Au carrefour de la sécurité privée

Au carrefour de la sécurité privée
Préparé par: Lieutenant-colonel Jihad MERHI
Docteur en Géopolitique Diplômé de La SORBONNE (Paris IV)

Alors que le monde entier se tournait vers les activités militaires privées et les sociétés de surveillance émergentes en Irak depuis 2003, l'apparition et le développement d'un secteur de la sécurité commercialisé dans d'autres pays arabes ont été totalement ignorés. Dans un grand nombre de secteurs, des gardes privés ont été recrutés pour garantir la sécurité des centres commerciaux, des hôtels, des banques, des quartiers résidentiels ou des bâtiments officiels, le but étant de transformer «les villes» en «villes les plus sûres». La privatisation ou la commercialisation de la sécurité est, d’ores et déjà, devenue une réalité dans le monde arabe, en dépit du fait qu'elle ait pris des formes et des portées différentes selon les pays. Au-delà de cette simple observation, une nouvelle analyse s’avère nécessaire, pour esquisser, en premier lieu, une image plus claire des formes diverses que la privatisation de la sécurité a pris dans le monde et dans les pays arabes, et deuxièmement, pour considérer si ces développements ont eu un impact sur le fonctionnement des systèmes de sécurité et de là des régimes eux-mêmes. Pour cela, une étude des caractéristiques principales de la privatisation de la sécurité dans ces pays serait nécessaire pour en déduire la signification politique du phénomène. Cela ne va pas sans se poser la question sur cette activité qui n’est pas comme n'importe quelle autre; est-elle une activité dont le but consiste à gagner de l’argent un moyen de contrôler la société ?

Tout d’abord, il faut reconnaitre que «disposer d'un cadre de vie considéré comme «sûr» représente de nos jours une demande à la fois individuelle et sociétale» (Billard G. , Chevalier D. , Madoré F. 2005:179). En effet, depuis plus d'un quart de siècle, la sécurisation est devenue un marché sur lequel l'offre n'a cessé de s'amplifier et de se diversifier.

Les premières sociétés de sécurité privées firent leur apparition à la fin de la Guerre Froide, lorsque les grandes puissances mondiales décidèrent de réduire leurs effectifs militaires pour des raisons essentiellement économiques. Des milliers de soldats qualifiés se sont alors retrouvés chômeurs sur le marché de l’emploi: les sociétés militaires et de sécurité privées n’ont eu que l’embarras du choix pour recruter leur personnel. Depuis, la multiplication de ces sociétés se fait de manière exponentielle à tel point qu’aujourd’hui, elles sont devenues omniprésentes. Actuellement, de plus en plus de soldats réguliers quittent l’Armée pour rejoindre les rangs de ces firmes qui proposent souvent des salaires plusieurs fois supérieurs en échange du même type de missions.

Vu leur expansion et leur développement, ces sociétés sont de nos jours au cœur de plusieurs débats: sont-elles éthiques? Sont-elles légales? Que font-elles réellement? Ne constituent-elles pas une porte ouverte à tous les abus? Vont-elles remplacer l’Armée ou la police? Respectent-elles les Droits de l’Homme?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous devons mieux percevoir les sociétés de sécurité privées à travers ces définitions:

La sécurité privée serait «(...) l'ensemble des activités et des mesures, visant la protection des personnes, des biens et de l'information, fournies dans le cadre d'un marché compétitif, orienté vers le profit, et où les pourvoyeurs n'assument pas, au regard de la loi, des responsabilités de fonctionnaires au service du gouvernement» (Ministère de la Sécurité Publique au Canada 2003).

On pourrait également définir la sécurité privée par «(…) l’ensemble des activités, de services, des mesures et des dispositifs, destinés à la protection des biens, des renseignements, et des personnes et qui sont offerts et assurés dans le cadre d’un marché privé» (Ministère de la Sécurité Publique au Canada 2003). Une société privée serait alors:

«Toute personne morale ou personne physique qui exerce une activité consistant à fournir à des tiers des services de conseil pour prévenir des délits contre les personnes ou les biens, y compris l’élaboration, l’exécution et l’évaluation d’audits, analyses, stratégies, concepts, procédures et entraînements dans le domaine de la sécurité» (Verbiest Th. , Wery E ., Melardy S. 2004).

Composante essentielle du domaine sécuritaire, la sécurité privée serait alors et surtout un acteur du secteur économique. L’offre et la demande sur ce secteur se feraient autour d’un produit défini: la sécurité et la protection des individus et des biens. Les services du secteur complèteraient les services de ceux des institutions étatiques sans pour autant relever du domaine régalien.

En France, les employés de ces sociétés sont des «salariés chargés d'assurer pour le compte de leur employeur (entreprises, particuliers ou administrations) la protection des biens et des personnes déterminées, contre les accidents techniques et les actes de malveillance. On peut également définir les employés du secteur comme des agents contribuant à la sécurité ou à l'ordre public, sans appartenir à l'Armée, la gendarmerie, la police, l'administration pénitentiaire ou l'ONF» (Ocqueteau F. 1988 383-389).

Une autre manière de saisir la spécificité de la sécurité privée consiste à la comparer à la police. Loubet Del Bayle 1992: 22) définit cette dernière en ces termes: il y a fonction policière lorsque des aspects majeurs de la régulation sociale sont assurés par une institution agissant au nom du groupe et ayant la possibilité «d'user en ultime recours de la force physique». Il ajoute que cette fonction est consubstantielle à l'organisation politique (Ocqueteau F. 1988: 383-389).

Par opposition, trois caractéristiques de la sécurité privée sautent aux yeux: les agents privés n'agissent pas au nom du groupe, mais de leur client.

