Gouvernance Globale : Bilan et Perspectives

Gouvernance Globale : Bilan et Perspectives
Préparé par: Bachir El-KHOURY
Chercheur

Introduction :

Depuis quelques années, la gouvernance fait l'objet d'un grand nombre de travaux marqués par une hétérogénéité due à l’aspect vague et confus qui entoure cette notion. En effet, ceux-ci relèvent de disciplines variées allant de l'économie institutionnelle aux relations internationales en passant par l'économie ou la sociologie, l'économie du développement, la science politique 

L'appropriation de cette notion par différents courants de pensée fait que le terme de  "gouvernance " revêt aujourd'hui de multiples significations et se prête à des usages multiples. Le terme peut ainsi être associé à toute  politique publique ou privée, ce qui nous permet de parler de gouvernance dans le domaine interne à l’Etat, comme dans le domaine international. C’est alors que nous pouvons parler de gouvernance globale ou mondiale, de gouvernance économique (qu’elle soit publique celle de la politique économique de l’Etat, ou alors privée comme celle des multinationales, elle pourrait encore revêtir un aspect supra-national quand nous parlons du rôle joué par des instances économiques internationales comme le FMI), et enfin la gouvernance peut être utilisée en termes de politique intérieure dans le but d’évaluer la pratique politique de l’Etat, en se basant sur des normes universellement admises et qui sont celles édictées par la Charte des Nations-Unies.  

Afin de pouvoir faire le point sur la notion de gouvernance, nous adopterons la démarche bilan et perspective. Le bilan qui sera abordé dans une première partie comportera la genèse de ce principe, son champ de manœuvre, et la finalité de son utilisation sur la scène mondiale. Tandis que les perspectives posées par la notion de gouvernance seront exposées dans une seconde partie dans laquelle nous essayerons de dégager ce que serait une bonne gouvernance.

 

I - De son origine à sa finalité, en passant par son champ de manœuvre: bilan de la notion de gouvernance

A. une notion d’origine économique

Le terme de "governance" est apparu il y a plus d'un demi-siècle chez les économistes américains. Ronald Coase, jeune économiste, publie en 1937 un article, "The Nature of the firm" dans lequel il explique que la firme émerge car ses modes de coordination internes permettent de réduire les coûts de transaction que génère le marché; la firme s'avère plus efficace que le marché pour organiser certains échanges. Cette théorie, redécouverte dans les années 70 par un économiste faisant partie du courant institutionnaliste, Olivier Williamson, qui définit la gouvernance comme les dispositifs mis en oeuvre par la firme pour mener des coordinations efficaces qui relèvent de deux registres: protocoles internes lorsque la firme est intégrée (hiérarchie) ou contrats, partenariat, usage de normes lorsqu'elle s'ouvre à des sous-traitants ([1]) Le terme "corporate governance", qu'on peut traduire par gouvernance d'entreprises, va ensuite être utilisé dans les milieux d'affaires américains tout au long des années 80.

 La notion de gouvernance fait par ailleurs son apparition à la fin des années 80 dans un autre champ, celui des relations internationales. Le terme de " good governance " est employé par les institutions financières internationales pour définir les critères d'une bonne administration publique dans les pays soumis à des programmes d'ajustement structurel. Les organismes de prêt internationaux préconisent par le biais de cette notion des réformes institutionnelles nécessaires à la réussite de leurs programmes économiques.

Le terme de gouvernance aurait donc été importé du monde de l'entreprise pour désigner des modes nouveaux de coordination et de partenariat, différents du marché, et se situant au niveau du pouvoir politique.

 

B. Le secteur public comme principal champ d’opération de la gouvernance :

Bien que la notion de gouvernance soit employée par des courants de pensée différents avec des finalités différentes, il est possible de déterminer quels sont les éléments communs auxquels se réfèrent les différentes approches lorsqu'elles utilisent ce terme.

