La ‘justice’ de l’ONU

La ‘justice’ de l’ONU
Préparé par: Rayanne B. ASSAF

L’aspiration à la justice est universelle.

Celle-ci occupe notamment du point de vue juridique et philosophique une place de tout premier plan. D’où l’importance de tout sujet traitant de la justice dans tous ses aspects[1]. Qu’en est-il si l’on traite de celle de l’organisation des Nations unies : justice contribuant à maintenir la paix et la sécurité internationales et assurer le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leurs droits à disposer d’eux mêmes?

Conscients de cette importance, les peuples des Nations unies proclament dans (et dès) le préambule de la Charte de l’Organisation[2], leur résolution à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et plus précisément du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international[3].

Comme on l’a déjà écrit, la justice est à la fois un idéal, une finalité et une institution.

Idéal, en ce qu’elle impose « l’appel à l’absolu », finalité en ce qu’elle tend à attribuer à chacun son dû, et institution comme étant un ensemble d’organes, de juridictions, de personnel et de procédures, permettant de constituer le mode normal de résolution des conflits[4]. C’est de la justice envisagée dans cette dernière acception que l’on étudiera la justice de l’ONU.

En fait, l’organisation ayant pris à sa charge le maintien de la justice[5] , il a été créé des organes ou plutôt des juridictions compétentes pour traiter des litiges qui surviennent.

Nous nous interrogeons sur ces organes et leur compétence.

On retrouve des organes permanents qui ont été créés pour trancher tous différends éventuels relevant de leur compétence dont la cour internationale de justice, et des organes temporaires qui sont créés pour trancher certains litiges déterminés à l’avance et qui disparaissent après le règlement de ces litiges : ce sont en quelque sorte des ‘tribunaux sur mesure’ ! Tel le tribunal pénal international pour le Rwanda.

Ceci étant, nous traiterons des tribunaux et de leur compétence en étudiant dans un premier temps la justice permanente de l’Onu (I) et dans un second temps la justice temporaire (II).

 

1- La justice permanente de l’ONU.

L’organisation des Nations unies comporte deux organes permanents chargés de trancher des litiges qui surviennent et qui ‘mettent en danger la paix internationale’: la cour internationale de justice[6] qui est l’organe judiciaire principal de l’organisation et la cour pénale internationale ; ayant chacune son propre domaine de compétence.

 

ِA- La cour internationale de justice[7].

La création de la cour internationale de justice[8] a été prévue au chapitre III de la charte de l’ONU comme étant l’un des six organes principaux de l’organisation. L’article 7 de la charte dispose entre autres : « Il est créé comme organes principaux de l’organisation des Nations unies : une Assemblée générale, un conseil de sécurité, un conseil économique et social, un conseil de tutelle, une cour internationale de justice et un secrétariat… ».

Le chapitre 14 de la charte pose en 5 articles les bases de l’institution de cette cour.

Principal organe judiciaire de celle-ci comme nous l’avons déjà noté, la cour  dont le siège est au Palais de la paix à La Haye aux Pays Bas, règle conformément au droit international les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats membres de l’ONU et d’un Etat non membre de l’organisation qui a adhéré au statut (par ex. Suisse), et donne des avis consultatifs sur les questions juridiques que peuvent lui poser les organes ou les institutions autorisées à le faire.

Son statut fait partie intégrante de la Charte des Nations unies, instrument constitutif de l’organisation.

En effet, l’article 92 de la charte de l’ONU dispose que la cour « fonctionne conformément à un statut établi sur la base du statut de la Cour permanente de Justice internationale et annexé à la présente charte dont il fait partie intégrante »

La cour a pour membres tous les Etats parties à son statut, à savoir tous les Etats membres de l’ONU. Seuls les Etats ont qualité pour se présenter devant elle et lui soumettre des affaires contentieuses.  La cour ne peut être saisie par des particuliers ou par des entités ou organisations internationales. L’assemblée générale et le conseil de sécurité peuvent demander à la cour des avis consultatifs sur toute question juridique. Les autres organes de l’ONU et les institutions spécialisées peuvent, avec l’autorisation de l’Assemblée générale lui demander des avis consultatifs sur des questions judiciaires entrant dans le cadre de leur activité.

