume qui a une valeur constitutionnelle (B). Cependant, en prime abord, il faut étudier la conception de cette coutume (A).

 

A- La conception de cette coutume
Le Liban a connu entre 1840 et 1861 les chocs sanglants opposant druzes et maronites. L’intervention des puissances internationales, le régime de double Caïmacam et l’établissement en 1861 du Moutassarifiat  autonome du Mont Liban ont  façonné le Mont Liban dans le cadre d’un moule strictement communautaire. Sa transformation en 1920 en Grand Liban, écrit M. RABBATH([58]) ne pouvait aboutir qu’à consolider sa structure communautaire et à en édifier l’Etat et ses pouvoirs sur une base exclusivement communautaire. De plus, le Conseil représentatif créé en 1926 et qui a adopté la Constitution de 1926 était formé de représentants élus sur la base de la répartition des sièges entre les communautés. Cette Constitution inspirée de la Constitution française de la IIIe République et de la Constitution belge était de type radical. Elle a consacré le régime communautaire surtout dans l’article 95 cité à plusieurs reprises. Chaque pouvoir est traité dans un chapitre, le chapitre II et IV traitent respectivement le pouvoir législatif et exécutif ainsi que leurs compétences, mais toutes ces dispositions écrites sont incomplètes. En effet, elles ne reproduisent pas une règle que la coutume constitutionnelle a consacré, à savoir l’appartenance des chefs des pouvoirs aux communautés suivantes :

-Le Président de la République aux maronites.
-le Président de la Chambre des députés aux chiites.

-Le Premier ministre aux sunnites.
 
Quant au Président de la République, il est notoire qu’avant l’indépendance, le principe constitutionnel conduisant à ce que la présidence revienne de droit aux maronites n’était pas régulièrement appliqué. En fait, sur six Présidents qui se succédèrent entre 1926 et 1943, trois seulement furent maronites. Quant aux présidents de la Chambre des députés et du Conseil des ministres, ils furent sunnites et chiites, respectivement. Le Pacte national de 1943, institué par les artisans de l’indépendance a débouché sur une répartition des plus hautes fonctions de l’Etat. Il a consacré les mêmes règles confessionnelles en ajoutant que les portefeuilles ministériels devaient également être répartis suivant des quotas réservés à chaque communauté. Cet accord a alimenté la guerre civile déclenchée en 1975 et qui ne se termina qu’en 1989 par les accords de TAEF. Ces accords ont confirmé la repartition de ces quatre postes tels qu’ils étaient et ont ajouté un nouveau poste de vice Premier ministre pour les catholiques. Ainsi, quelle sera la décision du juge administratif s’il est saisi pour annuler un acte qui viole la coutume constitutionnelle ?

 

B- Le Conseil d’Etat et la coutume constitutionnelle
En vertu de l’article 53 de la Constitution, le Président de la République nomme le Premier ministre, nomme et révoque également les ministres. En 1988, quand s’achève la présidence d’Amine GEMAYEL et vue l’anarchie régnante dans le pays, les députés ne réussissent pas à s’étendre sur le nom d’un Président successeur au Président GEMAYEL. Ce dernier et à quelques heures de l’expiration de son mandat, désigne le 23 octobre le Général AOUN comme Premier ministre. Le Général AOUN forme un nouveau gouvernement qui compte trois officiers supérieurs chrétiens. A Beyrouth Ouest, le Président sunnite Selim EL HOSS Premier ministre par intérim depuis l’assassinat de l’ancien premier ministre M. Rachid KARAME([59]), maintient un Gouvernement rival de cinq membres. L’on sait que le Général AOUN est un maronite, alors le fait de désigner un Premier ministre maronite viole la coutume constitutionnelle en vertu de laquelle le Premier ministre doit être un Sunnite. Pourtant, le Conseil d’Etat, n’a fait l’objet d’aucune saisine contre le décret signé par le Président de la République. Le cas de non désignation du vice Premier ministre et le cas de non répartition égale des portefeuilles ministériels peuvent-ils constituer un objet de saisine devant le Conseil d’Etat ? Quelle sera donc sa décision ?
A maintes reprises, le Conseil d’Etat a considéré que les actes du Président de la République, du Premier ministre ou des membres du Gouvernement accomplis dans leurs relations réciproques, telle la nomination ou la démission des membres du Gouvernement ne relèvent pas de la compétence du juge administratif puisqu’ils font partie des actes de gouvernement([60]). Le Conseil d’Etat a déclaré que le décret pris par le Président de la République et le Premier ministre concernant un ministre qui avait été muté d’un département ministériel à un autre est un acte de gouvernement qui ne relève pas de la compétence du Conseil. Dans un autre arrêt, il a considéré que les relations entre le Gouvernement et le Président de la République avec le Parlement sont aussi des actes de Gouvernement et par conséquent la dissolution de la Chambre des Députés constitue un de ces actes. A notre avis, l’acte de nomination d’un Premier ministre non sunnite est un acte de gouvernement qui ne relève pas de la compétence du Conseil d’Etat. En effet, si l'on considère que la nomination d’un ministre ou sa mutation constitue un acte de Gouvernement, a fortiori on considère que l’acte de nomination d’un Premier ministre fera parti de ces actes. De plus, cette coutume constitutionnelle n’est pas une règle légale dont le juge administratif-ou autre juge- puisse assurer la sanction, mais une règle politique dont le respect s’impose à toute autorité. Cette coutume concerne l’équilibre entre les diverses communautés religieuses.

 

Deuxieme partie: Les limites de contrôle de constitutionnalité des actes administratifs.
En se référant aux règles constitutionnelles, le Conseil d’Etat poursuit l’objectif de contrôler la constitutionnalité des actes administratifs. Une mission que le juge administratif a affirmé à maintes reprises dans ses arrêts. En effet, le juge administratif est amené à apprécier la constitutionnalité d’un acte administratif,  à condition que cet acte ne soit pas pris sur la base d’une loi et que le contrôle n’exige pas du juge administratif une appréciation sur la validité d’une loi([61]). Le principe est que si aucune loi ne s’interpose entre l’acte administratif et la Constitution, le juge peut contrôler la constitutionnalité de cet acte. En revanche, si une loi sert de fondement à l’acte administratif, et que cette loi est inconstitutionnelle, le juge administratif refusera d’examiner le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de l’acte administratif, puisque ce moyen tend nécessairement à lui faire apprécier la constitutionnalité de la loi. Par conséquent, la loi fait écran entre l’acte administratif et la Constitution, ce qui limitera beaucoup le pouvoir de décision du juge administratif dans l’exercice de son contrôle de constitutionnalité des actes administratifs. A partir du moment où le juge administratif peut statuer sur la constitutionnalité des lois par voie d’exception, le contrôle de constitutionnalité des actes administratifs sera possible. Cependant, l’exercice du contrôle de constitutionnalité des lois par le juge administratif est interdit, limitant ainsi le travail du juge administratif comme juge constitutionnel, puisqu’il n’a pas le droit de contrôler la constitutionnalité de l’acte protégé par la loi inconstitutionnelle. Si le contrôle du Conseil d’Etat est limité par l’interdiction de l’exception d’inconstitutionnalité (chapitre I), l’attitude du Conseil d’Etat  tend vers la recevabilité de l’exception d’inconstitutionnalité (chapitre II).

 

Chapitre I: Un contrôle limité par l’interdiction d’exception d’inconstitutionnalité
L’exception d’inconstitutionnalité peut être définie comme le procédé qui      « consiste à permettre au juge, lorsqu’il a à appliquer à un procès relevant de sa compétence, une loi dont la constitutionnalité lui semble douteuse, de soulever à l’encontre de cette loi, soit d’office, soit à l’initiative des parties, la question préalable de sa constitutionnalité »([62]).   En France, la position du Conseil d’Etat est toujours réaffirmée depuis l’arrêt « Arrighi »([63]), refusant de statuer sur la constitutionnalité d’une loi.
Le contrôle de constitutionnalité des lois par les juges ordinaires existe dans les systèmes anglo-saxons. En France, ce type de contrôle n’existe pas puisque le contrôle de constitutionnalité des lois est centralisé et seule une juridiction spéciale en est chargée([64]). Avant 1993([65]), le texte qui régit le contrôle de constitutionnalité des lois au Liban était l’article 2 du code de procédure civile. Au début([66]), cet article interdisait le contrôle de constitutionnalité des lois par les juridictions ordinaires (section1), puis l'instauration d'un système de type européen a eu lieu(section 2).

 

Section 1 : L’interdiction par l’ancien article 2 du code de procédure civile
L’article 2 du code de procédure civile dispose que « il est interdit à tout tribunal d’apprécier la régularité des actes du pouvoir législatif, soit du point de vue de la constitutionnalité des lois, soit à celui de la conformité des traités diplomatiques aux règles du droit international public. Il est interdit de procéder par voie de disposition réglementaire ».  Le code de procédure civile est appliqué par les juridictions statuant en droit privé : civil, commercial, fiscal… . La question était de savoir si le juge administratif devait appliquer ce code. En fait, la réponse se trouve dans l’article 6 du même code qui dispose que « les règles générales du code de procédure civile doivent être suivies en cas de manquement dans les autres lois et règles procédurales ». Si le code relatif au statut du Conseil d’Etat ne précise pas une procédure particulière applicable devant le juge administratif, ce dernier est tenu d’appliquer la procédure civile. Ainsi, le législateur a voulu par ce texte, interdire aux juridictions ordinaires l’exercice du contrôle de constitutionnalité des lois([67]). Après la remise en question de la constitutionnalité de ce texte par la doctrine (A), une réforme législative autorisant l’exception d’inconstitutionnalité aux juridictions ordinaires (B).