Le terme de gouvernance est apparu pour rendre compte des transformations des formes de l'action publique. La gouvernance se définit de manière générale comme "un processus de coordination d'acteurs, de groupes sociaux, d'institutions, pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés et incertains" ([2])  ou encore comme "les nouvelles formes interactives de gouvernement dans lesquelles les acteurs privés, les différentes organisations publiques, les groupes ou communautés de citoyens, ou d'autres types d'acteurs, prennent part à la formulation de la politique" ([3]) Dans son rapport daté de 1995, la Commission sur la gouvernance mondiale ([4])définit la gouvernance comme "la somme des différentes façons dont les individus et les institutions, publics et privés, gèrent leurs affaires communes. C'est un processus continu de coopération et d'accommodement entre des intérêts divers et conflictuels. Elle inclut les institutions officielles et les régimes dotés de pouvoirs exécutoires tout aussi bien que les arrangements informels sur lesquels les peuples et les institutions sont tombés d'accord ou qu'ils perçoivent être de leur intérêt" ([5]).

 

La gouvernance met l'accent sur plusieurs types de transformation des modalités de l'action publique :

- Elle repose sur une dénonciation du modèle de politique traditionnel qui confie aux seules autorités politiques la responsabilité de la gestion des affaires publiques. Elle se distingue donc de l'idée classique du gouvernement. Le gouvernement se caractérise par la capacité de prendre des décisions et de pouvoir les appliquer en vertu d'un pouvoir coercitif légitime dont les institutions de gouvernement ont le monopole. Avec la notion de gouvernance,on remarque un grand changement vers ce qui serait une modernité politique, selon Jean-Pierre GAUDIN, le "rôle surplombant de contrôle et de commandement, centré sur une construction institutionnelle est remis en cause au profit d'une approche plurale et interactive du pouvoir " ([6]) Cette conception repose sur l'hypothèse selon laquelle les sociétés connaissent actuellement une crise de la gouvernabilité, donc des problèmes d'échec à gouverner . La gouvernance apparaît alors comme la meilleure réponse possible aux contradictions engendrées par le développement politique et social, comme un moyen de répondre à la crise par de nouvelles formes de régulation. 

- Elle met l'accent sur la multiplicité et la diversité des acteurs qui interviennent ou peuvent intervenir dans la gestion des affaires publiques. La crise de la gouvernabilité invite en effet les Etats, les collectivités territoriales, les organismes internationaux ou les différentes régions du monde à se tourner vers des interlocuteurs, tels que les organisations à but non lucratif, les entreprises privées et les citoyens, qui sont en mesure de trouver des solutions aux problèmes collectifs que rencontre la société. C’est ainsi que  la gouvernance attire l'attention sur le déplacement des responsabilités qui s'opère entre l'Etat, la société civile, et le  marché. Ce relais de responsabilités est du à l importance croissante  de nouveaux acteurs qui sont associés au processus de décision,  et qui agissent sur le déplacement des frontières entre le secteur privé et le secteur public. Les autorités publiques qui s'en remettent davantage au secteur privé et voient leur rôle modifié ; d'interventionnistes, elles doivent passer à un rôle de d’agent qui a pour rôle de faciliter, de stratège, d'animateur et de régulateur.

- La notion de gouvernance met également l'accent sur l'interdépendance des pouvoirs associés à l'action collective. La gestion des affaires publiques repose sur un processus d'interaction/négociation entre intervenants hétérogènes. "Dans la nouvelle gouvernance, les acteurs de toute nature et les institutions publiques s'associent, mettent en commun leurs ressources, leur expertise, leurs capacités et leurs projets, et créent une nouvelle coalition d'action fondée sur le partage des responsabilités" ([7]). Cette interaction est rendue nécessaire par le fait qu'aucun acteur, public ou privé, ne dispose des connaissances et des moyens nécessaires pour s'attaquer seul aux problèmes. La gouvernance implique donc la participation, la négociation et la coordination. Une large place doit être faite à l'espace public, "celui dans lequel les différentes composantes de la société affirment leur existence, entrent en communication les unes avec les autres, débattent en exerçant leur pouvoir d'expression et de critique" ([8]). Ces négociations doivent permettre de dépasser les intérêts divers et conflictuels et éventuellement de parvenir à un consensus..