La cour a rendu aux alentours de 70 arrêts depuis 1946 sur des questions concernant entre autres les frontières terrestres et les délimitations maritimes, la souveraineté territoriale, le non recours à la force, la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, les relations diplomatiques, la prise d’otages, le droit d’asile, la nationalité, la tutelle, le droit de passage et les droits économiques. 

Nous développerons rapidement la composition de la cour (a) avant de traiter de ce qui nous semble particulièrement important : sa compétence (b).

 

  1. La composition de la cour
    La Cour est un corps de magistrats indépendants, élus, sans égard à leur nationalité, parmi les personnes jouissant de la plus haute considération morale, et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions judiciaires, ou qui sont des jurisconsultes possédant une compétence notoire en matière de droit international.
    La Cour se compose de quinze membres. Elle ne pourra comprendre plus d'un ressortissant du même Etat.
    Les membres de la Cour sont élus par l'Assemblée générale et par le Conseil de sécurité sur une liste de personnes présentées par les groupes nationaux de la Cour permanente d'arbitrage, suivant une procédure posée par le statut de la cour (article 3 et suivants). Les membres de la Cour sont élus pour neuf ans et ils sont rééligibles; toutefois, en ce qui concerne les juges nommés à la première élection de la Cour, les fonctions de cinq juges prendront fin au bout de trois ans, et celles de cinq autres juges prendront fin au bout de six ans. Les membres de la Cour jouissent, dans l'exercice de leurs fonctions, des privilèges et immunités diplomatiques. La Cour peut, à toute époque, constituer une chambre pour connaître d'une affaire déterminée. Le nombre des juges de cette chambre sera fixé par la Cour avec l'assentiment des parties.
     
  2. La compétence de la cour
    Seuls les Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour (article 34 des statuts de la cour).
    La compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront, ainsi qu'à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations unies ou dans les traités et conventions en vigueur.
     Les Etats parties au Statut pourront, à n'importe quel moment, déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour sur tous les différends d'ordre juridique ayant pour objet :
    1. l'interprétation d'un traité;
    2. tout point de droit international;
    3. la réalité de tout fait qui, s'il était établi, constituerait la violation d'un engagement international;
    4. la nature ou l'étendue de la réparation due pour la rupture d'un engagement international.

Ces déclarations pourront être faites purement et simplement ou sous condition de réciprocité de la part de plusieurs ou de certains Etats, ou pour un délai déterminé. Les déclarations faites en application de l'Article 36 du Statut de la Cour permanente de Justice internationale pour une durée qui n'est pas encore expirée seront considérées, dans les rapports entre parties au Statut, comme comportant acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice pour la durée restant à courir d'après ces déclarations et conformément à leurs termes.

En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.

La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique :

- les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige;

- la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale, acceptée comme étant le droit;

- les principes généraux de droit reconnus par les Nations civilisées;

- les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes Nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit.

2. La cour a la faculté, si les parties sont d'accord, de statuer ex aequo et bono, et donc conformément à l’équité.

La CIJ était jusqu’en 2002, le seul organe judiciaire de l’ONU. La cour ne pouvant être saisie que par les Etats,  il était indispensable de créer un tribunal ou une cour compétente pour juger des individus. Mais en 2002 est entrée en vigueur la cour pénale internationale, institution judiciaire d’une importance capitale.

 

 

 B- La cour pénale internationale.

La Cour pénale internationale (CPI)[9], est la première institution permanente chargée d’enquêter et de juger les individus accusés de violations massives du droit international humanitaire et des droits de l’homme, c'est-à-dire de génocides, de crimes de guerre, de crime contre l’humanité et, une fois défini de crimes d’agression. Elle est dotée de la personnalité morale.

La création du tribunal revêt aussi une dimension éminemment symbolique, puisqu’elle traduit la volonté des acteurs de la communauté internationale de ne plus laisser impunis ceux qui bafouent les règles fondamentales du droit international, tout en contribuant à son élaboration.

La Cour a son siège à La Haye, aux Pays-Bas. Elle est composée en principe de 18 juges de nationalités différentes. En effet, la Cour ne peut comprendre plus d'un ressortissant du même État[10].