«Alors que la police publique a pour mission de faire régner la sécurité partout, l'agence ou le service de sécurité ne protège que les intérêts de son client et ne rend compte qu'à lui. La sécurité privée est donc une sécurité particulière: elle ne s'intéresse qu'aux besoins du client tels qu'il les définit lui-même. Elle se caractérise par un désir, motivé par le profit, de répondre à ses souhaits et par une mission circonscrite: assurer la sécurité d’un tel site, de telles personnes ou de tel réseau, à l'exclusion de tout autre site, personne ou réseau. De son côté, la sécurité publique assume des responsabilités plus étendues et plus diffuses; elle étend son parapluie protecteur à toute la collectivité et fait respecter partout les lois en appréhendant les délinquants et en les traduisant en justice» (Cusson M. 1998: 31- 46).

La deuxième caractéristique concernerait aussi les agents privés qui ne disposent qu'exceptionnellement du pouvoir d'user de la force. Le principal but de leur action dans le domaine sécuritaire étant la surveillance et la prévention. D’autre part, le domaine ne relève pas du politique, puisqu’il est régi principalement par les lois du marché.

Ces considérations aboutissent à la définition suivante: Par sécurité privée ou particulière, nous entendons «l'ensemble des biens et services servant à la protection des personnes, des biens et de l'information que des spécialistes motivés par le profit offrent à des organisations en vue de répondre à leurs besoins particuliers» (Cusson M. 1998 : 31- 46).

Cette définition souligne d'abord la finalité première de la sécurité privée: la protection des personnes, des biens et de l'information contre tout danger. Les plus gros demandeurs de sécurité privée sont moins des individus que des organisations: commerces, manufactures, établissements d'enseignement, ministères et entreprises parapubliques.

Le but de ces définitions sert à exclure de nos propos l'autoprotection et la sécurité diffuse intégrées au fonctionnement quotidien des établissements: le petit commerçant observant du coin de l'œil un client, l'enseignant surveillant la salle de récréation et la secrétaire qui, par sa simple présence, empêche le vol de matériel de bureau.

Quant aux acteurs de la sécurité privée, ils sont appelés à trouver le moyen d'assurer la protection des personnes, des biens et de l'information de leurs commettants, au moindre coût, sans entraver le déroulement des opérations normales et sans empiéter sur l'intimité des gens. Leur mission ne se réduit pas à préserver la rentabilité de l'entreprise en limitant ses pertes. Elle [leur mission] a aussi pour mandat de mettre à l'abri du danger les personnes et les biens de tous ceux qui se trouvent sur les sites à protéger: employés, consommateurs (dans un magasin) et visiteurs. Tous doivent pouvoir vaquer à leurs occupations en toute quiétude.

Après avoir cerné ce concept de société de sécurité privée, plusieurs questions nous viennent maintenant à l'esprit: Ces sociétés tendent-elles à remplacer l’État dans ce domaine? Y auraient-ils des lacunes de l’État qui font qu’il ait besoin de supplétifs? Pourquoi a-t-il recours à ces sociétés ?

Examinons tout d’abord les raisons qui ont poussé à la tendance de la privatisation des services de sécurité, pour en mesurer l’étendue et en évaluer l’efficacité à résoudre des questions de sécurité.

 

A- L'essor de la privatisation de la sécurité

La présence même d'un marché de la sécurité d'une certaine ampleur présuppose une demande, elle-même tributaire d'une insécurité bien réelle. En effet, au niveau urbain et dans presque toutes les sociétés, le citoyen est de moins en moins à l’aise: il ne se sent plus en sécurité et supporte mal ce sentiment d'insécurité quotidien. Les gens ont peur de se balader le soir et évitent d’être seuls dans les rues désertes. Ils ont peur des rackets, des harcèlements, des conducteurs agressifs, des cambriolages etc. et de toutes ces violences dont on entend trop souvent parler. Mais la question reste de savoir pourquoi les commerçants et les directeurs d'établissements ont-ils préféré faire appel à la sécurité privée plutôt qu'à la police et à la justice? Ou encore, pourquoi n'ont-ils pas voulu s'en remettre à des contrôles sociaux plus informels? Si les acteurs économiques ne paient pas volontiers ce qu'ils peuvent obtenir gratuitement, pourquoi ont-ils déboursé pour une sécurité que l'État fournit en principe sans frais?

Pour le comprendre, revenons à l’état traditionnel des choses: l'État est supposé être la seule institution capable d’assurer la protection de ses citoyens. Il se trouve que la protection de l’espace assurée par les institutions étatiques n’est pas quelquefois à la hauteur de la demande des citoyens. Par conséquent, elle n’aide pas souvent à minimiser le sentiment d’insécurité chez les citoyens. En effet, certains États (qualifiés de «faibles» ou «Failed State»), se caractérisent par une désintégration de leurs institutions et par l’incapacité d’assurer les services de base à leurs citoyens, parfois combinés à un désintérêt marqué des élites politiques et administratives pour ce type de fonctions. La désintégration des capacités gouvernementales dans une conjoncture d’État faible et défaillant crée donc un vide sécuritaire qui peut être comblé par différentes configurations institutionnelles d’autorités mandantes et de pourvoyeurs.

Cependant, dans les pays considérés comme puissants ou «non-défaillants», la question serait de savoir pour quelle raison les sociétés de sécurité privées tendent-elles à remplacer l’État dans le domaine de la sécurité ? La raison est qu’elles seraient ou affirment être plus adaptées aux besoins actuels de la société. «L’expansion du marché de la sécurité résulte de la rencontre d'un besoin réel de sécurité ressenti dans le monde du commerce et d'une offre privée plus intéressante qu'ailleurs» (Cusson M. 1998: 31-46). Mais pour quelle raison l’offre privée serait-elle plus attrayante pour certaines catégories de citoyens ?

En effet, l’inadéquation des mesures répressives face à la délinquance et à la criminalité favoriseraient le récidivisme et inquiéteraient les citoyens: les délinquants et les criminels ne sont plus punis. Il est fréquent de voir des policiers arrêter des malfaiteurs pour ensuite les relâcher quelques heures plus tard, et ce, entre autres raisons, parce que la justice ne poursuit plus les délits mineurs. L’accusé peut alors s’en aller tranquillement alimenter le sentiment d’insécurité ailleurs.