 

A- La question de la constitutionalité de l’ancien article 2 du code de procédure civile
Une grande partie de la doctrine libanaise considérait que l’article 2 du code de procédure civile est inconstitutionnel. La question est de savoir si cette disposition du droit positif, ne se trouve pas en soi, et ab initio entachée d’un vice d’inconstitutionnalité([68]).  Le doyen Georges VEDEL, après consultation d'un juge libanais sur la constitutionnalité de cet article, a considéré que l’article 2 du code de procédure civile est entaché d’un vice d’inconstitutionnalité([69]). Le doyen VEDEL considère que le seul fait que le pouvoir constitué interdit le contrôle de constitutionnalité de ses actes constitue un fait inconstitutionnel.
Ainsi, une grande partie rejoint le point de vue du doyen VEDEL et considère que l’article 2 est inconstitutionnel. Pour M. SLEIMAN, les tribunaux peuvent et doivent opérer ce contrôle([70]). Sachant que la Constitution libanaise est rigide, la norme qui la précède et qui est une loi, doit lui être conforme. La fonction de rendre la justice consiste, justement, en l’application de cette grille que constitue la pyramide des normes([71]). Cependant, le juge ne doit pas s’arrêter à la loi mais remonter jusqu’à la Constitution([72]). Par conséquent, l’argument concernant le non contrôle tiré de l’article 2 devient inopérant, et cet article est contraire à la Constitution. Une autre partie de la doctrine soutient que les hautes juridictions s’abstiennent d’exercer un contrôle de constitutionnalité sur les lois. M. BAZ, qui fut un des partisans de ce bloc, explique les raisons de l’interdiction du contrôle en évoquant le chaos juridique que provoquerait la divergence entre les jurisprudences des hautes cours libanaises([73]). Si une grande partie de la doctrine refuse l’interdiction du contrôle de constitutionnalité, ceci n’aura aucune influence sur les juges ordinaires puisqu’ils ont eux-mêmes refusé d’exercer le contrôle de constitutionnalité sur les lois. Dans ses arrêts, le juge ordinaire s’est replié pour déclarer son incompétence pour statuer sur l’exercice de contrôle de constitutionnalité des lois. Fidèle à l’esprit de la Constitution, le Conseil d’Etat ne s’est pas permis de s’opposer au législateur qu’il considère comme le représentant de la souveraineté nationale([74]). En fait, le Conseil d’Etat ne précise pas les arguments pour lesquels il refuse d’exercer ce contrôle. Dans son premier arrêt déclarant son incompétence de contrôler la constitutionnalité des lois, le Conseil d’Etat a considéré qu’ « il n’est pas possible d’attaquer une loi accordant un droit de servitude à un citoyen, à cause de l’impossibilité d’apprécier la constitutionnalité des lois »([75]). Deux ans plus tard, il considère qu’ « en l’absence de textes permissifs, l’appréciation de la constitutionnalité de la législation constitue une violation de principe de séparation des pouvoirs, consacré par la Constitution libanaise »([76]).
 Pour le doyen CHIHA([77]), le principe de la séparation des pouvoirs ne peut être considéré comme un obstacle au contrôle de la constitutionnalité. La recherche de la règle de droit applicable au litige qui lui est soumis rentre en effet intrinsèquement dans la mission du juge. Il est remarquable que le Conseil d’Etat essaie de rester à l’écart, à chaque fois qu’il s’agit d’un acte rentrant dans le domaine de la loi. En fait, il ne s’appuie pas sur l’article 2 du code de procédure civile, mais considère que le contrôle de constitutionnalité d’une loi est une intervention dans les affaires du Parlement. La Cour de Cassation à son tour, a proclamé que l’examen de la constitutionnalité échappe à tout contrôle juridictionnel([78]). En proclamant ce principe, la cour de cassation aurait pu viser, contrairement au Conseil d’Etat, l’article 2 du code de procédure civile([79]). La querelle sur cet article a duré jusqu’en 1983, suite à laquelle une réforme législative a eu lieu modifiant cet article en autorisant l’exercice du contrôle de constitutionnalité par les juges ordinaires.

 

B- La réforme législative autorisant l’exception d’inconstitutionnalité aux juridictions ordinaires
Le Gouvernement de 1983 avait le choix entre l’attitude de la doctrine et celle des juridictions ordinaires afin de modifier l’article 2 du code de procédure civile.
 Il a été plus convaincu par l’attitude de la doctrine sur cette question. En effet, le code de procédure civile a été reformé et en particulier l’article 2 qui dispose désormais que « les tribunaux sont tenus de respecter le principe de gradation des normes. En cas de divergence entre les traités internationaux et la disposition de la loi ordinaire, priorité est donnée en vue de leur application aux traités.
Il  est interdit aux tribunaux de déclarer l’annulation des actes du pouvoir législatif pour vice de non conformité des lois ordinaires à la Constitution ou aux traités internationaux »([80]). L’interprétation de cet article a amené les juristes à estimer que le législateur a instauré un système de contrôle de constitutionnalité de type américain qui a été accueilli favorablement par la doctrine et la jurisprudence.
On distingue par commodité deux modèles de justice constitutionnelle, le modèle européen et le modèle américain([81]).
Le modèle européen -inventé par KELSEN- se caractérise par un contrôle de constitutionnalité des lois dit « concentré » où une juridiction constitutionnelle placée en dehors de l’organisation juridique dispose du monopole de contrôle de constitutionnalité des lois. Ce modèle existe en France, Allemagne, Autriche, Espagne, Italie et au Portugal.
A la différence de ce modèle, le modèle américain est décentralisé. En effet, la question de constitutionnalité à propos d’un litige concret peut être soulevé devant tous les tribunaux du pays. Le juge ordinaire peut statuer par voie d’exception à l’occasion de l’application d’une loi, à un particulier, et à posteriori, parce que le contrôle de constitutionnalité porte sur une loi déjà promulguée([82]). Ce modèle est connu dans le monde, après la décision de la Cour suprême américaine présidée par John MARSHALL, dans l’affaire MADISON contre MARBURY. La Cour s’est attribuée la compétence du contrôle de constitutionnalité des lois. Elle a jugé que « la question de savoir si une loi contraire à la Constitution peut devenir une règle applicable dans le pays est une question d’intérêt primordial pour les Etats Unis »([83]).
L’article 2 du nouveau code de procédure civile prévoit que les tribunaux doivent respecter le principe de hiérarchie des normes. Ce principe signifie qu’en vue de leur application, la priorité est donnée à la Constitution par rapport aux traités internationaux, et à ces derniers par rapport à la loi ordinaire, et à la loi par rapport au règlement administratif([84]). On remarque que l’article 2 du code de procédure civile a pris les mêmes principes que ceux déclarés par la Cour suprême américaine. La Cour suprême américaine a jugé que « quand deux lois sont en conflit, les tribunaux doivent trancher sur l’application de chacune d’elles. En supposant par exemple, qu’une loi soit en opposition avec la Constitution, et qu’un cas particulier relève aussi bien de la loi que de la Constitution, de sorte que la Cour ait à décider, soit d’appliquer la loi en ignorant la Constitution, soit d’appliquer la Constitution en ignorant la loi, elle devra déterminer quelle est celle des deux règles en conflit qui s’applique au cas particulier. C’est là une tache essentielle du pouvoir judiciaire. Si les tribunaux doivent se référer à la Constitution, et si la Constitution est supérieure à tout acte législatif ordinaire, c’est la Constitution et  non la loi ordinaire qui doit régir le cas auquel toutes deux sont applicables…. ». Par conséquent, les tribunaux doivent écarter la loi qui dérogera la Constitution, à condition de ne pas l’annuler. Ce nouveau système a marqué une attitude positive de la part de la doctrine et de la jurisprudence des juridictions ordinaires.

 

Section 2 : L’instauration d’un système de type européen
La réforme constitutionnelle de 1990 a prévu la création d’un Conseil constitutionnel([85]) chargé de contrôler la constitutionnalité des lois. Cette création est consacrée par l’article 19 de la Constitution qui définit les fonctions du  Conseil et les autorités qui peuvent le saisir([86]). Le régime du Conseil constitutionnel est situé par rapport à celui qui est en vigueur dans les Etats européens. Autrement dit, une juridiction([87]) constitutionnelle unique et spécialisée en matière de contrôle de constitutionnalité dont la mission est de donner immédiatement la vérité constitutionnelle en dehors de toute autre forme de procès. Le système libanais, en s’inspirant du modèle européen, s’oppose au système américain où tout tribunal de droit commun est compétent pour apprécier la constitutionnalité des lois et cette appréciation s’effectue le plus souvent à l’occasion d’un litige privé([88]). Par conséquent, dans ce nouveau système, il est prohibé pour toutes les autres juridictions d’exercer le contrôle de constitutionnalité des lois par voie d’action ou par voie d’exception (A). Est-ce que ce dernier pourra exercer l’exception d’inconstitutionnalité à l’instar du système allemand ? En Allemagne([89]), l’exception d’inconstitutionnalité proprement dite peut être soulevée devant le juge constitutionnel à l’occasion d’un recours individuel pour violation des droits fondamentaux. Or, si aucune juridiction n’exerce le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception,cela consistera des consequences nocives pour l'ordonnencement normative(B).