Le statut de Rome de la Cour pénale a été adopté le 17 juillet 1998 par la conférence diplomatique des plénipotentiaires des Nations unies sur la création d’une cour criminelle internationale. Ce statut est entré en vigueur le 1er juillet 2002.

Le statut de Rome bénéficie du soutien de plus de la moitié des Etats dans le monde. Le Liban n’y a malheureusement pas encore adhéré.

A la différence de la Cour internationale de justice (CIJ), qui ne peut connaître que des différends opposant des Etats, la CPI est compétente pour juger les individus, indépendamment de leur qualité officielle et hiérarchique. Elle a compétence sur les affaires qui impliquent la responsabilité pénale individuelle.

La compétence de la CPI n’a pas de limite spatiale ou temporelle.

Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales, n’exerçant sa compétence que lorsque les Etats seront dans l’incapacité ou ne manifesteront pas la volonté de poursuivre eux-mêmes les responsables des crimes de la compétence de la CPI[11]  et a pour but de garantir durablement le respect de la justice internationale et sa mise en oeuvre. En fait, les juridictions nationales sont les juges de droit commun du droit des gens. Ce n’est qu’en cas de défaillance du système de répression interne ; lorsque la juridiction pénale nationale est inefficace ou délibérément conciliante, que le tribunal intervient.

Cette complémentarité à la base du fonctionnement de la CPI ne peut que retenir l’attention puisqu’elle nous semble avoir un effet positif sur les systèmes juridiques nationaux ; elle devrait inciter les Etats à moderniser leur système juridique, à typifier les crimes internationaux, à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire.

La cour peut être saisie par un Etat partie au traité ou par le procureur lui même.

Le conseil de sécurité peut, en agissant en vertu du chapitre VII de la charte, déférer une « situation » à la cour si un ou plusieurs des crimes couverts par le statut paraissent avoir été commis. Le statut de la cour reconnaît le rôle du conseil de sécurité dans le maintien de la paix et la sécurité internationale selon la charte des Nations unies[12].

Toute personne bénéficie devant la cour de la présomption d’innocence jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie devant la Cour conformément au droit applicable.

La cour est compétente pour connaître des crimes les plus atroces. Mais quels sont ces crimes ?

  • Compétence de la cour.

Commençons par dire que le principe de la légalité des délits et des peines est bien respecté devant la cour. Donc pas de crime ni de peine sans texte : Nullum crimen, nulla poena sine lege.

Le statut de Rome ne crée pas de nouveaux crimes mais reflète le droit international conventionnel et coutumier existant.

La cour examinera les crimes les plus graves commis par des individus : génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Ces crimes sont spécifiés dans le Statut de la cour à l’article 5.

Le crime d’agression, également de la compétence de la cour, sera examiné par la cour lorsque l’Assemblée des Etats parties sera parvenue à un accord sur sa définition, ses éléments constitutifs et les conditions selon lesquelles la Cour exercera sa compétence[13].

 

Le génocide[14] couvre ces actes spécifiques typifiés et interdits tels que l’assassinat ou les atteintes graves à l’intégrité, commis dans le but de détruire tout ou une partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

Les crimes contre l’humanité[15] couvrent les actes spécifiques typifiés et interdits lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque directe généralisée ou systématique contre une population civile. De tels actes comprennent : le meurtre, l’extermination, le viol, l’esclavage sexuel, la disparition forcée de personne et le crime d’apartheid[16].

Génocides et crimes contre l’humanité sont punissables s’ils sont commis aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre.

Les crimes de guerre couvrent les violations graves contenues dans les conventions de Genève de 1949 et autres violations graves aux lois de la guerre, commises à grande échelle aussi bien dans le cadre de conflits armés internes qu’internationaux. Ainsi elle recouvre notamment l’homicide intentionnel, la torture, les traitements inhumains, l’emploi d’armes toxiques ou d’autres armes conçues pour causer des souffrances inutiles, l’attaque et le bombardement de villes de villages ou habitations etc.

L’inclusion des conflits internes correspond aux avancées du droit international coutumier et reflète la réalité des 50 dernières années, selon laquelle les pires violations aux droits de l’homme n’ont pas eu lieu dans le cadre de conflits internationaux, mais bien dans le cadre de conflits internes.