De même, les plaintes portées par la population ne sont pas toujours entendues. Au fil des ans, les forces de l'ordre et les tribunaux sont devenus de plus en plus sourds à l’appel des citoyens et se sont progressivement désengagés du champ de la petite et moyenne délinquance. Dans certains pays, c’est la police elle-même qui commet les crimes sans aucune crainte de poursuites. « Nous sommes là face à une incapacité des autorités à apporter une réponse susceptible d'apaiser la crainte des citoyens, tant en termes de prévention que d'élucidation des actes prédateurs» (Billard G. , Chevalier D. , Madoré F. 2005: 72).

Un trou est en train de se creuser entre le citoyen et les services de police: d’une part, le citoyen a de plus en plus tendance à porter plainte en raison de l’augmentation de la violence au quotidien et de l’autre, la police a de moins en moins d’effectifs et résout donc de moins en moins facilement les enquêtes. Un sentiment d’incompétence policière naît alors, précédant parfois celui de l’insécurité.

Dans un monde où le sentiment d'insécurité ne cesse de s'accroitre, où la tendance est vers la politique de la culture du «zéro mort», où le dédain à l'égard de la violence et la méfiance vis-à-vis des opérations de paix ne cessent de s'amplifier, dans un monde où les États sombrent dans une défaillance parfoi incontournable[1], et où s'aggrave la carence de forces militaires disponibles (réduction des forces armées et des budgets), des sociétés de sécurité privées sont apparues depuis une dizaine d'années… Elles entendent pouvoir combler ce vide.

Le principal problème qui a engendré une demande accrue de sécurité est donc le nombre important de petits délits et d'incivilités touchant les commerces et les espaces semi-publics. D’autre part, de nombreux États se trouvent face à une situation dans laquelle leurs institutions ne sont plus en mesure de répondre à la demande croissante du public en matière de sécurité, surtout avec la constante augmentation des incivilités et violences et la baisse des budgets.

Pour préserver la qualité de vie de ces milieux, il fallait réagir et trouver des réponses adéquates aux défis sécuritaires modernes, soit en prévenant ces agissements, soit en les gérant en douceur. La solution résidait alors, dans la privatisation de la sécurité. L'initiative privée se substituait à l'offre publique, puisque cette dernière ne parvenait plus à répondre efficacement à une demande croissante et légitime de sécurité. C'est donc un certain vide sécuritaire qui constitua le terrain favorable au développement des sociétés de services spécialisées, qui traitent de l’insécurité sous toutes ses formes. L'aboutissement logique de ce processus fut, bien sûr, l'explosion du marché privé de la sécurité, en Europe ou ailleurs.

Aujourd’hui, nous sommes devant un constat, ou plutôt une réalité: la sécurité est à vendre, ou plus exactement à louer. Des compagnies privées ou des entreprises qui «vendent la sécurité» prennent en charge diverses questions de sécurité dans le monde, de la formation au conseil en passant par l’intervention en zones de combat, avec de solides arguments en termes de coûts et d’efficacité.

Ces compagnies privées prétendent en effet pouvoir régler des situations conflictuelles là où les États et autres organismes ne peuvent pas ou ne veulent pas intervenir. Elles se présentent comme un substitut très pratique aux efforts que requièrent la gestion de la sécurité, soit comme un palliatif à la démission des États pour ce type de missions. Toutefois ces entreprises ne sont pas toujours comparables et n'interviennent pas dans tous les registres de la sécurisation. Convoyer des fonds, contrôler des zones d'entrepôts ou des espaces commerciaux ne requièrent ni les mêmes outils, ni les mêmes méthodes que de surveiller des espaces résidentiels (Billard G. , Chevalier D. , Madoré F. 2005: 183).

 

B- Qui sont ces sociétés de sécurité privées ?

Les compagnies privées de sécurité sont des compagnies fournissant, dans un but lucratif, des services de sécurité. Ce sont des sociétés que l’on retrouve partout dans le monde: en Afrique (Secopex et Xe…), en Afghanistan (Sandline, DynCorp…), en Colombie (EPI & Security…), en Arabie Saoudite (NEO security…) , en Géorgie (Global CST…), et, surtout, en Irak (Blackwater, Dyn.Corp…) où elles effectuent toutes sortes de missions allant du déminage à la lutte anti-terroriste en passant par la formation des membres des polices locales et la protection de sites importants. En somme, qu'ont en commun tous les organismes que l'usage courant place dans le giron de la sécurité privée? La réponse pourrait être qu'ils offriraient une sécurité ciblée, une protection qui profite en propre à un client particulier ou à un site déterminé.

Généralement, on classe les sociétés de sécurité en quatre types selon leur domaine d’application. Toutefois, il n’est pas rare de voir une firme empiéter sur le domaine de l’autre lors d’une mission, voire proposer des services dans plusieurs domaines à la fois.

Nous pouvons donc classer les sociétés de sécurité privées comme suit:

-Les sociétés de gardiennage: elles s’occupent des transports de fonds, d’armes et d’objets divers. Elles gèrent aussi la surveillance de lieux, de bâtiments ou d’événement importants.

-Les sociétés de logistique: ce sont celles qui ont l’aspect le moins militaire, elles entretiennent le matériel de l’Armée, construisent des ponts et des routes, ramassent les déchets, restaurent, entretiennent les espaces verts, livrent des repas, etc.

-Les sociétés privées de sécurité: elles fournissent des conseils de sécurité nationale, contre le terrorisme, elles entrainent des troupes et protègent du personnel.

-Les sociétés militaires privées: elles participent aux opérations militaires presque directement, disposent d’un matériel impressionnant, entrainent des troupes, etc.

Les principaux clients de ces sociétés sont aussi bien des organismes et institutions étatiques que des individus et des entreprises privées. Ces organisations multifonctionnelles offrent un large éventail de services à leurs clients non gouvernementaux et gouvernementaux. Elles ont identifié dans les pays les moins industrialisés un marché juteux, où les acteurs économiques et humanitaires sont tout particulièrement disposés à contracter leurs services dans le but de réduire risques et incertitudes qui portent atteinte à la poursuite de leurs activités.