 

A- La prohibition pour les juges ordinaires d’exercer l’exception d’inconstitutionnalité
L’article 18 de la loi 250/93, relative à la création du Conseil constitutionnel dispose que « le Conseil Constitutionnel contrôle la constitutionnalité des lois et textes ayant force de loi. Nonobstant toute disposition contraire, nulle autre autorité judiciaire ne peut exercer ce contrôle par voie d'action ou d'exception d'inconstitutionnalité ou de violation du principe de la hiérarchie des normes et textes ». Le législateur a voulu par cet article, conférer le monopole de l’exercice de contrôle de constitutionnalité des lois à un seul organe : "le conseil constitutionnel". L’article 18 a interdit l’exercice de contrôler la constitutionnalité à toute juridiction autre que le Conseil constitutionnel. On pourrait se poser la question sur les juridictions visées par cet article. Or, toutes les juridictions judiciaires sont concernées, dont les tribunaux de 1ère instance, les Cours d’appel, la Cour de Cassation ainsi que le Conseil d’Etat. Une autre question se pose: savoir si la loi 250/93 écarte l’application de l’article 2 du code de procédure civile. Selon les règles de base en droit, quand le juge est devant deux textes contradictoires applicables sur une seule affaire, il doit appliquer le texte spécial en écartant le texte général ainsi que la loi postérieure qui abroge la loi antérieure. Le code de procédure civile est le texte général antérieur à la loi spéciale 250/93. L’article 2 du code de procédure civile est abrogé en conséquence par l’article 18 de la loi 250/93. Si on ne veut pas admettre cette interprétation, on peut tirer des enseignements des débats parlementaires sur la loi 250/03([90])-notamment l’article 18-que le législateur voulait que l’article 2 du code de procédure civile soit abrogé. L’ancien ministre de la justice M. Bahij TABBARA qui a préparé ce projet de loi, a considéré que l’article 2 du code de procédure civile était la cause de la querelle entre les juges et les juristes, puisque certains tribunaux considèrent qu’ils ont le droit de s’abstenir d’appliquer la loi contraire à la Constitution([91]). Désormais([92]), le ministre de la justice déclare, qu’en présence du Conseil constitutionnel, aucune juridiction n’aura le droit  de contrôler la constitutionnalité des lois et l’article 18 interdit clairement aux juridictions ordinaires de contrôler la constitutionnalité des lois. L’article 18 interdit également aux juridictions ordinaires l’exercice du contrôle de constitutionnalité par voie d’action. Cette interdiction n’est pas récente. En effet, l’article 2 du code de procédure civile a donné le droit de contrôle de constitutionnalité des lois aux juridictions ordinaires par voie d’exception et non par voie d’action. Il dispose que le droit confié  aux juridictions ordinaires est limité à la mise à l’écart de la loi, sans avoir le droit d’annuler  cette loi.

 

B- Les conséquences nocives pour l'ordonnencement normative
En fait, les accords de TAEF avaient prévu la création du Conseil constitutionnel. La loi relative à cette création ne s’est promulguée qu’en 1993. Entre 1990 et 1993, les juristes ont posé la question de la situation des lois promulguées et l’avenir de l’exception d’inconstitutionnalité exercé par les juridictions ordinaires.
Ces juristes([93]) ont averti que ces interdictions données aux juridictions ordinaires peuvent conduire à un flagrant déni de justice.  La loi 250/93, dite loi de la création du Conseil constitutionnel, est ainsi promulguée.  En établissant cette loi, le législateur a reculé d’un pas. En effet, le principe dit, principe du respect de hiérarchie des normes est partiellement modifié([94]), on en soustrait la contradiction entre une règle constitutionnelle et toute règle inférieure. Dans ce cas, les tribunaux doivent appliquer la règle qui est en contradiction avec la Constitution  et omettre  l’application de la règle constitutionnelle. Ainsi, cette interdiction faite aux juridictions conduit à un déni de justice en droit public libanais. M. FAVOREU dans sa thèse, a défini le déni de justice qui « s’étend de l’impossibilité pour le plaideur d’obtenir confrontation, par un juge, de sa situation aux règles de droit applicables, à la suite d’une défaillance dans l’organisation ou le fonctionnement de l’appareil juridictionnel »([95]). Ainsi, dénier la justice, ne peut être que le fait d’un juge, puisque, au Liban c’est le juge qui, seul, rend la justice. Il y a défaillance lorsque le justiciable ne peut trouver dans l’appareil juridictionnel existant le moyen de faire valoir son droit([96]). On propose l’hypothèse suivante : le justiciable n’a pas le droit de saisir le Conseil constitutionnel, et le juge ordinaire n’a pas le droit de contrôler la constitutionnalité des lois. Ainsi, lorsque le justiciable soulève devant une juridiction l’inconstitutionnalité d’une loi, et ne trouve pas le moyen juridique pour demander au juge ordinaire d’y écarter, le juge dénie la justice dans ce cas.  Par conséquent, le juge va appliquer une règle contraire à la Constitution, et va juger contrairement à la Constitution. Ceci, conduit donc à un déni de justice.

 

Chapitre II: Vers la recevabilité d’une exception d’inconstitutionnalité
La prohibition pour les juges ordinaires d’exercer le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception a fait un choc dans le monde juridique. Ce nouvel aménagement est en recul par rapport à celui qui, auparavant, donnait aux individus à l’occasion d’une action en justice, le droit de demander à ce que les dispositions d’une loi contraires à la Constitution ne soient pas appliquées en vertu du principe du respect de hiérarchie des normes([97]). Le monde juridique en général a refusé l’idée de re-interdire l’exception d’inconstitutionnalité (section1). Ce refus va se développer pendant huit ans pour se transformer en une rébellion jurisprudentielle faite par le Conseil d’Etat qui a finalement mis à l’écart une loi inconstitutionnelle (section 2). 

 

Section 1: Le refus de l’interdiction de l’exception d’inconstitutionnalité
Après l’interdiction en 1933 et l’autorisation en 1983 de l’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité des lois par les juges ordinaires, le législateur a interdit finalement cet exercice par l’article 18 de la loi 250/93.  Le contenu de cet article ne se différencie pas de l’ancien article 2 du code de procédure civile. Ils adoptent en fait le même principe. Par conséquent, la question de la constitutionnalité de cet article est remise en question (A). L’application de cet article  a partagé les avis des juristes (B).

 

A- L’inconstitutionnalité de l’interdiction de l’exception d’inconstitutionnalité
Le législateur libanais n’a pas pris en considération tous les avis donnés par les grands juristes français([98]) et les thèses présentées par les grands professeurs libanais([99]) sur l’inconstitutionnalité de l’interdiction d’exception d’inconstitutionnalité. En effet, il n’a pas hésité à légiférer la loi 250/93 qui interdit le contrôle de constitutionnalité de ses actes par les juges ordinaires. Ce fait constitue en lui-même un acte inconstitutionnel. Le texte adopté par le législateur libanais est la loi 250/93. C’est un texte spécial qui organise le contrôle de constitutionnalité des lois au Liban([100]). Le législateur interdit aux juridictions de contrôler la constitutionnalité de ses actes. En réalité, n’est-il pas inconstitutionnel que le pouvoir législatif édicte des normes dans le but de se protéger d’un éventuel contrôle de constitutionnalité([101]) ?  Le doyen VEDEL a considéré, lors de son avis sur l’interdiction du contrôle de constitutionnalité des lois au Liban par le législateur, que cette interdiction doit être régie par un texte constitutionnel. Il estime que  « L’interdiction faite aux tribunaux ordinaires d’exercer tout contrôle de constitutionnalité doit émaner du pouvoir constituant par la voie d’une loi constitutionnelle et non du pouvoir constitué législatif »([102]). Or, la seule disposition constitutionnelle traitant la constitutionnalité des lois au Liban est l’article 19. La question qui se pose est de savoir si l’article 19 de la Constitution donne quelques éléments en la matière. En effet, l’article 19 de la constitution dispose qu’ « un Conseil Constitutionnel sera institué pour contrôler la constitutionnalité des lois et statuer sur les conflits et pourvois relatifs aux élections présidentielles et parlementaires. Le droit de saisir le Conseil pour le contrôle de la constitutionnalité des lois appartient au Président de la République, au Président de la Chambre des députés, au Président du Conseil des ministres ou à dix membres de la Chambre des députés, ainsi qu’aux chefs des communautés reconnues légalement en ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la liberté de conscience, l’exercice des cultes religieux et la liberté de l’enseignement religieux. Les règles concernant l’organisation du Conseil, son fonctionnement, sa composition et sa saisine seront fixées par une loi ». La mention à l’organe qui contrôle la constitutionnalité des lois est explicite : le Conseil constitutionnel. Cet article ne  réserve pas à ce dernier l’exclusivité de la compétence de contrôle de constitutionnalité des lois et ne l’interdit pas aux autres juridictions. Par conséquent, l’interdiction du contrôle de constitutionnalité doit être mentionnée dans un texte constitutionnel puisque l’organe qui a donné la compétence au Conseil constitutionnel doit également l’interdire aux autres organes.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante sur la question des droits de la défense. En effet, dans sa deuxième décision([103]), le Conseil a considéré le droit de la défense comme un droit essentiel ayant une valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel constate la valeur constitutionnelle de l’article 20([104]) de la Constitution qui donne mission aux lois d’assurer aux juges et aux justiciables les garanties indispensables. Or, l’article 18 de la loi 250/93 prévoit l’abrogation de la faculté donnée aux juridictions ordinaires de contrôler la constitutionnalité des lois par voie d’exception. Ce contrôle constitue sûrement une garantie fondamentale pour les justiciables puisqu’on ne peut pas priver les citoyens de cette garantie mentionnée dans la Constitution. De plus, M. ABOU RJEILY considère que l’interdiction faite aux tribunaux ordinaires d’exercer ce contrôle est sans doute une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire([105]). Cette indépendance est protégée par la Constitution, comme l’a considéré le Conseil constitutionnel([106]): « l’indépendance de la justice consacrée par la Constitution est considérée comme un principe ayant valeur constitutionnelle. L’indépendance de la justice ne se réalise pas si l’indépendance du juge n’est pas assurée par les garanties nécessaires dont, le droit de défense qui a valeur constitutionnelle et le droit au recours au cas où il est passible de mesures disciplinaires ». Ajoutons que l’article 18 qui prive les citoyens d’une garantie fondamentale, ne mentionne pas que cette prérogative sera confiée à un autre organe. Ceci est constitutif d’inconstitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel ([107])a annulé une loi puisqu’elle abroge une autre contenant des garanties sans prévoir son remplacement par un texte présentant des garanties supplémentaires. La loi 250/93 dispose dans l’article 33 que « toutes dispositions contraires à celles de la présente loi seront réputées nulles et non avenues ». Le législateur par ce texte,  a abrogé l’article 2 du code de procédure civile mais il n’a pas prévu son remplacement par un texte présentant le contrôle de constitutionnalité confié aux citoyens. Bien entendu, on ne peut pas considérer la saisine du Conseil constitutionnel comme une garantie pour les citoyens puisque ceux–ci n’ont pas le droit de saisir le Conseil constitutionnel([108]).

