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L’aménagement du territoire, une réponse intelligente aux Defies de la mondialisation
Pour un pays émergent comme le Liban, la mondialisation se présente comme un ensemble de défis et d’opportunités qui peuvent le conduire vers le pire ou le meilleur. L’aménagement du territoire, en tant qu’instrument d’optimisation de l’utilisation des ressources du pays, peut minimiser les risques et accro”tre les chances de réussite dans cette aventure du nouveau siècle.
La mondialisation est un concept récent qui décrit la tendance que chacun peut observer depuis plus de 10 ans dans les rapports économiques et sociaux internationaux et supranationaux. Dans le “village planétaire”, les biens, les services, les informations et les hommes circulent plus librement; les économies nationales sont le fait non plus d’entreprises nationales mais d’entreprises résidentes quelque soit la nationalité de ceux qui en détiennent les capitaux; les migrations internationales s’intensifient; les barrières douanières sont abaissées; les systèmes politiques et économiques ont tendance à converger vers un modèle commun, libéral et démocratique à la fois, qui garantit la libre entreprise par le respect de l’Etat de Droit.
Le Liban a toujours été un pays ouvert aux échanges internationaux et il est, de ce fait, mieux préparé, culturellement, que d’autres à la mondialisation. Il n’en demeure pas moins menacé par certains effets de celle-ci, et encore mal préparé à tirer tous les avantages qu’il pourrait en escompter.
Fragilités de l’agriculture
La libre circulation des marchandises signifie une concurrence immédiate entre les produits locaux et les produits importés. Dans l’agriculture, cette réalité est sans pitié pour la produits locaux dès lors qu’à qualité égale, ils seraient plus chers sur le marché intérieur (et à fortiori extérieur) que les produits étrangers. Or, le Liban cumule plusieurs handicaps sur ce plan : son agriculture ne bénéficie pas, à quelques exceptions près, de subventions similaires à celles que l’on trouve dans la plupart des pays développés ; la main d’دuvre agricole y est plus coteuse que dans la plupart des pays proches ; ses terres sont insuffisamment mises en valeur du fait des retards dans la réalisation des projets d’irrigation ; son système de contrôle des normes de production est nettement déficient si bien que bon nombre de ses produits ne sont pas propres à l’exportation faute de répondre aux standards internationaux (huile d’olive, par exemple) ; les filières entre le producteur et le consommateur se caractérisent par la multiplicité des agents intermédiaires ce qui conduit à des surcots dans les prix de vente etc...
Si l’essentiel des handicaps de l’agriculture libanaise provient de facteurs financiers, juridiques, humains, une bonne partie provient d’une sous-utilisation des ressources : le potentiel hydraulique est encore nettement sous-exploité ; des terres agricoles d’une grande valeur sont délaissées ou urbanisées ; certaines atteintes à l’environnement provoquent, ici des érosions et un appauvrissement des sols, là des contaminations des produits de la mer... Tous ces éléments sont pourtant ma”trisables dans le cadre d’une vision globale du développement, qui passe par une gestion optimale des ressources naturelles du pays.
Fragilités de l’industrie
Le même raisonnement vaut pour l’industrie.
L’industrie libanaise avait connu des débuts encourageants vers la fin des années 1960 et le début des années 1970. Elle a subi des dégâts considérables durant la guerre mais s’est progressivement reconstituée au cours des dix dernières années, non sans difficultés. Elle demeure néanmoins largement dominée par les activités banales de transformation : matériaux de construction, produits agro-alimentaires simples, mobilier, plastiques... Les implantations d’activités plus sophistiquées telles que la fabrication de produits ou de composants électroniques, électriques, mécaniques ou chimiques, n’a guère progressé. L’industrie libanaise est, par ailleurs, fragilisée par nombre de facteurs : les taux d’intérêt élevés qui freinent l’investissement ; le sentiment d’insécurité physique et juridique qui dissuade les implantations d’entreprises étrangères ; le retard pris dans la formation aux métiers techniques et l’absence de formations au génie industriel ; la faiblesse des infrastructures logistiques et de transport ; le retard dans la modernisation des filières commerciales ; etc.