En résumé, la gouvernance trouverait donc son fondement dans un dysfonctionnement croissant de l'action publique qui ne serait sans engendrer de nouvelles modalités de régulation publique. Celles-ci consistent à associer à la gestion des affaires publiques d’ acteurs, membres de la société civile, professionnels, citoyens. A  travers ce processus de participation et de négociation, le but sera de déboucher sur des objectifs et des projets communs. On peut toutefois légitimement se demander à quelles fins la notion de gouvernance est utilisée.

 

C. Efficacité et  Libéralisation : des finalités en vue desquelles oeuvre la gouvernance.

La notion de gouvernance, a, sans doute, une valeur analytique. Elle permet de mettre en évidence des phénomènes tels que la relativisation des frontières institutionnelles ou l'existence de mécanismes de coopération et de négociation dont l'ampleur ne peut être saisie par la notion de gouvernement. La notion de gouvernance fournit donc un cadre conceptuel qui permet de penser et de comprendre l'évolution des processus de gouvernement. Elle offre une nouvelle  lecture ainsi qu’un nouveau système de référence qui remet en question une grande partie des présupposés traditionnels de la notion de gouverner.

 La gouvernance permet alors de rendre compte de l'articulation de régulations, de "processus politiques et sociaux d'intégration, d'élaboration de projets collectifs, d'agrégation de différents intérêts recomposés et représentés sur une scène extérieure" ([9]) (Patrick Le Galès). La notion de gouvernance permet d'aller au-delà des problèmes de coordination et d'efficacité en intégrant une dimension politique et sociale. La réflexion porte non plus seulement sur les modes les plus efficaces et efficients du  management de la société mais aussi sur l'exercice du pouvoir et de la domination. c’est ainsi qu’on est projeté, non pas dans une perspective économiste de la gouvernance, mais dans celle qui touche directement au champ de la sociologie politique et des relations internationales.

il est d’abord très difficile de placer la gouvernance dans un seul cadre idéologique, vu l’aspect vague que cette notion développe. Il n'existe pas ainsi de position commune sur les finalités de la gouvernance. La gouvernance constitue pour certains un instrument au service de la poursuite de la libéralisation des sociétés dans la mesure où elle consiste à limiter le rôle des gouvernements, et à faire entrer dans le processus de décision des acteurs non-gouvernementaux en privatisant les entreprises et certains services publics, en dérégulant et en déréglementant les modes traditionnels. Les tenants d'une approche "économiste", gestionnaire de la gouvernance dissimulent fréquemment leurs intentions qui ne sont autres que l'extension du marché capitaliste. Pour d'autres, principalement ceux qui développent une approche en termes de pouvoir, la gouvernance est perçue comme une voie ouverte à la démocratisation du fonctionnement étatique, à la mobilisation civique et aux initiatives locales et citoyennes.

En définitive, la notion de gouvernance offre une grille d'interprétation nouvelle du politique et des relations entre les institutions et le politique non-institué. Cette grille d'analyse est appliquée à tous les processus de gouvernement, du gouvernement mondial au gouvernement local et concerne les pays développés comme les pays en développement. Suivant les choix idéologiques qu'elle recouvre, la gouvernance consiste à réformer les institutions politiques pour limiter les entraves au bon fonctionnement du marché (conception dominante dans le champ des relations internationales) ou au contraire à renforcer les mécanismes de régulation pour lutter contre les méfaits du libéralisme et en particulier contre la décohésion sociale.

 

II - La "Bonne Gouvernance": une perspective incontournable du système international actuel.

Les réflexions en termes de gouvernance, développées dans le champ des relations internationales, ont été appliquées plus spécifiquement dans le cadre des relations avec les pays en développement. Ces projets pour les pays en développement n’ont pas toujours été favorables, et c’est ce que nous verrons dans le titre suivant.