Nous pourrons classer les partenaires du domaine comme suit:

- Les États, des gouvernements d’États affaiblis ou en proie à des mouvements sécessionnistes rebelles qu’ils ne contrôlent plus.

- Les organisations humanitaires qui entendent sécuriser leurs activités et leurs personnels.

- Les entreprises privées qui font appel à des compagnies privées pour assurer la sécurité de leurs installations et personnels.

- Les gouvernements occidentaux, pour qui les compagnies privées représentent un moyen de remplir des objectifs de politique étrangère de manière clandestine ou du moins en éludant les difficultés politiques liées aux interventions à l’extérieur des frontières. A titre d’exemple: Entraînement des troupes présidentielles camerounaises par la firme française Secrets, avec l’assentiment de Paris.

Les sociétés qui agissent au niveau national n’ont évidemment pas la même envergure, que celles qui agissent au niveau international. Les premières - celles qui nous intéressent dans cette recherche - proposent des services de gardiennage, tels que par exemple, la protection d’un bâtiment, d’un événement ou d’une personne, etc. en bref tout ce qu’on appelle le «Homeland Security». Leurs effectifs sont présents pour prévenir la délinquance et les incivilités.

En effet, ils font face aux vols, fraudes, actes de vandalisme et désordres publics, dans les supermarchés, les grands magasins, les centres commerciaux, et les hôpitaux. Dans ces espaces où se pressent des milliers de gens, il leur incombe de gérer les problèmes posés par les personnes ivres, les vandales et les malades mentaux en crise.

La seconde catégorie de firme est capable, grâce à ses nombreux effectifs et à leur matériel de pointe, de modifier le cours d’un conflit international. Toutefois, certaines firmes jouent dans les deux cours.

Il est intéressant de noter que les États ont essentiellement recours à ce genre de firmes, parce qu’elles sont beaucoup moins coûteuses que les services de la police publique locale. Paradoxalement, face à un manque de policiers en général, le nombre de policiers privés s’accroit sans cesse.

Les sociétés de sécurité privées, celles qui nous interpellent dans cette étude, assurent la sécurité dans beaucoup d’espaces privés. On les retrouve dans les supermarchés, les grands magasins, les parkings etc. À y réfléchir, nous nous rendons compte que, dans nos sociétés modernes, le phénomène de privatisation concerne déjà un grand nombre d’activités considérées comme fonctions régaliennes de l’État: entretien des routes, hôpitaux, réseaux ferroviaires, prisons, enseignement et éducation. La loi du marché capitaliste impose ses conditions même à ce niveau, rendant par-là l’obsolescence de l’État, et posant ainsi des questions fondamentales sur la nécessité des États.

Certaines sociétés, quelles que soient leurs tailles, s’accommodent du phénomène. Il ne leur est pas forcément possible de bénéficier d’agents de police pour la sécurité de l’entreprise, soit par manque de moyens financiers soit parce que la police elle-même n’est pas disponible. La sécurité privée représente alors la situation idéale, car les agents sont mieux formés pour ce type de missions (sécurité de et dans l’entreprise) et plus spécialisés. De plus, le coût est moins élevé pour l’entreprise.

Dans la majorité des pays développés (et même en voie de développement), une part importante des activités quotidiennes est placée sous l’égide de la sécurité privée. Prenons le cas des grands centres commerciaux tels qu’ils existent en Amérique du Nord. L’essentiel du «maintien de l’ordre» tel qu’il s’y déroule est assuré par des organisations privées de sécurité agissant sous contrat avec le propriétaire des lieux. De fait, la gestion de la sécurité, qui a longtemps reposé sur l'État et la solidarité du voisinage, s'est compliquée, avec cette profusion d'acteurs ayant pour vocation de participer à sa régulation (Ansidei M. , Dubois D., Fleury D. , Munier B. 1998).

Pour se prémunir de la violence du monde extérieur, les citadins les plus aisés s'en remettent en effet à ces compagnies spécialisées et beaucoup ne se déplacent plus qu'avec une arme. Les sociétés de gardiennage assurent en l'occurrence la protection de quartiers entiers: pas seulement des magasins ou des villas individuelles, mais aussi des lotissements fermés et appelés «Compounds». «Elles participent à l'édification de véritables villes fortifiées» (Billard G. , Chevalier D. , Madoré F. 2005: 22).

 De tels arrangements se développent non seulement aux États-Unis, mais également au Canada et au Royaume-Uni. «Securitas AB, une compagnie anglo-suédoise, emploie par exemple 217 000 personnes dans le monde et prétend détenir 10% de parts du marché mondial de la sécurité. Military Professional Resources Inc. – MPRI – un autre acteur majeur de l’offre privée de sécurité aux acteurs publics, se vante de compter parmi ses employés un ancien directeur adjoint du FBI, un ancien assistant du procureur général des États-Unis et de nombreux autres chefs de police à la retraite» (Dupont B. , Grabosky P. , Shearing C. , Tanner S. 2007).

Le nombre de ces compagnies mondiales de sécurité est estimé à plus d’une centaine. Selon la perspective des commanditaires publics, ils représentent comparativement un moyen bon marché, rapide et efficace dans le but de maintenir voire de rétablir l’ordre.

Une extraordinaire diversité de biens et de services est offerte sur le marché des sociétés de sécurité et de gardiennage sur lesquelles nous nous concentrons dans cette recherche. Chacune d’elle contribue d’une façon ou d’une autre à la sécurité en offrant des services de surveillance (garder un site sous observation de manière à détecter les signes de danger ou de malveillance), de contrôle des accès et d'obstacle à l'intrusion (en filtrant les entrées sur un site, et empêchant que des intrus ou des indésirables ne s'y trouvent en position de commettre un acte malveillant, et de protéger physiquement les sites et les cibles), d’investigation (recherche des auteurs de délits), de transport de fonds (rare secteur où les gardes sont armés), et d’intervention (action menée à la suite de la détection d'un incident, d'un danger, d'un intrus ou d'un délinquant), de renseignement (collecte et analyse d'informations utiles pour la planification et l'adaptation des mesures de sécurité.