L’aménagement du territoire ne peut, à lui seul, régler tous ces problèmes, mais il peut y aider grandement. D’abord, en rationalisant les services logistiques : voies de communication performantes pour le transport des marchandises, acheminement plus sr de l’énergie, développement des terminaux portuaire et aéroportuaire, etc. Ensuite, en offrant des terrains équipés pour l’industrie, qui permettront son expansion en toute sécurité et pour un cot foncier plus intéressant. Enfin, en conciliant mieux le développement industriel avec l’environnement et la santé publique, par la programmation des installations de traitement des effluents et des déchets industriels, et par une politique plus rationnelle de localisation des industries en fonction de leur niveau de nuisance.
Fragilités des services
Le secteur des services lui même, premier secteur économique et principal pourvoyeur d’emplois au Liban, présente des fragilités similaires par rapport à la concurrence internationale. Cette réalité ne concerne toutefois que les branches exposées à la concurrence, ce qui exclut l’essentiel des services qui demeurent des services de proximité (services aux personnes, en particulier). Il n’en demeure pas moins que le secteur exposé joue un rôle moteur qui entra”ne l’ensemble des activités de services, voire l’ensemble de l’économie libanaise. De quoi s’agit-il ? Essentiellement du secteur financier, du commerce international, du secteur culturel et du tourisme.
La place financière de Beyrouth n’a toujours pas retrouvé son rayonnement d’antan, d’autres places ayant pris le relais durant la guerre, telle Duba• ou d’autres.
Le commerce international souffre encore des insuffisances de la logistique et du sentiment d’insécurité physique et juridique.
Les services culturels, universités, création artistique et culturelle, sont en cours de réhabilitation, mais le chemin est encore long avant d’atteindre à nouveau le degré de rayonnement d’antan qui les caractérisait .
Le tourisme, quant à lui, progresse trop lentement, du fait du sentiment d’insécurité, de la dégradation de l’environnement et des sites, du retard pris dans la réhabilitation des structures d’accueil et, sans doute, d’une conception par trop unilatérale de ce que doit être le tourisme au Liban, avec une focalisation sur la clientèle haut de gamme et un désintérêt pour la clientèle populaire, qu’elle soit locale, arabe ou étrangère.
Les dégradations de l’environnement et du patrimoine sont, parmi tous ces handicaps au développement du tourisme, ceux qui pèsent le plus lourdement et le plus longtemps. Les constructions anarchiques qui défigurent une baie, les carrières qui tranchent un pan de montagne, les forêts de pins qui disparaissent, les plages qui n’ont plus de sable, la mer polluée o il devient dangereux de se baigner, forment une accumulation de problèmes qui constituent ensemble une entrave majeure au développement touristique.
Or, l’aménagement du territoire est le seul moyen d’arrêter ce type de dégradations et d’inverser le processus en reconstituant le patrimoine et le paysage, et en ma”trisant mieux les formes urbaines des villes et des villages.
Mais cette politique globale de développement du territoire n’agit pas seulement au niveau du tourisme. Elle peut également avantager le secteur culturel, en offrant de nouveaux équipements universitaires, culturels et de loisirs. Elle peut aussi favoriser le commerce international en offrant une infrastructure logistique rationnelle de nature à en favoriser le développement.
L’aménagement du territoire, une optimisation de l’emploi des ressources
L’aménagement du territoire peut être défini comme étant le moyen d’exploiter les ressources à leur maximum d’efficacité tout en assurant leur renouvellement voire leur accroissement. Autrement dit, comment faire pour que le Liban tire profit de la moindre goutte d’eau, du plus petit grain de sable, de son littoral et de sa montagne, de sa localisation géographique, de son climat et de son air, de ses villes et villages, de ses forêts, de ses richesses archéologiques, et de tout ce que ses habitants ont édifié jusqu’ici ?
Cette maximisation du profit tiré des ressources ne doit conna”tre que trois limites, de bon sens, qui font consensus au moins au niveau des principes :
- Première limite : L’exploitation maximale des richesses du territoire doit se faire dans le respect du principe d’équité entre les générations. Autrement dit, à condition de ne pas léguer à nos enfants un pays transformé en champ de ruines ou en vaste décharge, à condition que nos enfants puissent profiter à leur tour de ce territoire que nous allons leur léguer.