 

A. Des problèmes politiques enfoncés en termes techniques par les institutions financières internationales.

Le terme de gouvernance est apparu à la fin des années 80 dans le vocabulaire de la Banque Mondiale, à l'occasion de bilans sur la politique d'ajustement structurel menée depuis 1980. Confrontés aux échecs répétés des programmes économiques d'inspiration néo-libérale mis en place par les institutions financières internationales dans un ensemble de pays en voie de développement, les experts incriminent le cadre politico-institutionnel défaillant de ces pays et recommandent d'agir en amont sur leur mode de gouvernement. Selon les experts, ce sont ces distorsions d'ordre politique qui sont à l'origine de la plupart des problèmes économiques rencontrés en Afrique, en Amérique Latine, en Europe orientale ou encore dans les pays de l'Est.

Les institutions financières internationales ont en effet pris conscience qu'il était impossible de tout régler par des réformes économiques et de continuer à reléguer les questions politiques et sociales au second plan dans le débat sur le développement. Peu à peu, il est apparu qu'aucun projet économique ne pouvait aboutir sans une légitimité politique et une efficacité minimum des institutions politiques. Le politique a donc bien vite été perçu comme un obstacle au bon fonctionnement des marchés et d'une manière générale à la progression du libéralisme dans ces pays.

Pour s'occuper de questions d'ordre politique, la Banque Mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et les banques régionales de développement ont cependant dû contourner un obstacle de taille, celui de leur statut qui leur interdit expressément d'intervenir dans le champ politique ([10]) Pour pouvoir agir sur des questions hors de leur compétence, mais ayant des incidences fortes sur le succès des programmes de prêt, les institutions financières internationales ont fait appel à la notion de gouvernance. Celle-ci présente l'avantage de libeller en termes techniques des problèmes éminemment politiques et donc d'éviter de parler de "réforme de l'Etat" ou de "changement social et politique". Les organismes de prêt internationaux ont ainsi trouvé une parade leur permettant d'échapper aux critiques les accusant d'outrepasser leurs compétences ou condamnant leur ingérence dans la politique intérieure et l'administration des pays emprunteurs.

Un volet " bonne gouvernance " a donc été introduit dans les programmes des organismes internationaux de financement. Des réformes institutionnelles ont été préconisées au côté des programmes économiques, justifiées par la poursuite du développement économique. ces  réformes ont été promues non pas pour que s'affirment les considérations sociales et politiques sur l'économique mais bien pour rendre ces programmes plus efficaces.

 

B. La bonne gouvernance et la définition d’un nouveau modèle politique pour les pays emprunteurs

La gouvernance n'a jamais fait l'objet de définition précise dans le contexte des politiques de développement. La Banque Mondiale traduit la gouvernance comme "la manière par laquelle le pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économiques et sociales d'un pays au service du développement". Le Comité d'aide au développement de l'OCDE, dont les travaux sont étroitement liés à ceux de la Banque Mondiale, la définit comme "l'utilisation de l'autorité politique et l'exercice du contrôle en rapport avec la gestion des ressources d'une société en vue du développement économique et social".

La notion est en fait utilisée de façon exclusivement normative par les organismes de prêt internationaux pour désigner les institutions, les pratiques et les normes politiques nécessaires en théorie à la croissance et au développement économique des pays emprunteurs. La Banque Mondiale énonce quatre conditions à l'établissement de la bonne gouvernance : l'instauration d'un Etat de droit qui garantisse la sécurité des citoyens et le respect des lois (indépendance des magistrats), la bonne administration qui exige une gestion correcte et équitable des dépenses publiques, la responsabilité et l'imputabilité (accountability) qui imposent que les dirigeants rendent compte de leurs actions devant la population et enfin la transparence qui permet à chaque citoyen la participation à la vie politique de son pays, ainsi que son droit à être informé constamment et d’une manière objective  ([11]).

L'Etat de droit est ici au coeur de la bonne gouvernance. Il s'agit de mettre en place "un système de règles qui soient réellement appliquées et d'institutions qui fonctionnent vraiment et assurent une application appropriée de ces règles". Pour cela, il est nécessaire que la vie publique soit "moralisée", c'est-à-dire que les dirigeants politiques soient désormais responsables de leurs actes devant les citoyens, et donc que soit engagée la lutte contre la corruption. La bonne administration publique implique certes plus d'efficacité mais aussi plus de morale. La gouvernance est en fait fondée sur un ensemble de règles de morale publique. Elle ne se limite donc pas à définir le rôle de l'Etat par rapport au marché mais traite également de l'éthique du gouvernement.