 

B- La réaction de la doctrine
La doctrine libanaise (juges et juristes, enseignants et avocats) n’était pas entièrement contre l’interdiction du contrôle de constitutionnalité des lois par les juges ordinaires. En fait, une minorité de la doctrine considère que l’article 18 de la loi 250/93 a mis fin à la querelle au  sujet de l’article 2 du code de procédure civile. Le professeur Bahij TABBARA qui était le ministre de la justice dans le Gouvernement et qui a préparé le projet de la loi 250/93, considère que l’article 18 de cette loi laisse les juridictions ordinaires penser qu’elles ont le droit d’exercer le contrôle de constitutionnalité. Pour cela, on a mis cet article pour confirmer que le seul acteur qui exerce ce contrôle est le Conseil constitutionnel([109]). Selon M. TABBARA, cette exclusivité donnée au Conseil consiste à empêcher la pluralité des avis.
Selon M.  Emile  NAJEM avocat à la cour, l’interdiction du contrôle  de constitutionnalité pour les juges ordinaires évite les divergences de jurisprudence et ses risques([110]). Ceux-ci se concrétisent, lorsque les juridictions ordinaires adoptent des principes contradictoires à ceux adoptés par le Conseil constitutionnel. Mais à notre avis, cette divergence entre le Conseil constitutionnel et les juridictions ordinaires est difficile à concrétiser aujourd’hui pour deux raisons.  La première raison est que la plupart des membres du Conseil constitutionnel viennent des juridictions ordinaires([111]), et ils les réintègrent après six ans, il sera donc difficile d’imaginer que ces juges adopteront des principes différents de ceux, adoptés par le Conseil constitutionnel dont ils faisaient partie. La deuxième est que l’article 52 de la loi 243/200 dispose que « les décisions du Conseil Constitutionnel ont l'autorité et la force de la chose jugée, et s'imposent à toutes les autorités publiques, aux instances judiciaires et administratives et sont publiées au Journal Officiel », cela signifie que les juridictions administratives et judiciaires sont tenues de respecter l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel. Par conséquent, cette attribution d’une autorité de la chose jugée aux décisions du Conseil constitutionnel évitera des jurisprudences divergentes entre le Conseil constitutionnel et les autres juridictions.  Pour l’ancien Président du Conseil d’Etat libanais M. SAADALAH AL KHOURY, l’article 18 de la loi 250/93 et l’article 2 du code de procédure civile ont le même contenu([112]). Cela veut dire que M. SAADALAH  ne reconnaît pas le droit d’exercer un tel contrôle de constitutionnalité par les juridictions ordinaires. En effet, il considère que « l’interdiction faite à ceux-ci en vertu de l’article 2 du code de procédure civile, de déclarer l’annulation des actes du pouvoir législatif pour vice de non-conformité des lois à la Constitution, constitue aussi, une interdiction d’exercice du contrôle de constitutionnalité des lois »([113]) . Les juristes refusant l’interdiction de l’exception d’inconstitutionnalité ne sont pas restés immobiles. Ils ont critiqué cette interdiction à chaque occasion. Dans son manuel, M. Al HAAJAR([114]), conteste l’article 18 de la loi 250/93 et prévient des conséquences de cette interdiction qui amène les juridictions ordinaires à omettre les règles constitutionnelles au profit d’autres règles inférieures.  M. SLEIMAN ([115]) considère que l’interdiction aux juridictions de contrôler la constitutionnalité des lois peut amener à un  système de contrôle de constitutionnalité inefficace. Le conseiller d’Etat Khalil ABOU RJEILY, estime que l’interdiction aux juges ordinaires d’exercer une exception d’inconstitutionnalité conduit à un déni de justice([116]). Ce juge estime, à son tour que l’article 18 de la loi 250/93, est inconstitutionnel. De plus, cet article est en contradiction avec l’article 68 du code de procédure civile qui dispose que « les tribunaux sont compétents pour connaître des exceptions et moyens de défense qui lui sont présentés (par les parties) à l’exception de ceux qui soulèvent la question de compétence exclusive d’une autre juridiction ». En effet, la question de l’examen de la constitutionnalité d’une loi par voie d’exception ne rentre pas dans la compétence du Conseil constitutionnel. Cette voie doit rester en conséquence, possible en vertu du principe que le juge de l’action est le juge de l’exception([117]). Les juristes, ASSAf, MANSSOURI et MOUANNES ([118]) ont la  même position que celle de M. ABOU RJEILY. La question qui se pose est de savoir si les juridictions ordinaires peuvent passer outre l’article 18 de la loi 250/93 et appliquer un contrôle de constitutionnalité des lois ? La réponse à cette question se trouve dans les articles des juges qui ont traité  cette question. Le conseiller d’Etat SLEIMAN, trouve que le juge qui  prête serment sur le respect de la loi et la Constitution, doit assurer la conformité de toutes les règles juridiques à la norme fondamentale qu’est la Constitution([119]). M. ABOU RJEILY à son tour invite ses collègues (les conseillers d’Etat et les juges ordinaires), ainsi que les avocats à ne pas hésiter à trancher les exceptions d’inconstitutionnalité des lois qui leur sont présentées. Ils leur demandent également de passer outre l’interdiction mentionnée dans l’article 18 de la loi 250/93([120]). L’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité constitue l’une des missions du juge ordinaire([121]). Le Conseil d’Etat a réagit positivement avec les appels des juges et des autres juristes. En effet, le Conseil d’Etat a inauguré l’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité([122]). On peut qualifier cette action du Conseil d’Etat comme une ébauche de rébellion jurisprudentielle afin de résoudre le problème des lois inconstitutionnelles promulguées.

 

Section 2: Une rébellion jurisprudentielle
Le système lacunaire du contrôle de constitutionnalité des lois a exigé l’intervention du Conseil d’Etat comme juge constitutionnel. En effet, le Conseil d’Etat dont deux juges étaient anciens membres au Conseil constitutionnel([123]), n’a pas déçu la doctrine qui soutient l’exercice de l’exception d’inconstitutionnalité. Ainsi, tous les outils d’une rébellion contre le législateur sont désormais prêts : avec le soutien des juristes, même de certains juges ainsi que les arguments pour exercer le contrôle de constitutionnalité. Cette rébellion est finalement couronnée par les deux arrêts du Conseil d’Etat (GHOSN et MOAWAD)([124].En fait, ce dernier a exercé pour la première fois une exception d’inconstitutionnalité en écartant l’application de deux lois inconstitutionnelles en vigueur (A). Après ces deux arrêts, l’avenir de l’exception d’inconstitutionnalité est remise en question (B).