Le statut inclut les crimes de violence sexuelle tels que le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée et la grossesse forcée, entendus comme crimes de l’humanité lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile[17].

Notons qu’en dépit d’un important intérêt à inclure le terrorisme dans le champ de compétence de la cour, les Etats à Rome n’ont pas pu s’accorder sur la définition du terrorisme. Mais, la conférence diplomatique de Rome reconnaît que les actes de terrorisme constituent des crimes graves de grande importance pour la communauté internationale et une résolution a été adoptée par consensus, recommandant que les Etats parties considèrent l’inclusion de ces crimes lors de la conférence de révision.

 Donc le crime de terrorisme n’est pas défini comme tel dans le statut de Rome, ce qui pose aujourd’hui un grand problème, le terrorisme étant le premier mal de ces années.

Avant l’instauration de ce tribunal, et ayant senti le besoin de l’existence d’un tribunal international compétent pour juger des particuliers, des tribunaux temporaires ont été créés. Notons que la création de ce TPI n’a pas d’influence sur l’existence des tribunaux temporaires vu que cette justice permanente n’a pas d’effet rétroactif.

 Nous traiterons de ces tribunaux dans le cadre de l’étude de la justice temporaire de l’ONU.            

 

II. La justice temporaire de l’ONU

A côté des organes judiciaires permanents sans limitations géographiques et temporelles, existent des tribunaux temporaires créés pour examiner les crimes commis dans certaines régions durant des périodes spécifiques non pour examiner les violations qui se produisent n’importe où dans le monde, et dont la mission s’achève par l’exécution de cette mission (pour laquelle ils sont créés). Ce sont donc des tribunaux ad hoc qui sont en effet conçus pour répondre à une situation précise : sa taille, sa structure et ses besoins en personnel sont prévisibles, de même que les règles de procédure et le droit applicable sont prévus pour cette situation en fonction des circonstances de fait qui ont conduit à sa création. Une fois ses objectifs atteints, le Tribunal sera dissous par le conseil de sécurité.  

Mais qui crée ces tribunaux ? Et existe-t-il une forme particulière suivant laquelle tous les tribunaux institués doivent être mis en place ?

 Nous traiterons de ces points en développant les mécanismes de mise en place de cette justice temporaire (A).

A la suite des violations ‘massives’ du droit international humanitaire et des droits de l’homme en ex Yougoslavie et au Rwanda, le conseil de sécurité des Nations Unies a créé, en mai 1993 et novembre 1994 deux tribunaux pénaux internationaux afin de poursuivre devant une juridiction internationale les personnes responsables de ces violations. Ces deux tribunaux sont les premières instances judiciaires internationales chargées de juger des criminels de guerre depuis les procès de Nuremburg et de Tokyo en 1945. Ainsi ont été institués par le conseil de sécurité le tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie ainsi que le tribunal pénal international pour le Rwanda. Nous étudierons ces deux tribunaux dans le cadre des exemples actuels (B).  

Aujourd’hui un nouveau tribunal semble sur le point de voir le jour et ceci dans le cadre de l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri. Nous  réfléchirons sur ce tribunal éventuel en étudiant les futurs exemples envisageables (C).

Mais avant de passer à ces développements, il est intéressant de noter quelques remarques sur le conflit de compétence entre ces tribunaux ad hoc et les juridictions nationales.

Ces tribunaux n’ont pas le monopole de la poursuite et de la punition des violations de droit international humanitaire. Ils exercent leur compétence en concurrence avec les juridictions nationales. Cependant, ces tribunaux ont primauté sur ces dernières, et peuvent, dans l’intérêt de la justice demander le dessaisissement d’une juridiction nationale dans une enquête ou une affaire donnée, à tout stade de la procédure.