- Seconde limite : L’exploitation maximale des richesses doit se faire dans le respect du principe d’égalité des chances pour les entrepreneurs. Soutenir les industriels jusqu’à l’extrême limite, mais sans léser les entrepreneurs du tourisme, soutenir les entreprises de service jusqu’à l’extrême limite, mais sans léser les entrepreneurs de l’économie agricole, soutenir les éleveurs de chèvres, mais sans léser les arboriculteurs. Autrement dit, maximiser le profit global de l’économie et éviter de faire tuer un secteur productif par un autre secteur productif, par le simple effet stupide d’une mauvaise localisation ou d’un mauvais choix d’urbanisme.
- Troisième limite : La maximisation du profit ne doit pas se faire au détriment de la sécurité ou de la santé des hommes. Pas de décharge à l’air libre de produits toxiques dans un quartier d’habitation ; pas de constructions sur des terrains qui risquent de s’effondrer ; pas de matières dangereuses qui s’infiltrent vers les sources à partir desquelles on alimente les populations en eau.
Exploiter intelligemment toutes les ressources
La mise en ordre des conditions dans lesquelles les ressources peuvent et doivent être exploitées appara”t ainsi comme un facteur de renforcement de la résistance du pays aux chocs économiques et sociaux de la mondialisation, et de mobilisation de ces ressources dans un objectif de développement collectif. C’est donc, de ce point de vue, un choix politique majeur à opérer dans un pays comme le Liban, o l’on confond trop souvent liberté d’entreprise avec individualisme et o l’on feint oublier que l’initiative individuelle se développe d’autant plus que les règles collectives sont claires et égales pour tous et que l’Etat leur garantit les conditions les plus favorables.
Comment traduire concrètement cette vision d’un aménagement du territoire au service de la performance économique ? Les quelques réflexions qui suivent tracent quelques pistes, qui nécessiteront un approfondissement dans le cadre des travaux qui vont bientôt être initiés par le Gouvernement, via le CDR, dans ce domaine.
Première réflexion : accorder une place particulière à la question de la localisation géographique du Liban, qui lui offre des opportunités exceptionnelles s’il arrive à s’en servir intelligemment. Il faut tenter de capter le maximum de flux de marchandises, ce qui nécessite des équipements majeurs : ports, aéroports, réseau autoroutier, plateformes logistiques de fret, oléoducs et terminaux. Il faut aussi tenter de capter le maximum de flux de voyageurs et de touristes : tourisme intérieur, arabe et international, ce qui implique une amélioration substantielle du cadre de vie et de réelles capacités d’organisation et d’accueil. Il faut aussi jouer la carte des implantations de sièges sociaux de commandement, pour le Proche Orient, d’entreprises internationales et arabes. Jouer la carte des foires et salons, la carte de la place financière, la carte du rayonnement grâce à la production intellectuelle et artistique. Bref, la localisation géographique du Liban demeure, avec son potentiel humain, le principal atout du Liban, qu’il faut valoriser en premier.
Seconde réflexion : il faut réfléchir sur le long terme, avoir à l’idée que le Liban comptera sans doute 5 à 6 millions d’habitants avant le milieu du 21ème siècle, ce qui veut dire un doublement des superficies construites sur le territoire. Et ces habitants vont probablement, comme partout ailleurs dans le monde, chercher à vivre prioritairement dans les grandes villes et à leur périphérie, c’est à dire, pour ce qui concerne le Liban, essentiellement le long du littoral. Comment concevoir les villes libanaises de demain ? Comment répartir les fonctions industrielles par rapport aux lieux de résidence ? O trouver les matériaux de construction ? Comment moderniser les pratiques de construction ? Comment desservir cette population plus nombreuse par les infrastructures adéquates d’alimentation en eau, d’assainissement, de transport, de traitement des déchets, de distribution d’énergie...
Troisième réflexion : le littoral libanais, espace vers lequel convergent tous les intérêts économiques, et dont l’aménagement consiste à trouver la manière d’optimiser le profit que l’on peut en tirer, de faire en sorte que les activités ne s’y tuent pas les unes les autres, de faire en sorte que les pôles urbains gardent leur identité et ne soient pas dilués dans une agglomération linéaire interminable le long de la côte.