 

A- La mise à l’écart des lois inconstitutionnelles promulguées
En 1968, le Conseil d’Etat a déclaré son incompétence pour contrôler la constitutionnalité des lois([125]))La loi attaquée était celle de  54/65 et notamment l’article 13. Cet article dispose  que « les décisions de la haute commission de discipline ne peuvent être objet de révision, y compris l’annulation pour excès de pouvoir ou la demande d’indemnisation par le biais du recours de pleine juridiction ». L’administration a continué de prendre des décisions contre les fonctionnaires à travers la haute commission de discipline. Les fonctionnaires n’avaient pas le droit de contester les décisions de la haute commission. Le Conseil d’Etat a écarté l’application de l’article 13 de la loi 54/65, puisque ce dernier ressemble à l’article 64 de la loi 227/2000 annulé par le Conseil constitutionnel en 2000([126]). En effet, l’article 64 de la loi 227/2000 prévoit que « les décisions disciplinaires rendues par le Conseil Supérieur de la Magistrature ne peuvent être objet d’un recours, y compris d’un pourvoi en cassation ». Cet article comporte deux paragraphes contradictoires dans le sens et dans l’esprit. Le premier a consacré le droit au recours à tous les fonctionnaires devant le Conseil d’Etat. Le second est venu s’y opposer en avançant que les mesures disciplinaires prises par le Conseil Suprême de la Magistrature ne sont soumises à aucun recours, y compris le recours du pourvoi en cassation. Ceci prive les juges judiciaires de cette garantie principale qu’est le droit d’ester en justice, c’est-à-dire du droit de recours par voie de cassation contre les décisions prises par le Conseil Supérieur de la Magistrature comme étant Conseil de discipline des juges. Dès lors, le droit au recours en justice est un droit constitutionnel fondamental, voire un principe général à valeur constitutionnelle. En conséquence, il appartient à toute personne, juge ou fonctionnaire, de bénéficier du droit au recours en cassation, même si un texte législatif décide le contraire, car ledit texte serait considéré comme contraire à ce principe constitutionnel qui est le droit d’ester en justice([127]). L’article 13 de la loi 54/65 interdit en fait le recours contre la haute commission de discipline([128]). En comparant ces Conseils (Conseil de discipline et Conseil disciplinaire des juges) on remarque que le premier est symétrique dans son accommodation au deuxième. En fait,  les deux Conseils sont des assemblées administratives à qualité juridique qui prennent des décisions juridiques dans le domaine de discipline, relatives aux fonctionnaires. On ne peut donc admettre la constitutionnalité du droit de cassation contre les décisions de l’une tout en refusant le droit de symétrie concernant les décisions de l’autre([129]). Par conséquent, le contenu de l’article 13 de la loi 54/65 est analogue au contenu de l’article 64 de la loi 227/200. Les deux articles violent un droit constitutionnel essentiel qu’est le droit au recours des fonctionnaires contre les décisions de l’Administration.   Finalement, le Conseil d’Etat a écarté l’application de cet article pour son inconstitutionnalité. Le Conseil d'Etat a utilisé les mêmes arguments dans l'arrêt MOAWAD pour écarter l'application de l'article 142 de la loi 17/90. Ainsi, le Conseil d’Etat pourra contrôler la constitutionnalité de l’acte administratif, sans aucun obstacle. Ceci implique l’abandon par le Conseil d’Etat de la théorie de l’ « écran législatif ».
L’abandon de cette théorie prendra peut être son chemin en France surtout après l’abandon de la théorie « traité écran » par le Conseil d’Etat français. La logique  de la hiérarchie des normes veut dire que la suprématie de la Constitution aurait impliqué l’applicabilité prioritaire de la norme constitutionnelle en présence d’une  norme législative contraire. Ainsi, la même logique a poussé le Conseil d’Etat français à se reconnaître compétent pour contrôler la conventionalité des actes administratifs et à écarter l’application de la loi contraire au traité. A fortiori, il aurait dû appliquer le même raisonnement lorsqu’il s’agit d’une norme supérieure au traité, c’est-à-dire la Constitution vis-à-vis de la loi([130]). Or, si certains arrêts récents du Conseil d’Etat français pourraient laisser penser que la théorie de l’«écran législatif » serait en passe d’être abandonnée([131]), cette analyse se heurte toute-fois aux commentaires autorisés des membres du Conseil d’Etat qui n’ont pas apparemment souhaité s’engager sur cette voie : « parmi les actes adoptés par les assemblées elles-mêmes figurent au premier rang les lois, qui, adoptées exactement dans l’exercice du pouvoir législatif, ne peuvent être contrôlées par le juge administratif, non plus que par le juge judiciaire, ni par voie d’action ni par voie d’exception. En particulier l’exception d’inconstitutionnalité n’a jamais prospéré devant les juridictions de droit commun »([132]). Par conséquent, l’abandon du « traité écran » apparaît dès lors comme le chaînon manquant autorisant désormais le contrôle de la conformité des lois à la Constitution par voie d’exception([133]).
Le Conseil d’Etat libanais n’a pas exercé l’exception d’inconstitutionnalité d’une manière directe, il a procédé avec  prudence.

 

B- L’avenir de l’exception d’inconstitutionnalité
En acceptant de contrôler la constitutionnalité des lois par voie d’exception, le contrôle de constitutionnalité des actes administratifs ne sera jamais limité. Tant que le juge administratif peut statuer sur la constitutionnalité d’une loi, il peut exercer normalement ses fonctions comme juge constitutionnel. Si le Conseil constitutionnel ne peut pas contrôler les lois promulguées, le contrôle par le juge administratif complète le travail du Conseil constitutionnel. La contradiction interne qui habite le système juridique libanais se manifeste d’une façon patente lorsque la norme suprême (la Constitution), se trouve violée, alors qu’il n’y a aucun juge compétent pour la protéger. Si le Conseil constitutionnel ne s’est pas saisi d’une loi portant atteinte à la Constitution, qui pourra contrôler la constitutionnalité de cette loi ? Seules les juridictions ordinaires peuvent compléter le travail du Conseil constitutionnel. En effet, ce sont eux qui peuvent déclarer l’inconstitutionnalité d’une loi qui n’avait pas été soumise au Conseil constitutionnel. Le Conseil d’Etat sera le juge le plus capable de compléter ce travail puisqu’il aura à apprécier plus souvent que les autres juges, la conformité à la Constitution de l’action administrative(2). C’est lui qui redonnera aux citoyens la garantie fondamentale privée par l’article 18 de la loi 250/93. De plus, si le juge administratif rencontre, en contrôlant la constitutionnalité d’un acte administratif, une loi qui viole une même règle constitutionnelle annulée par le Conseil constitutionnel, quelle sera sa position ? Certes, en complétant ce que le Conseil constitutionnel a  décidé, il devra écarter l’application de cette loi([134]).
Le complément par le Conseil d’Etat du travail du Conseil constitutionnel se traduit par une bonne exécution des décisions du Conseil constitutionnel. Cette exécution est comme l’a définie M. DRAGO, « l’ensemble des mécanismes de procédures assurant la mise en œuvre d’une décision juridictionnelle ou non, par ses destinataires, en fonction de l’autorité de celle-ci, afin d’assurer l’effectivité de cette décision »([135]). Le terme « effet » signifie l’influence d’une décision, juridictionnelle ou non sur le fond du droit, l’Etat de droit, le contenu des décisions d’ordre publiques([136]). En fait, l’influence de la décision 5/2000 du Conseil constitutionnel se voit bien dans les deux arrêts du Conseil d’Etat de l’ambassadeur GHOSN et du militaire MOAWAD. Le Président KABBANI considère que « le Conseil d’Etat, et pour une bonne application des décisions du Conseil constitutionnel, ne doit pas attendre pour que le législateur tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel et modifie la loi qui viole les principes constitutionnels »([137]). En effet, si le Conseil d’Etat laisse au seul législateur le soin de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, cela aboutira à la paralysie des décisions de ce dernier si le législateur ne modifie pas les lois qui violent des règles adoptées par le Conseil constitutionnel. Dans ce cas, la mise en œuvre de la volonté du peuple souverain, exprimée dans les dispositions constitutionnelles se trouve au mieux suspendue, si ce n’est contredite par les actes législatifs qui ont échappé à un contrôle de constitutionnalité : une telle situation empêche la soumission des institutions étatiques adoptées par le pouvoir constituant, et s’oppose à la réalisation du régime juridique habituellement désigné par l’expression « Etat de droit ».
De plus, le Conseil d’Etat a émis un avertissement aux pouvoirs politique et judiciaire pour ne pas détourner les décisions du Conseil constitutionnel([138]). Cet avertissement s’adresse surtout au pouvoir législatif qui ne doit pas légiférer des lois non conformes  aux principes adoptés par le Conseil constitutionnel. Par conséquent, c’est le Conseil d’Etat qui prend le relais, écarte les lois qui dérogent aux règles constitutionnelles, surtout celles adoptées par les décisions de ce dernier.  Dans le système juridictionnel français, la question de l’invocation d’une exception d’inconstitutionnalité devant le juge administratif se heurte à une tradition jurisprudentielle([139]), et non à un texte législatif comme le cas libanais. Depuis son arrêt Arrighi, le Conseil d’Etat français a refusé de contrôler la constitutionnalité des lois. Ses arrêts reproduisent tous, les mêmes formules « considérant qu’en droit public français, ce moyen n’est de nature à être discuté devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux »([140]). Il résulte de cette situation, que certaines lois inconstitutionnelles demeurent en vigueur. Même après la création du Conseil constitutionnel, le problème des lois inconstitutionnelles en France, n’est pas résolue. Aucun texte ne précise le destin de ces lois. Ceci constitue une lacune dans le système de contrôle de constitutionnalité des lois.
Ainsi, destiné à combler cette lacune, un projet déposé le 30 mars 1990 à l’Assemblée Nationale qui avait pour objet « d’instituer un contrôle par voie d’exception de la constitutionnalité des lois qui concernent les droits fondamentaux et les garanties accordées à toute personne pour l’exercice des libertés publiques ». Ce projet n’a pas abouti à une réforme constitutionnelle. Un autre projet fut déposé en 1993, reprenant les principes du projet précédent. Il fut abandonné par la nouvelle Assemblée parlementaire à la demande du Gouvernement. Le dernier projet présenté par le Sénateur GELARD, qui consiste à modifier l’article 61 de la Constitution([141]) n’a pas abouti non plus. Par conséquent, cette lacune du système de contrôle de constitutionnalité n’est pas comblée.
Aujourd’hui, la situation au Liban est semblable. En vertu d’un mode de saisine restreint du Conseil constitutionnel, le contrôle de constitutionnalité est interdit au Conseil d’Etat. Malgré la contestation de la constitutionalité de l’article 18 de la loi 250/93, aucun projet de loi ne s’est présenté à la Chambre des députés pour modifier l’article 18 ou bien pour modifier les modes de saisine du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement qui a préparé le projet de la loi 250/93 est toujours au pouvoir, il conserve la majorité parlementaire depuis 1992. Ainsi, on ne trouve pas une volonté sérieuse pour modifier la loi 250/93.  Les juristes proposent souvent la modification de l’article 18 et proposent également l’élargissement de droit saisine du Conseil constitutionnel. M. ABOU RJEILY propose de diminuer le nombre des députés qui pourraient saisir le Conseil constitutionnel de dix à cinq. Il propose également de donner le droit au Président du Conseil d’Etat et au premier Président de la Cour de Cassation de saisir le Conseil constitutionnel.
Nous proposons une modification de l’article 18 de la loi 250/93 qui redonne le droit aux juridictions ordinaires de statuer sur la constitutionnalité des lois mais d’une façon plus claire que celle prévue par l’article 2 du code de procédure civile. Cette modification consistera à soumettre une loi au Conseil constitutionnel par voie d’exception, à l’occasion d’une instance en cours, devant une juridiction et après la demande du juge qui tranche le litige.
En absence de cette réforme ou toute autre réforme, l’exercice de contrôle d’inconstitutionnalité par le juge administratif  sera un palliatif qui sert à combler les lacunes de ce système.