Les sociétés de sécurité privées ne débordent pas seulement d’hommes, elles ont aussi toute une série d’avantages qui plaisent bien aux clients. Un des premiers gros avantages est l’adaptabilité dont elles font preuve. Elles sont disponibles pour des missions de tout type. C’est un peu comme avoir un homme à tout faire. Il y a ensuite à relever leur permanente disponibilité. Elles sont capables d’intervenir rapidement, sans avoir besoin d’obtenir l’autorisation des institutions politiques et sans froisser l’opinion publique. Cela a pour conséquence de rendre leur utilisation très discrète. Or cette discrétion est évidemment très appréciée par les clients.

L’aspect financier: utiliser les sociétés de sécurité privées est nettement moins coûteux que recourir à l’armée ou à la police. Il arrive aussi que des mesures de prévention situationnelle utilisées en sécurité privée fassent baisser les vols non seulement dans les sites protégés, mais aussi dans leurs environs immédiats qui, eux, ne jouissent pas d'une protection particulière. C'est donc dire que les services de la sécurité privée, payés par certains, bénéficient quelquefois à ceux qui ne payent pas (Ocqueteau F. 1988: 383-389).

Si nous convenons que la sécurité collective n'est rien d'autre que la somme des sécurités individuelles, alors un système de protection privé aménagé sur un site contribuera à la sécurité collective s'il prévient plus de délits qu'il n'en déplace. C’est ainsi que les sociétés de sécurité privées plaisent aussi aux compagnies et entreprises qui essaient parfois d’échapper à la solution pénale publique dans le cas de certaines infractions intérieures. Rares sont les dirigeants d'entreprises qui apprécient que les turpitudes de leurs employés soient étalées publiquement. Ils préfèrent, autant que possible, gérer le problème discrètement par la réprimande, la suspension, la demande de remboursement ou le congédiement. On comprend alors pour quelle raison les organisations payent pour obtenir, sur une base privée, la protection souple, discrète et adaptée que la justice publique ne peut leur offrir.

Plus important encore, un des aspects positifs de la sécurité privée est qu'elle n'est pas réservée aux riches, puisque d'une façon ou d'une autre, les pauvres en profitent, indirectement mais concrètement chaque fois qu'ils fréquentent les supermarchés, les centres commerciaux, les transports en commun et les hôpitaux. Dans tous ces lieux, ils jouissent d'une protection et d'une tranquillité que l'on doit en partie aux intervenants en sécurité. Dans les usines et dans toutes sortes d'entreprises, les travailleurs, y compris les plus modestes, sont aussi protégés grâce à des mesures mises en place par le secteur privé. Par conséquence, s'il est vrai que la sécurité privée est plus accessible aux riches qu'aux pauvres, ces derniers en profitent aussi à titre d'acheteurs, de clients, de travailleurs et de visiteurs dans les lieux semi-publics (Cusson M. 1998: 31-46).

 

C- Le privé et le public se concilient parfois

Par la force des choses, une division du travail de facto entre institutions étatiques et sécurité privée, s’est développée.

La première se réserve les délits commis sur la voie publique, la criminalité de violence, les vols graves, le crime organisé et les affaires de drogue. La seconde prend en charge les incivilités et la délinquance mineure ou modérément grave commise sur les sites ou à l'encontre des entreprises et autres organisations.

Un peu partout dans le monde, la tendance actuelle voit des gouvernements de tous les camps politiques transférer le fardeau du contrôle de la criminalité à leurs citoyens, ou en d’autres termes au secteur privé et communautaire. Dans ces pays, différents arrangements entre la police et le secteur privé sont mis en place, à savoir des enquêtes jointes publiques-privées; des agents publics employant ou délégant la conduite de l’enquête à la sécurité privée; des intérêts privés engageant la police publique; transferts de personnel entre les secteurs public et privé. Par conséquent, dans les sociétés industrielles développées, les effectifs des entreprises privées de sécurité dépassent désormais ceux de la police publique.

Certaines sociétés de gardiennage collaborent étroitement avec la police. Cette collaboration revêt plusieurs aspects dont notamment: alerter immédiatement par téléphone la police, arrêter les individus surpris en flagrant délit de vol et les remettre à la police, fournir à cette dernière des renseignements sur les individus suspects dans le quartier dans lequel ils travaillent quotidiennement. Dans le cas des vols, certains rares vols à l'étalage sont signalés à l'attention policière si la valeur du bien volé est relativement élevée, ou le voleur opère avec un ou des complices, ou si le voleur s'exécute avec une habileté qui donne à penser qu'il est un récidiviste, ou qu’il se rebelle et menace les agents ou nie les faits et refuse de décliner son identité (Cusson M. 1998: 31-46).

Comme la sécurité particulière coûte beaucoup moins cher que la police, cette division du travail s'impose même aux administrations publiques: les ministères et les régies d'État font volontiers appel à des agences de gardiennage pour surveiller leurs sites. Les États ont essentiellement recours à ce genre de firmes, parce qu’elles sont beaucoup moins coûteuses que les services de la police publique.

Par ailleurs, certaines situations peuvent requérir une assistance extérieure spécialisée pour une brève période. Par exemple, la sécurité des Jeux Olympiques australiens, en 2000, a impliqué la collaboration d’institutions publiques et privées dont les services de police de Nouvelle Galles du Sud, les Forces de Défense australiennes et des sociétés de sécurité privée. Lors de tels événements, la police publique est à la fois fournisseuse et consommatrice de services.