Quatrième réflexion : la montagne, espace que je suggère de penser par paliers : la haute montagne, au delà de 1500 mètres, là o l’on ne trouve pratiquement plus d’habitants, vocation principale réservoir d’eau, tourisme de neige et élevage, avec un conflit à résoudre avec les carrières. La moyenne montagne, entre 400 et 1500 mètres, vocation villégiature et arboriculture, avec là aussi un conflit avec les carrières de sable dans les pinèdes et d’autres installations polluantes. La montagne en dessous de 400 mètres, qui nous ramène au problème de l’aménagement du littoral et des arrière-pays des grands pôles urbains.
Cinquième réflexion : les grandes plaines agricoles de la Bekaa et du Akkar, mais aussi les plaines fertiles du littoral, Dâmour et Tyr. Comment assurer les conditions économiques optimales de l’activité agricole dans ces plaines en préservant des entités agricoles d’une dimension suffisante, jusqu’o peut-on accepter un mixage industrie-agriculture, qui ne comporte pas de risques pour l’hygiène alimentaire et la qualité des eaux.
Sixième réflexion, le patrimoine archéologique et culturel, mais aussi le patrimoine urbain. Comment en tirer le meilleur profit économique et social ? Comment transformer cette richesse patrimoniale en ressource économique si ce n’est par sa mise en valeur.
Dernière réflexion : quels usages pour les ressources en eau, entre l’irrigation, l’industrie et la consommation domestique. Comment alimenter en eau les régions les plus arides, les plus assoiffées. Comment assurer la continuité de la distribution durant la longue saison sèche. Comment assurer la qualité de l’eau distribuée.
Au hasard de ces quelques idées, lancées en vrac, chacun peut constater que la réflexion sur l’aménagement du territoire, sur le développement économique du territoire, n’a pas besoin de préalable. Qu’elle peut s’engager sans qu’il n’y ait besoin de lever toutes les incertitudes, en particulier l’incertitude économique. Car l’aménagement du territoire est en lui même un acte d’entrepreneur, à l’échelle nationale, un projet que l’on construit, et non un arrangement pour sortir des contraintes. Il n’est pas besoin de certitudes absolues pour entreprendre, mais d’une appréciation globale des chances et des risques. En revanche, il y a un grand besoin de volonté et d’imagination.
Que se passerait-t-il sans une réflexion stratégique sur le territoire ?
Pour conclure, posons nous cette question simple : vers o irait le Liban sans une vision stratégique de l’organisation de son territoire et de l’emploi à long terme de ses ressources ? Il ne faut pas être devin pour l’imaginer. Les exemples ne manquent pas, dans le Liban d’aujourd’hui, pour illustrer les effets du manque de clairvoyance. Sur le seul plan économique, on pourrait faire le calcul du cot des carburants brlés dans les embouteillages faute d’avoir réussi un urbanisme et des systèmes de transport plus performants ; le cot des médicaments et des soins supporté par la société libanaise faute d’avoir su réglementer la localisation de certaines installations polluantes ou d’avoir correctement équipé villes et villages en eau et en systèmes d’assainissement ; le manque à gagner du tourisme faute d’avoir préservé les plages libanaises ou d’avoir respecté et mis en valeur le patrimoine historique et naturel du pays ; le manque à gagner de l’agriculture faute d’avoir su utiliser les ressources en eau pour irriguer certaines terres qui, cultivées à sec, produisent aujourd’hui le dixième de leur potentiel ; ou le cot des carburants qui font fonctionner certaines centrales électriques faute d’avoir su mobiliser l’énergie hydraulique à son maximum;...
On pourrait allonger cette liste à souhait. Elle montre que le Liban vit au dessus de ses moyens, gaspille une bonne part du peu d’argent dont il dispose, alors que les défis de la mondialisation exigent de lui davantage de performance économique, soutenue et durable, une production accrue avec des ressources plus limitées.
L’aménagement du territoire ne peut, certes, à lui seul, assurer les conditions de réussite du Liban dans le monde ouvert de demain, mais le cot exorbitant de l’absence d’aménagement lui ôterait, à n’en pas douter, les chances qu’il pourrait avoir dans cette compétition de plus en plus vive.