Les conditions posées par la Banque Mondiale, conditions qui déterminent l'octroi des prêts, impliquent plusieurs types de réformes à même de faciliter l'application et la réussite des programmes économiques. Les programmes de réformes qui ont été financés ces dernières années par la Banque Mondiale sous la rubrique "bonne gouvernance" ont trait à l'amélioration de la gestion du secteur public (réforme de la fonction publique), au perfectionnement des méthodes de comptabilité et de vérification des comptes, à la décentralisation de certains services publics, à la privatisation d'entreprises publiques, à la mise en place d'infrastructures juridiques et judiciaires compatibles avec l'entreprise privée.

mais reste à rappeler que la bonne gouvernance ne se limite exclusivement pas à assurer les intérêts de l’entreprise privée, et c est justement là que réside l importance de cette notion vis a vis de l Etat lui même, la société civile et les acteurs privés.

 

C. Limitation du rôle de l’Etat insistance sur la société civile et les acteurs privés

Le but affiché par la Banque Mondiale et, à sa suite, par toutes les agences de coopération, le PNUD et les bailleurs de fonds bilatéraux est clair : il s'agit de limiter les prérogatives de l'Etat et de renforcer les acteurs de la société civile. Le rôle unique de l'Etat est cependant reconnu ; il doit assurer un fonctionnement efficace du marché, notamment en protégeant la propriété privée et la sécurité des investissements, et mettre en place des mesures correctives lorsqu'il est défaillant. Par ailleurs, l'Etat seul est en mesure de fournir des services publics tels que l'éducation, la santé et les infrastructures essentielles.

En fait, les organismes de financement internationaux ont eu tendance, dans leur discours, à opposer de façon artificielle l'Etat à la société civile. Ils ont laissé entendre que l'affaiblissement de l'Etat était nécessaire à l'émergence d'une société civile, capable de prendre part à la réforme d'institutions politiques figées. La privatisation et la décentralisation ont été présentées comme permettant de renforcer l'esprit d'initiative des populations, leur autonomie et leur participation au développement de leur pays. Les réformes institutionnelles recommandées au nom de la bonne gouvernance ont donc été associées de manière quelque peu abusive à la défense de la démocratie. Les quatre conditions énoncées par la Banque Mondiale sont présentées comme un moyen de faire progresser davantage la démocratie dans les pays emprunteurs.

Les institutions bilatérales des pays de l'OCDE ont d'ailleurs apporté leur soutien à de nombreux groupes au sein de la société civile des pays en développement, ce qui a permis de rendre crédible l'idée selon laquelle le mouvement de démocratisation allait prendre de l'ampleur dans plusieurs pays du tiers-monde. Mais les initiatives que l'aide étrangère a financé ont surtout été des initiatives d'auto-organisation des populations pour lutter contre la pauvreté et le dénuement générés par les crises économiques. Ces stratégies de survie qui s'organisent au niveau des quartiers (soupe populaire, bénévolat dans des dispensaires, des centres de soins infantiles,...) visent à pallier l'absence de soutien public permanent. Il est cependant difficile d'assimiler ces efforts et initiatives à l'émergence d'une société civile nouvelle, comme ont tendance à le faire les organismes prêteurs.

D'autre part, il ne faut pas oublier que les prêts font l'objet d'accords et de contrats soumis à conditions (réformes institutionnelles) entre la Banque et le gouvernement d'un pays sans qu'il y ait d'interrogation sur la légitimité de l'action publique de ce gouvernement, c'est-à-dire sur le contrat qui unit le gouvernement à son peuple. Comme l'écrit Annick Osmont ([12]): "il y a bien un contrat ici, mais celui-ci est établi de manière extra-territoriale, entre un gouvernement agissant dans le meilleur des cas de manière technocratique, et un organisme multilatéral agissant au nom d'une logique de développement exogène ".