Dans ce genre d’événements, les arrangements entre la police publique et privée reposent sur de nombreux critères: des enquêtes conjointes publiques-privées-agents publics employant ou délégant la conduite de l’enquête à la sécurité privée- intérêts privés engageant la police publique- nouvelles configurations dans lesquelles la distinction entre public et privé s’estompe- transferts de personnel entre les secteurs public et privé. Idem à Londres, août 2012.

 

D- Le revers de la médaille: des gardes au-dessus de tout soupçon?

Cependant, les sociétés de sécurité privées ne comportent pas seulement des avantages. Pour les soldats officiels, la situation est délicate. Comment sont-ils sensés s’adresser à de tels organismes? Doivent-ils les considérer comme soldats ou comme simples civils? Peut-être faudrait-il créer un troisième statut spécialement à leur égard?

Ces firmes portent aussi relativement atteinte à l’image de la démocratie, surtout dans des pays comme l’Irak. Les scandales sont nombreux et touchent beaucoup de sociétés différentes: BlackWater ouvre le feu sur la population lors de ses opérations en Irak; Dyn.Corp. est accusée de proxénétisme en Bosnie; CACI International et Titan Corp. de torture dans les prisons irakiennes; Kellog Brown B. and Root (KBR) de surfacturation; Halliburton de ventes d’armes illégales, etc. Ces scandales sont d’autant plus graves qu’ils restent impunis, la sanction la plus lourde étant le licenciement. Ce qui n’empêche pas les agents licenciés, comme cela s’est déjà produit, de se faire engager par une autre société et de recommencer toutes ces atrocités !

Prenons justement le cas des États-Unis et de l’Irak. Ce que désiraient les Américains, c’est instaurer une démocratie dans ce pays qui, il n’y a pas longtemps, était encore sous régime dictatorial. Du moins c’est ce qui a été officiellement proclamé. Il est donc nécessaire de donner une bonne image de la démocratie. Mais que doivent penser les Irakiens qui voient ces sociétés agir seulement au nom du profit et qui commettent les pires exactions sans recevoir la moindre sanction de la part de leur gouvernement? Est-ce vraiment le bon exemple?

De nos jours, de plus en plus de sociétés de sécurité privées font l’objet de débats. Ne sont-elles pas une porte ouverte à tous les abus? Vont-elles remplacer l’Armée ou la police? En matière de respect des droits de l’Homme, l'implication de la société Blackwater dans la mort de civils irakiens illustre bien le danger induit par la privatisation de la sécurité. Peut-on alors voir dans ces entreprises la simple filiation des mercenaires d'antan et proposer leur interdiction pure et simple en considérant qu'elles remettent en cause le monopole de la violence légitime de l'État (Bigo D. 2003 )?

Pour toutes ces raisons, la légitimité du secteur de la sécurité privée reste sujette à controverse. L'idée que le marché puisse s'immiscer dans ce qui est considéré comme une juridiction exclusive de l'État paraît très négative: l'irruption de la logique du profit dans une activité traditionnellement justifiée par le bien commun est mal vue et éthiquement contestable. Il va sans dire que le fait de confier des missions de sécurité, d’intérêt général par définition, à des compagnies dont le profit guide l’action, est un fait inquiétant en soi; il remet en question plus de 300 ans d’évolution depuis les pouvoirs absolus à celles des démocraties.

Cette recherche du profit peut avoir pour conséquence une dégradation au niveau de la qualité dans les moyens mis en œuvre par ces compagnies, pour remplir leurs objectifs. On craindrait d’autre part, de possibles violations des droits de l’homme et des normes internationales. Nombreux rapports détaillés existent déjà, faisant état de torture et de ciblage de civils. Des compagnies privées ont à plusieurs reprises défié l’ONU en livrant des armes à des belligérants dans des États sous embargo (ce fut le cas au Rwanda et en Sierra Leone, avec la firme Sandline) (Banégas R. 1998).

Les reproches contre ceux que d'aucuns appellent vigiles ne sont pas minimes: ces sociétés de sécurité privées ne risquent-t-elles pas de devenir une puissance qui serait encore plus difficile à contrôler que ne l'est la police? (Christie N. 1993).

D'autre part, selon Christie (1993) cette police privée qui protège les riches réduit chez ces derniers la motivation à payer pour une police publique dont les pauvres profiteraient[2]. L'hypothèse ne manque pas de vraisemblance. L'argument selon lequel la sécurité privée est un luxe auquel les pauvres n'ont pas accès nous semble contenir une part de vérité. D'autant plus que les pauvres sont plus souvent victimaires à leur tour. Ce sont là à notre sens, les limites d'un système de sécurité intérieure purement privé. Dans tout cela, l'appareil répressif de l'État reste nécessaire dans le but de minimiser les inégalités devant le crime en protégeant les pauvres comme les riches. Reste à savoir si une police publique efficace et neutre est possible et si elle contribue, par son activité «normale», à la sécurité des classes inférieures, réduisant ainsi les inégalités de traitement entre les riches et les pauvres.

Le motif d'inquiétude le mieux fondé nous semble lier à la qualité du personnel de base des sociétés de sécurité privées. Les gardes de sécurité sont-ils suffisamment compétents et intègres? Patrice Ribeiro , Secrétaire général du syndicat d’officiers de police en France, déclare dans le quotidien français La Croix: «personne n’a envie qu’un agent de sécurité ayant un casier judiciaire fouille son sac à main» (Boeton M. 2010).

Il faut bien dire que les clients des agences de sécurité à contrat profitent de bas tarifs. Mais ils n'en ont que pour leur argent. Les dirigeants des agences ne peuvent pas se permettre d'être regardants à l'embauche, s'ils n'offrent pas des salaires alléchants. Qui plus est, les horaires de travail des gardes sont souvent aléatoires et les tâches fastidieuses. Tout cela engendre un fort roulement du personnel et des difficultés de recrutement.

Le gardien qui a accès à un matériel confidentiel ou à des objets précieux serait tenté de commettre des vols ou d’abuser de la confiance placée en lui. En l'absence d'une sélection rigoureuse du personnel, on court le risque d'embaucher des individus d'une moralité douteuse ou même des délinquants qui se feront engager précisément pour s'infiltrer là où ils peuvent commettre des délits (South 1988). La célèbre question que posaient les Romains reste donc d'actualité: qui gardera nos gardiens?