PRINCIPALES ABREVIATIONS
France
A.I.J.C. Annuaire français de justice constitutionnelle.
al. Alinéa.
art. Article.
C.C.F. Conseil constitutionnel français.
C.E.F. Conseil d’Etat français.
E.D.C.E. Etudes et documents du Conseil d’Etat.
éd.  Edition.
D. Recueil Dalloz Sirey.
Déb.parl. Débats parlementaires.
PU.F. Presses Universitaires de France.
P.U.A.M. Presses Universitaires d’Aix-Marseille.
Mél. Mélanges.
L.G.D.J. Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence.
L.P.A. Les Petites Affiches.
Rec. -Après un arrêt du Conseil d’Etat, Recueil Lebon
 ‑Après une décision du Conseil constitutionnel, Recueil
 des décisions du Conseil constitutionnel.
Rev.adm. Revue administrative.
R.D.P. Revue du droit public et de la science politique en
 France et à l’étranger.
R.F.D.A. Revue française de droit administrative

 

Liban
A.A.J. Addar Al Jamiiya.
A.A.L. Al Mouassasa Al Hadissa Lil kitab.
C.C.L Conseil constitutionnel libanais.
C.E.L Conseil d’Etat libanais.
D.A.L. Dar Al ilm Lil Malayin.
L.V.P. La Vie Parlementaire (Al hayat anniyabiya, en arabe).
R.A. Revue administrative (en arabe).
R.D.L. Revue du Liban (en français).
R.J.A.L. Revue de jurisprudence administrative libanaise (en arabe).
U.L. Université Libanaise.
U.S.J. Université Saint Joseph.
Cass.adm. Cour de cassation libanaise, chambre administrative. REFERENCES

 

[1] Il dispose que « le Conseil constitutionnel contrôle la constitutionnalité des lois et textes ayant force de loi. Nonobstant toute disposition contraire, nulle autre autorité judiciaire ne peut exercer ce contrôle par voie d’action ou d’exception d’inconstitutionnalité ou de violation du principe de la hiérarchie des normes et textes ».

[2] SABETE (W.), L’écran de la loi et la figure de la Constitution,  D., 1997, p. 289.

[3] KELSEN (H.), Théorie pure de Doit, Trad. EISNMANN (C.), Paris, D.1962.

[4] FAVOREU (L.) et  RENOUX (T.), Le contentieux constitutionnel des actes administratifs, Sirey, 1992, p. 123.

[5] MARTIN (M.L.), (sous la direction de), les nouvelles Constitutions des pays francophones du sud, textes et analyses, vol.3, 1ère éd., Lyon, L’Hermès, 1998, p.109. 

[6] Parmi ces droits figurèrent des garanties pour les communautés religieuses, tels l’abstention de porter atteinte à leurs droits (conservation de leurs écoles), et l’intervention dans la direction de leurs affaires.

[7] VEDEL (G.), Discontinuité du droit constitutionnel et continuité du droit administratif : le rôle du juge, in le juge et le droit public,  Mél.offerts à Marcel WALINE, tome II, Paris, L.G.D.J., 1974, p.277

[8] DELVOLVE (P.), L’administration libanaise, Paris, Berger-levrault, 1971, p.8. 

[9] Cet article qui fut abrogé par la loi de 17/10/1927 disposa que le Sénat est composé de seize membres dont sept nommés par le chef de l’Etat, en Conseil des ministres et les autres élus. Le mandant du Sénateur est de six ans. Les sénateurs sortants peuvent être indéfiniment réélus ou nommés de nouveau.

[10] C.E.L., 24 décembre 1962, ABDALAH/ETAT, R.A., 1963, p.92 ; n°676 du 27 octobre 1962, AL KHOURI/ ETAT, R.A., 1962, p.228.

[11] Le régime des décrets-lois consiste à donner au pouvoir exécutif la compétence de légiférer dans des sujets déterminés. 

[12] C.E.L., 3 juillet 1959, FAKHRI/ ETAT, R.A., 1959, p.141.

[13] C.E.L. 19 janvier 1963, AYYACHE/ ETAT, R.A., 1963, p.123 ; le Conseil d’Etat les a qualifié en 3 types : 1- les actes accomplis par le Gouvernement dans ses rapports avec le Parlement. 2-Les mesures prises et les comportements suivis par le Gouvernement au cours de la négociation ou en ce qui concerne l’exécution des accords internationaux. 3- les actes pris en matière d’opération de guerre et d’opérations militaires.

[14] C.E.L., 20 décembre 1957, ISKANDAR/ ETAT, R.A., 1958, p.31.

[15] C.E.L., 13 octobre 1957, FAYYAD/ ETAT, R.A., 1957, p.203.

[16] C.E.L., 13 janvier 1968, ABI AKL / ETAT, R.A., 1968, p.97.

[17] Notamment, C.E.L., 6 janvier 1968, Héritiers HATEM/ ETAT, R.A., 1968, p.93.

[18] C.E.L., 10 janvier 1972, MANSSOUR c/ ETAT,  R.A., p. 59.

[19] DENAWI (A.), Principe d’égalité en France et au Liban, thèse, Paris II, 1985, p. 203.

[20] Le Président Khaled KABBANI fut l’un des juristes qui ont préparé le projet de la loi constitutionnelle de 1990, ancien membre au Conseil constitutionnel, préside actuellement la 5ième chambre contentieuse au Conseil d’Etat.

[21] C.E.L., Conseil du contentieux, n°291 du 18 janvier 1996, Syndicat des employés et ouvriers de l’administration des Tabacs et Tombacs au Liban c/ ETAT, R.J.A.L., 1997, p. 369.

[22] C.E.L., Conseil du contentieux, n°189 du  3 janvier 1995, FREM c/ Président de la République et Président du Conseil des ministres, R.J.A.L.,  Tome I, 1996, p. 194.   

[23] DRAGO (R.), note ss. C.E.L., FREM/ ETAT,  3 Janvier 1995, in R.D.P., 1995, p.1329.  

[24] L’article 53 qui dispose que « le Président de la République promulgue en accord avec le Premier ministre le décret de désignation du Gouvernement » ; l’article 65  dispose que « la révocation des ministres relève de la compétence du Conseil des ministres et requiert l’approbation de deux tiers des membres du Gouvernement ».

[25] C.E.L., Conseil du contentieux, n°291 du 18 janvier 1996, précité, p.375. 

[26] SAAD (G.), Droits de l'homme, droit public musulman, droit administratif libanais, acte du colloque international 2001, L'Odyssée des droits de l'homme, Grenoble 22-23-24 octobre 2001, p.15 .

[27] MNASSA (B.), La Constitution libanaise : dispositions et interprétations, Beyrouth ; Imprimerie de Ghazir,  1998, p.36.

[28] VEDEL (G.) et DELVOLVE (P.), Droit administratif, tome1, 12ème  éd., P.U.F, 1992, p. 447

[29] CHAPUS (R.), Droit administratif général, tome1, 15ème éd., Montchrestien, 2001, p.43

[30] C.E.F., sect. 12 février 1960, soc.EKY, D.1960, p.101.

[31] C.C.F., n°71-44 DC du 16 juillet 1971, Contrat d’association, Rec.29 ; n°77-87 DC du 12 janvier 1977, Loi Complémentaire à la loi sur la liberté de l’enseignement, Rec.42.