Pour Marie-Claude Smouts, "le concept de gouvernance est lié à ce que les grands organismes de financement en ont fait : un outil idéologique pour une politique de l'Etat minimum" ([13]).

 

CONCLUSION:

Après ce tour d’horizon qui nous a permis d’élucider la notion de gouvernance dans ses différentes acceptions économiques et politiques, reste à dire que ce concept est difficilement dissociable du lexique et du but des instances internationales actuelles. Il est aussi à noter que le rôle  joué par les organismes de financement internationaux tel que le FMI, est de loin supérieur à l’influence qu’aurait l’ONU sur la question. C’est ainsi une nouvelle problématique qui s’impose, une problématique apte à une grande argumentation, et méritant un très grand intérêt. En fin de compte, dans cette nouvelle perspective, il faut toujours garder à l’esprit un facteur primordial qui est d’ordre économique : les organismes internationaux prêteurs gardent une large avance sur les programmes proposés par des ONG dans le but du développement et de la démocratisation, donc dans l’espoir d une meilleure gouvernance. Cette supériorité des acteurs économiques d’ordre supranational est la résultante du fait que ces instances possèdent les moyens, donc les fonds, ce qui leur permet d’imposer leurs critères, encore plus, de sanctionner par leur non-accord un pays qui refuserait de se plier aux démarches de leurs programmes.

 

[1] LORRAIN Dominique, Administrer, gouverner, réguler, in Gouvernances. in Les Annales de la recherche urbaine, n° 80-81, déc. 1998, pp. 85 

[2] BAGNASCO Arnaldo et LE GALES Patrick, Les villes européennes comme société et comme acteur, in Villes en Europe, Ed. La Découverte, 1997, pp. 38

[3] MARCOU Gérard, RANGEON François, THIEBAULT Jean-Louis, Les relations contractuelles entre collectivités publiques, in Le gouvernement des villes. Territoire et pouvoir, Ed. Descartes & Cie, 1997, pp. 140

[4] La " Commission on Global Governance " a été créée en 1992 à l'instigation de Willy BRANDT. Elle regroupait une vingtaine de dirigeants ayant joué un rôle ou jouant un rôle au sein des Nations Unies et de l'Union européenne.

[5] SMOUTS Marie-Claude, Du bon usage de la gouvernance en relations internationales, in La gouvernance. in Revue internationale des sciences sociales, n° 155, mars 1998, pp. 88

[6] GAUDIN Jean-Pierre, La gouvernance moderne, hier et aujourd'hui : quelques éclairages à partir des politiques publiques françaises, in La gouvernance. in Revue internationale des sciences sociales, n° 155, mars 1998, pp. 51

[7] MERRIEN François-Xavier, De la gouvernance et des Etats-providence contemporains, in La gouvernance. in Revue internationale des sciences sociales, n° 155, mars 1998, pp. 62

[8] SMOUTS Marie-Claude, Du bon usage de la gouvernance en relations internationales, in La gouvernance. in Revue internationale des sciences sociales, n° 155, mars 1998, pp. 90

[9] CAILLOSSE Jacques, LE GALES Patrick, LONCLE-MORICEAU Patricia, Les sociétés d'économie mixte locales, in Le gouvernement des villes. Territoire et pouvoir, Ed. Descartes & Cie, 1997, pp. 24

[10] HEWITT DE ALCANTARA Cynthia, Du bon usage du concept de gouvernance, in La gouvernance. in Revue internationale des sciences sociales, n° 155, mars 1998, pp. 112

[11] SMOUTS Marie-Claude, Du bon usage de la gouvernance en relations internationales, in La gouvernance. in Revue internationale des sciences sociales, n° 155, mars 1998, pp. 88

[12] La " governance ". Concept mou, politique ferme, in Gouvernances. in Les Annales de la recherche urbaine, n° 80-81, déc. 1998, pp. 25

[13] SMOUTS Marie-Claude, Du bon usage de la gouvernance en relations internationales, in La gouvernance. in Revue internationale des sciences sociales, n° 155, mars 1998.