Il ne faudra pas négliger d’examiner, à quel point le développement de la sécurité privée suscite inquiétude et irritation dans les rangs policiers. Coup sur coup, l'organisation, le 15 décembre 2008, d'un premier Sommet européen de la sécurité privée au ministère de l'Intérieur français, puis l'annonce, le lendemain, de la création de 100 000 emplois dans ce secteur d'ici à 2015, n'ont pas été sans effets sur le secteur militaire. Les policiers ont eu tôt fait de comparer ces créations d'emploi avec la suppression de près de 8000 postes prévus au sein de la police et la gendarmerie d'ici à 2012 (Le Monde 20 décembre 2008).

Mais posons-nous la question de savoir si après tout, les services de sécurité jouissent-ils de pouvoirs exorbitants? Il faut d'abord savoir qu'ils sont limités par les lois et les chartes. En effet, le 17 septembre 2008, 17 États dont la France, les États-Unis et l’Irak (seul pays arabe) ont signé l’Accord de Montreux. C’est le premier accord écrit de ce genre. L’accord décrit le droit international qui pourrait être appliqué aux entreprises militaires de sécurité privée dans les zones de conflits armés. Le Liban ne fait pas partie des pays ayant ratifié cet accord.

Par ailleurs, au Québec, la grande majorité des agents de sécurité n'ont pas plus de pouvoirs que ceux reconnus par la loi à un simple citoyen qui prend un voleur sur le fait. Ils n'ont ni le droit de fouiller ni celui d'user de la force (Gagnon, 1995). Le Code civil protège le citoyen contre les atteintes à sa vie privée et il balise très strictement le pouvoir des agences de sécurité. Ces dernières s'exposent à des poursuites judiciaires si elles font intrusion dans la vie privée.

De ces nombreuses données sécuritaires, nous conclurons cette recherche par une récapitulation qui s’impose. Dans les pays occidentaux, l’observation des stratégies de lutte contre l’insécurité urbaine démontre une évolution des tactiques dans le sens d’une «coproduction» de la sécurité. Les institutions étatiques ne monopolisent plus la production de la sécurité. En raison de plusieurs facteurs, un transfert de taches s’effectue de l’Étatique vers le privé, et ce dans le but de contrecarrer la violence et de répondre aux défis contemporains.

La sécurité privée est donc devenue actuellement un acteur essentiel de l’économie. En dépit des interrogations et des revers, son action serait aussi un principal palliatif à l’action de l’État dans le domaine de la protection et de la sécurité.

Si le marché de la sécurité s’est bien développé dans le monde, cependant l’exemple des Émirats Arabes Unis, et notamment Dubaï, demeure l’exemple le mieux réussi. Les EAU sont un des pays les plus sûrs dans le monde et Dubaï est la ville la plus sûre au monde. Dans cet Émirat où les affaires et le tourisme ainsi que l’immobilier et les services financiers représentent la plus grande partie des revenus, il est particulièrement important, dans la stratégie de police de Dubaï, que cette ville ne soit ternie par aucun échec de sécurité - crime de rue ou attaques terroristes - qui restreindrait le libre mouvement des personnes et activités économiques. Ceci se fait cependant de la façon la moins lourde, ou encore la moins visible, grâce à des sociétés de sécurité qui jouent un rôle central dans la structure de la sécurité en général. Les missions confiées au secteur privé touchent des secteurs spécifiques: sécuriser les endroits privés ouverts au public comme les centres commerciaux, les banques, les hôtels, les hôpitaux, les aéroports; convoyer des fonds; garantir la sécurité des événements marquants et protéger les personnalités très importantes.

Une des caractéristiques du système mis en œuvre par les autorités de Dubaï est qu'il est principalement basé sur la haute technologie, avec une dépendance réduite à la main d'œuvre. Ce serait peut-être un exemple de ce qu’on pourrait appeler une sécurité invisible. À l'aéroport international de Dubaï, par exemple, les voyageurs ne sont point anéantis par le sentiment d'entrer dans un secteur fortement sécurisé: policier ou militaire en uniforme ne sont guère visibles, aucun secteur pour les contrôler. Dans les centres commerciaux de la ville, le visiteur n’aura pas à passer par des détecteurs de métaux, ni son sac ne sera fouillé non plus. Et pourtant les dispositions de sécurité sont partout, sans que personne ne le sache ou le sente. Ceci prouve que le gouvernement investit beaucoup dans la sécurité car ce genre de sécurité est surtout basé sur l'utilisation des derniers systèmes électroniques de pointe. Les caméras sont partout. La haute technologie est essentielle: des caméras intelligentes, exceptionnellement coûteuses sont bien installées, mais n’exigent que très peu de personnes pour contrôler ce qui se passe. Il faut l’avouer, un tel système a prouvé être fructueux pendant les 20 dernières années, le taux de crime étant très bas à Dubaï.

Le phénomène de multiplication des firmes de sécurité privée a aussi touché Beyrouth. Des agents de sécurité privée se déploient sur les routes protégeant des immeubles résidentiels, des bureaux de travail et des ambassades. En sécurisant institutions privées, immeubles et autres, les agences privées contribuent effectivement, à une échelle sociale (celle de l’insécurité liée aux risques sociaux), à la diminution du sentiment d’insécurité chez les citoyens.

La demande sur le marché de la sécurité privée se multiplie et le nombre de ces firmes a au moins décuplé.  Beyrouth constitue effectivement un terrain favorable à la multiplication des firmes de sécurité privée. Sur une population de 1.300000, on a recensé 50 sociétés de sécurité privée en 2009. C’est donc un acteur important du secteur de l’économie. Le total des personnes travaillant dans le domaine s’élèverait à presque 25000 personnes alors que les effectifs de la police s’élèvent à 20000 personnes. Environ 15000 anciens soldats de l'Armée travaillent aujourd'hui dans le secteur privé de la sécurité. Précisons toutefois que l’agence Hawk, affiliée à la société Solidere[3], fait exception quant à son nombre d’effectifs puisqu’elle compte à elle seule, 870 agents environ. L’agence Hawk est actuellement considérée comme la plus grosse boîte de sécurité privée à Beyrouth.