[32] C.C.L. n°3/95 DC du 18 septembre 1995.

[33] C.C.L. n° 4/96 DC du 7 août 1996.

[34] C.C.L. n° 1/97 DC du 12 septembre 1997, loi relative à la prorogation du mandat des conseils municipaux.

[35] C.E.L., Conseil du contentieux, 18 janvier 1996, Syndicat des employés et ouvriers de l’administration des Tabacs et Tombacs au Liban c/ ETAT, R.J.A.L., 1997, p. 369.

[36] C.E.L., Conseil du contentieux, 7 mai 2003, Ligue maronite c / Etat, publié dans le quotidien Annahar du 9 mai 2003

[37] L'article 37 de la Constitution dispose que " Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire…".

[38] Le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’existe pas au Liban un domaine réglementaire par nature, puisque le législateur peut intervenir même dans les matières réglementaires, C.C.L., n°1/2001DC du 10 mai 2001.

[39] RIFAAT (H-T.), L'expérience du Conseil constitutionnel libanais en matière de principes généraux ayant valeur constitutionnelle, acte du colloque organisé par l’U.S.J., sur  Les dénominateurs communs entre les principes généraux du droit musulman et des droits des pays arabes et les principes généraux du droit français, non publié, p. 2 ; MANSSOURI (W.), Le contrôle de la constitutionnalité au Liban, thèse, Montpellier I, 2001, p.224.

[40] C.E.L., 13 novembre 1963, ABDALLAH c / ETAT, R.A., année 8, p.77.

[41] C.C.L., n°2/95 DC du 25 février 1995. 

[42] C.E.L., 22 avril 1963, JOUNI c/ ETAT, R.A., année 7, p.274.

[43] C.C.L., n°4/96 DC du 7 août 1996.

[44] C.C.L., n°1/2000 DC du premier février 2000.

[45] C.E.L., 14 juillet 1964, AYOUB c/ ETAT, R.A., 1964, p. 235.

[46] C.C.L., n°1/2002 DC du 31 janvier 2002.

[47] C.E.L.,  2 mai 1975, NAJJA c / ETEAT, R.A. 1975, p.85.

[48] C.C.L., n°2/99  DC du 24 novembre 1999. Le Conseil a redéfini ce principe en précisant que « le principe de la séparation des pouvoirs exige que chaque pouvoir exerce ses compétences dans le domaine précisé dans la Constitution, qu’aucun pouvoir ne peut empiéter sur les compétences de l’autre et que chaque pouvoir respecte les limites de ses compétences tracées par la Constitution pour conserver la règle de l’équilibre dans le cadre de la coopération notamment entre les deux pouvoirs législatifs et exécutifs »(

[49] C.C.L., n°2/2000 DC du 8 juin 2000.[50] C.E.L., 17 décembre 1968, ABOU CHAKRA c/ ETAT, R.A., 1969, p. 45.

[51] OULD BOUBOUTT (A-S.), L’apport du Conseil constitutionnel au droit administratif, Paris, Economica, 1987, p. 390

[52] C.C.L., n°2/95, précitée.

[53] C.C.L., n°4/96 DC du 7 août 1996.

[54] Ibid.

[55] C.C.L., n°2/97 DC du 12 septembre 1997.

[56] El MOURTADA (F.), L’originalité de la juridiction administrative libanaise, thèse, Grenoble, tome 2, 1989, p. 382.

[57] CATALA (P.) et GERVAIS (A.), Le droit libanais, livre du cinquantenaire de la faculté de droit et des sciences économiques de BEYROUTH, tome 1, Paris,  L.G.D.J., 1963, p. 205. 

[58] RABBATH (E.), Manuel du droit constitutionnel, Beyrouth, Dar Al Ilm Lil Malayen, 1970, p.324.

[59] il fut premier ministre et assassiné en 1987 dans un Hélicoptère explosé. 

[60] C.E.L., Conseil du contentieux, n°189 du  3 janvier 1995, précité.

[61] C.E.L., Conseil du contentieux, 3 janvier 1995, FREM c/ Président de la République et Président du Conseil des ministres, R.J.A.L.,  Tome I, 1996, p. 194

[62] DUHAMEL (O.) et MENY (Y.), Dictionnaire constitutionnel, P.U.F., 1992, p. 425.

[63] C.E.F., 6 novembre 1936, ARRIGHI, D., 1938. III, p.1

[64] CHAGNOLLAUD (D.), op.cit., p. 55.

[65] Date de la promulgation de la loi 250 relative à la création du Conseil constitutionnel.

[66] Le code de procédure civile fut promulgué le  premier février 1933, et approuvé par l’arrêté n°48 LR du 28 mars 1933 du haut commissaire Henri PENSOT. 

[67] MANSSOURI (W.), op.cit., p. 29.

[68] RABBATH (E.), La Constitution libanaise : origines, textes et commentaires, Beyrouth,  Publications de l’Université libanaise, n°V, 1982, p. 151.

[69] Consultation délivrée par le doyen Georges VEDEL au Président Khalil JOREIJE, le 18 août 1966, citée dans RABBATH(E.), La Constitution libanaise…,  op.cit., p. 152.  

[70] SLEIMAN (S.), Le Parlement Libanais, Beyrouth, Presses de l’imprimerie Youssef et Philippe GEMAYEL, 1978, p. 197.

[71] Ibid.

[72] DUGUIT (L.), Traité de droit constitutionnel, tome 3, 3ème éd., Paris,  E. de Boccard, 1928, p. 667.

[73] BAZ (J.), Manuel de droit administratif, Beyrouth, éd. 1971, p. 100.

[74] EL MOURTADA (F.), l’originalité de la juridiction administrative libanaise, thèse citée, p. 277. 

[75] C.E.L.,  2 décembre 1966, Farid MATAR c/  ETAT, Rec.Chidiac, p. 73.

[76] C.E.L., 13 janvier 1968, ABY AKL v/ ETAT, précité

[77] CHIHA (I.), Les régimes politiques et le droit constitutionnel, 4ème éd., Beyrouth, Addar al jami’ya, 1998, p. 744.

[78] Cass. adm., 4 juin 1951, Traboulsy, R.J.A.L., 1951, p. 537.

[79] BAZ (J.), La juridiction administrative au Liban, Beyrouth, Imprimerie Catholique, 1962, p. 109. 

[80] En 1983, le Parlement libanais approuva une loi d’habilitation limitant le droit de légiférer par décrets-lois aux domaines de Sécurité Publique, aux affaires de développement, de la construction, de l’habitation de l’information et de la justice. Le Gouvernement de M. WAZZAN a publié 161 décrets-lois en septembre 1983. Le code de procédure civile était parmi ces décrets-lois.
(81)

[81] FAVOREU (L.), Les cours constitutionnelles, Paris, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », 1986,  p.8.

[82] ROUSSEAU (D.), La justice constitutionnelle en Europe, 2ème éd., Paris, Montchrestien, 1996, p. 13.

[83] LAMBERT (J.), Les origines du contrôle de constitutionnalité des lois aux Etats-Unis. MARBURY v. MADISON, R.D.P., 1931, p. 5.

[84] HAJJAR (H.), Les conséquences de la création du Conseil constitutionnel, art.précité, 1994, p. 96.

[85] Il est mentionné dans  le Document d’Entente National de TAEF qu’ «  un Conseil Constitutionnel sera créé pour interpréter la Constitution et contrôler la constitutionnalité des lois, et trancher les litiges et les invalidations relatifs aux élections présidentielles et parlementaires ».

[86] Cet article dispose qu’ « un Conseil Constitutionnel sera institué pour contrôler la constitutionnalité des lois et statuer sur les conflits et pourvois relatifs aux élections présidentielles et parlementaires. Le droit de saisir le Conseil pour le contrôle de la constitutionnalité des lois appartient au Président de la République, au Président de la Chambre des députés, au Président du Conseil des ministres ou à dix membres de la Chambre des députés, ainsi qu’aux chefs des communautés reconnues légalement en ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la liberté de conscience, l’exercice des cultes religieux et la liberté de l’enseignement religieux.
Les règles concernant l’organisation du Conseil, son fonctionnement, sa composition et sa saisine seront fixées par une loi ».

[87] L’article premier de la loi 250/93 modifié, dispose qu’ « en application des dispositions de l'article 19 de la Constitution, est institué un conseil nommé Conseil Constitutionnel dont la mission est de contrôler la constitutionnalité des lois et autres textes ayant force de loi et de statuer sur les conflits et pourvois relatifs aux élections présidentielles et parlementaires.
Le Conseil Constitutionnel est une instance constitutionnelle indépendante à caractère juridictionnel »

[88] GANNAGE (P.), Le Conseil constitutionnel libanais, Acte du colloque sur les constitutions des pays arabes, février 1998, publié sur le site Internet de l'Université Saint Joseph à Beyrouth.

[89] Sur  les expériences étrangères en matière d’exception d’inconstitutionnalité, voir  le colloque sur l’exception d’inconstitutionnalité : expériences étrangères, situation française, Paris, STH, coll. « les grands colloques », 1989[90] Les enseignements parlementaires sur la loi 250/93 sont publiés dans le livre de ANNACHEF (A.) et AL HINDI (K.),  Le Conseil constitutionnel au Liban, Tripoli, AL Mouassasa Al Haditha Lil Kitab, 1998, p.741.