Bien qu’elles soient supposées compléter le travail des institutions étatiques, certains s’inquiètent quand même de l’expansion des agences de sécurité privée s’interrogeant sur les véritables fonctions de ces sociétés dans la petite ville de Beyrouth?

De par les suspicions qui pèsent sur leurs véritables fonctions et de par la polémique suscitée autour de leurs véritables activités, les caractéristiques de l’espace sociopolitique libanais pourraient produire un terrain propice à de nombreux débordements, ce qui expliquerait, très probablement, le refus du ministère de l’intérieur à accorder des licences légaux à ces agences, ainsi que le caractère opaque que revêt le véritable statut de ces firmes, d’une part, et le manque de précision et de transparence des règles régissant ce secteur, si jamais il y en a, d’autre part.

 

Bibliographie

 

-   Ansidei M., Dubois D., Fleuri D., Munier B. 1998, «Les risques urbains: Acteurs, systèmes de prévention», Paris, Economica, 286 p.

-   Banégas R. 1998, «De la guerre au maintien de la paix: le nouveau business mercenaire», Critique internationale (Paris), I: 1. pp.179 – 194.

-   Bigo D. 2003, « Éditorial - Les entreprises de coercition para-privées: de nouveaux mercenaires?», Cultures & Conflits, [En ligne], No 52. http://conflits.revues.org/index 973. html (consultée le 02 juillet 2012).

-   Billard G., Chevalier J., Madorée F. 2005, «Ville fermée, ville surveillée, la sécurisation des espaces résidentiels en France et en Amérique du Nord», Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 230 p.

-   Christie N. 1993, «Crime control as industry», London, Routledge, 192 p.

-   Boeton M. 2010, 04 novembre, «Le rôle des sociétés privée de sécurité se renforce», La-Croix, [En ligne].

-   Cusson M. 1988, «La sécurité privée: le phénomène, la controverse, l’avenir», Criminologie, XXXI : 2. pp. 31 – 46.

-   Dupont B., Grabosky P., Shearing C., Tanner S. 2007, «La gouvernance de la sécurité dans les États faibles et défaillants», Champ pénal/Penalfield, IV, [En ligne]. http://champpenal.revues.org/620 (consultée le 12 juillet 2012).

-   Gagnon I. 1995, «Politiques et pratiques de renvoi au pénal: le cas d’une agence de sécurité privée à contrat», Montréal, Mémoire de Maîtrise - École de criminologie, Université de Montréal, 326 p.

-   Le Monde, 20décembre2008

-   Loubet del Bayle J.-L. 1992, «La Police : Approche socio-politique», Paris, Montchrestien, 158p.

-   Ministère de la Sécurité Publique - Canada, 2003, «Livre Blanc, la sécurité privée: partenaire de la sécurité intérieure», sur le site Sécurité Publique de la Gouvernement Canadienne.

-   Ocqueteau S. 1988, «Une réglementation française sur le secteur de la sécurité privée, pourquoi?», Déviances et sociétés, XII: 4. pp. 383 – 389.

-   South N. 1988, «Policing for profit», London, Sage, 180 p.

-   Verbiest Th., Wery É., Mélardy S. 2004, «Les consultants en sécurité informatique tenus d’obtenir un permis spécial pour poursuivre leurs activités?»

 

[1]-   On observe de par le monde le désengagement des États pour des raisons politiques et parfois stratégiques (restructuration et mobilisation des Armées, manque d'expertise professionnelle spécialisée, notamment dans le domaine des technologies de l’information), une dilution de l’autorité de l’État, une perte de contrôle de phénomènes dont la gestion devrait être du ressort de celui-ci, détenteur du monopole de la violence légitime.

 

[2]-   » A private police, caring for those able and willing to pay might reduce the interest among the upper classes in having a good public police... and thus leave the other classes and the inner cities in an even worse situation»

 

[3]-   La compagnie libanaise pour le développement et la reconstruction du centre-ville de Beyrouth.

 

في تقاطع الأمن الذاتي


في حين أن العالم أجمع ينحو باتجاه الأنشطة العسكرية الخاصة وشركات المراقبة التي ولدت في العراق منذ العام 2003، فإن ظهور قطاع أمن مسوق وتطويره في باقي الدول العربية قد تم تجاهله بشكل تام.
في العديد من القطاعات، تم توظيف مرافقين خاصين لضمان أمن المراكز التجارية، الفنادق، المصارف، الأحياء السكنية أو المباني الرسمية، والهدف هو تحويل "المدن" إلى "مدن أكثر أمناً". إن خصخصة الأمن أو جعله تجارياً، أصبح أمراً واقعاً في العالم العربي، ولو أنه اتخذ أشكالاً عدة بحسب كل بلد. أبعد من هذه النظرة، يظهر التحليل أمراً ضرورياً من أجل رسم بالدرجة الأولى، صورة أكثر وضوحاً للأشكال المختلفة التي اتخذتها خصخصة الأمن في العالم وفي البلدان العربية، وثانياً، من أجل رؤية ما إذا كانت هذه التطورات قد كان لها تأثير على عمل أجهزة الأمن والأنظمة بحد ذاتها.
من أجل ذلك، من الضروري إجراء دراسة للميزات الأساس لخصخصة الأمن في هذه البلدان من أجل استخلاص استنتاج للمعنى السياسي لهذه الظاهرة. غير أن هذا الأمر لا يحصل من دون طرح سؤال حول هذا النشاط الذي لا يشبه غيره: هل هو نشاط هدفه كسب المال كوسيلة لحفظ أمان المجتمع؟