[91] Il visait la cour d’assise de Beyrouth qui a rendu l’arrêt en 1991, précité.

[92] L’avis du ministre Bahij TABBARA donné durant les débats parlementaires, in Le Conseil constitutionnel au Liban, op.cit., p.800.

[93] ABOU RJEILY (K.), Les conditions du contrôle de constitutionnalité des lois et le Conseil constitutionnel libanais, L.V.P., tome 6, 1993, p.92 ; SLEIMAN (S.), Le contrôle de la constitutionnalité des lois en droit libanais et comparé, L.V.P., tome 6, 1993, p.86.

[94] AL HAJJAR (H.), Les conséquences de la création du Conseil constitutionnel, art.précité, p.97.

[95] FAVOREU (L.), Un déni de justice en droit public français, op.cit., p. 28.

[96] Ibid.

[97] ASSAF (G-J.), art.précité., p.12.

[98] Notamment l’avis du doyen VEDEL délivré au Président JOREIJE, précitée.

[99] Notamment la thèse de M. RABBATH dans son Manuel de droit constitutionnel, op.cit. .[100] Le contrôle de constitutionnalité des lois en France est organisé par la Constitution de 1958.

[101] NAIM (E.), Contrôle des projets ou contrôle des loi, l’orient le jour, 8 mars 1961, p. 1.

[102] Consultation du doyen VEDEL, précité.

[103] C.C.L., DC 2/95 du 25 février 1995, précitée.

[104] L’article 20 de la Constitution dispose que « le pouvoir judiciaire fonctionnant dans le cadre d'un statut établi par la loi et assurant aux juges et aux justiciables les garanties indispensables, est exercé par les tribunaux des différents ordres et degrés. La loi fixe les limites et les conditions de l'inamovibilité des magistrats. Les juges sont indépendants dans l'exercice de leur magistrature. Les arrêts et jugements de tous les tribunaux sont rendus et exécutés au nom du peuple libanais »

[105] ABOU RJEILY (K.), Un déni de justice constitutionnel, malgré l’existence du Conseil constitutionnel, art.précité, p. 7. 

[106] C.C.L., DC 5/2000 du 27 juin 2000, précitée.

[107] C.C.L., DC 2/95, précitée.

[108] L’article 19 de la Constitution et l’article 33 de la loi 250/93 précités.

[109] Voir les enseignants des débats parlementaires, précités. .

[110] NAJEM (E.), Le Conseil constitutionnel, entre la Constitution et sa loi de création, in Le Conseil constitutionnel au Liban, art.précité, p. 101.

[111] Le vice président du Conseil constitutionnel  Moustafa AL AUJI, était le Président d’une chambre dans la Cour de Cassation, ainsi que les deux conseillers d’Etat  Khaled KABBANI et Antoine KHAIR qui étaient anciens membres au Conseil constitutionnel.  

[112] SADDALAH AL KHOURY (Y.), Le droit administratif général, op.cit., p. 222.

[113] Ibid, p. 223.

[114] AL HAJJAR (H.), La loi judicaire privée, op.cit., p. 233.

[115] SLEIMAN (I.), Le Conseil constitutionnel : création et compétence, in Le Conseil constitutionnel au Liban, op.cit., p.108.

[116] ABOU RJEILY (K.), Le déni de justice constitutionnel, malgré l’existence du Conseil constitutionnel, art.précité, p. 1. 

[117] Ibid, p. 3.

[118] ASSAF (G-J.), op.cit., p.16; MANSSOURI (W.), art.précité, p.51; MOUANNES (H.), op.cit., p. 133.

[119] SLEIMAN (S.), Le contrôle de la constitutionnalité des lois dans la loi libanaise et comparée, art.précité, p. 85.

[120] ABOU RJEILY (K.), Le déni de justice constitutionnel, malgré l’existence du Conseil constitutionnel, art.précité, p. 9. 

[121] BURDEAU (G.), Traité de science politique, tome IV, 2ème éd., Paris, L.G.D.J., 1976, p. 387

[122] Arrêt GHOSN, précité.

[123] Les Présidents Khaled KABBANI et Antoine Khair.

[124] C.E.L., n° 71 du  25 octobre 2001, GHOSON c / ETAT, L.V.P., n° 41, 2001, p.114. C.E.L., 24 octobre 2002, MOAWAD/ ETAT( direction générale de la sûreté générale), non publié, note WEHBE(W.), Assafir, 8 novembre 2003.

[125] C.E.L., 13 janvier 1968, ABY AKL c/ ETAT, précité.

[126] C.C.L., DC 5/2000, précitée.

[127] FARHAT (F.), note  précitée, p. 101

[128] On l’appelle aussi Conseil de discipline (Al majlis ata’dibi). 

[129] FARHAT (F.), note précitée, p. 102.

[130] SABETE (W.), art.précité, p. 192.

[131] C.E.F., Ass., 18 décembre 1996, PETER ROGERS, Rev.adm., 1998, p.518.

[132] LONG(M.), WEIL(P.), BRAIBANT(G.), DELVOLVE(P.), GENEVOIS(B.), Les grandes arrêts de la jurisprudence administrative,13ème éd., Paris, D.,2001, p.829.

[133] RICCI (R.), Le Conseil d’Etat et la loi, Petites affiches, 7 octobre 1999, n°200, p. 17.

[134] Ce que le Conseil d’Etat l’a fait dans son arrêt sur l’affaire GHOSN, précité. 

[135] DRAGO (G.), L’exécution des décisions du Conseil constitutionnel, op.cit., p. 15.

[136] Ibid.

[137] KABBANI (K.), Le rôle du Conseil d’Etat en matière de constitutionnalité des lois, art.précité, p. 5.

[138]  KHACHAN, (F.), Les influences de l'arrêt de 10 octobre 2001 sur les pouvoirs législatifs et exécutifs, Assafir, 8 novembre 2001.

[139]  C.E.F., 22 février 1946, Botton, Rec., p. 58 ; 13 novembre 1946, Vincent, Rec., p. 269.

[140]  Après l'article 61 de la Constitution, il est inséré un article 61-1 ainsi rédigé : " Art. 61-1.- Les lois qui n'ont pas fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel et qui portent atteinte aux droits fondamentaux de l'homme et du citoyen, peuvent être déférées au Conseil constitutionnel par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.  Le conseil doit statuer dans un délai d’un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours. " La loi qui fait l'objet d'un tel recours est suspendue jusqu'à la décision du Conseil. Le Conseil dans sa décision règle les conséquences éventuelles d'une annulation de la loi. Le Gouvernement et le Parlement, chacun en ce qui les concerne, sont tenus d'adopter les mesures législatives ou réglementaires rendues nécessaires par la décision du Conseil ».

[141] ABOU RJEILY (K.), Le déni de justice constitutionnel, malgré l’existence du Conseil constitutionnel, art.précité, p. 16.

الرقابة الدستورية على الاعمال الإدارية:تجربة مجلسي شورى الدولة اللبناني و الفرنسي
تعتبر قضية السفير الياس غصن من القضايا التي  أحدثت في لبنان تغييراً في مفهوم رقابة القاضي الإداري على دستورية القرارات الإدارية وإنسحابها على دستورية القوانين .ففي هذه القضية رفض مجلس شورى الدولة تطبيق المادة 13 من القانون 65 /54 التي تنصّ على أن قرارات الهيئة العليا للتأديب لا تقبل أيّ طريق من طرق المراجعة، بما في ذلك لإبطال ،لتجاوز حدّ السلطة
واعتبر المجلس أنّ هذه المادة مخالفة لمبدأ عام أعطاه المجلس الدستوري قيمة دستورية .وقد اعتمد مجلس الشورى على قرار المجلس الدستوري رقم 2000/5 تاريخ 2000/6/23 الذي أبطل الفقرة الثانية من المادة 46 الجديدة من القانون رقم 227 تاريخ 2000/5/31 التي تنصّ على أن القرارات التأديبية
الصادرة عن مجلس القضاء الأعلى،لا تخضع للمراجعة بما في ذلك مراجعة النقض .واعتبر مجلس الشورى النصّ الأخير مماثلاً في مضمونه للقاعدة القانونية المقررة في المادة 13 من القانون 65 /54 من حيث إقفال باب مراجعة نقض القرارات التأديبية أمام مجلس شورى الدولة. وقد طرح قرار السفير الياس غصن موضوع رقابة القاضي الإداري على دستورية القرارت الإدارية ،إذ أنّ القاضي الإداري لا يمكنه مراقبة دستورية القرارات الإدارية التي تكون محمية بقانون، وبالتالي فانّ تعّرضه لدستورية هذا النوع من القرارات يؤدي الى ممارسة الرقابة على دستورية القانون التي يحميها
 وهذا ما هو مخالف لنص المادة 18 من قانون انشاء المجلس الدستورية التي تنصّ على انه لا يجوز لأي مرجع قضائي أن يقوم بالرقابة على دستورية القوانين مباشرة عن طريق الطعن أو بصورة غير مباشرة عن طريق الدفع بمخالفة الدستور، أو مخالفة الدستور، أو مخالفة مبدأ تسلسل القواعد والنصوص، وبالتالي فان موضوع هذه الدراسة سيتناول موضوع رقابة القاضي الإداري على دستورية القرارات الادارية وحدود هذه الرقابة