   

   A.  Les mécanismes de mise en place de cette justice temporaire.
C’est sur la base du chapitre VII de la charte des Nations Unies que les tribunaux temporaires sont institués.
En effet, l’article 39 de la charte dispose : «  Le Conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».
L’article 29 de la charte prévoit que « le conseil de sécurité peut créer les organes subsidiaires qu’il juge nécessaires à l’exécution de ses fonctions ».
Ces articles fondent la création des tribunaux susvisés et donnent au conseil de sécurité un large pouvoir d’appréciation de l’existence d’une menace à la paix. Les tribunaux pénaux de l’ex Yougoslavie et de Rwanda ont eu à l’affirmer plus d’une fois. Un auteur avait décelé le dessin à ce niveau des premiers linéaments d'une jurisprudence pénale internationale[18].
Il serait intéressant de citer à ce niveau l’affaire Kanyabashi[19]. Joseph Kanyabashi a été accusé de génocide, complicité de génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide, pour actes commis alors qu'il était maire de la commune de Ngoma, par un acte d'accusation du 15 juillet 1996. Le 17 avril 1997, ses défenseurs ont soulevé une exception préliminaire par laquelle ils contestaient la compétence du Tribunal pour juger Kanyabashi pour toute une série de motifs. Bien que cette demande fût présentée en dehors des délais, le TPIR a considéré qu'il convenait dans l'intérêt de la justice de l'examiner en raison des graves questions qu'elle posait relativement à l'établissement du Tribunal, sa compétence, son indépendance. En effet, il est intéressant de citer quelques griefs qui remettent en cause selon la défense de Kanyabashi la compétence du TPIR puisque ce n’est pas la première affaire (ni probablement la dernière) dans laquelle ils sont soulevés :  

  • l'établissement du Tribunal viole le principe de souveraineté des Etats
  • le Conseil de sécurité n'est pas compétent pour établir un tel Tribunal
  • le Tribunal n'est ni impartial, ni indépendant du fait de sa création par le Conseil de sécurité, organe éminemment politique.

    Concernant la violation de la souveraineté, la cour considère essentiellement qu’en adhérant à la Charte des Nations Unies et en acceptant de ce fait de considérer les décisions prises par le Conseil de sécurité comme obligatoires, en vertu du chapitre VII, les Etats avaient consenti à une limitation de leur souveraineté.
    Concernant l’incompétence du conseil de sécurité pour créer un Tribunal pénal international pour défaut de menace de paix, la cour considère que le Conseil de sécurité est seul juge de l'existence d'une menace à la paix.

B- Les exemples actuels.

Deux exemples de cette justice temporaire existent déjà aujourd’hui : le tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie (1) et le tribunal pénal international pour le Rwanda (2).

  1. Le tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie[20].
    Le 14 Août 1992, une résolution de la commission des droits de l’homme des Nations Unies fait état  de violations généralisées, massives et graves des droits de l’homme commises sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie, en particulier en Bosnie-Herzégovine. La liste de ces exactions est longue. Y figurent notamment des exécutions sommaires et arbitraires, des disparitions, des actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, des arrestations et des détentions arbitraires, des attaques délibérées contre des non combattants, des hôpitaux et des ambulances. La résolution dénonce aussi le projet de ‘purification ethnique’ mis en œuvre en Bosnie-Herzégovine en particulier, et qui donne lieu à des « expulsions et des transferts ou déplacements massifs forcés de personnes de leur foyer » visant à désunir ou à détruire des groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux.

Plus tard, il apparaît que ce programme d’épuration ethnique et de terreur est aussi fondé sur le viol systématique et la prostitution forcée de millions de femmes.

Par sa résolution 808 du 22 février 1993, le conseil de sécurité des Nations Unies décide alors la création d’un tribunal pénal international pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l’ex Yougoslavie depuis 1991.

Ce premier tribunal ad hoc est une grande avancée dans la lutte contre l’impunité.

Avec la résolution 827 du 25 mai 1993, le tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie (TPIY), siégeant à La Haye (Pays Bas), est doté d’un statut.

Alors que la situation en Bosnie-Herzégovine se détériorait de façon inquiétante, la création de ce tribunal devait aussi sommer les belligérants de tempérer leur frénésie meurtrière, de cesser leurs exactions, et de s’engager dans la voie d’un règlement pacifique du conflit.

Le tribunal est compétent pour juger les personnes physiques et non les personnes morales.

Les chambres du tribunal se composent de seize juges permanents et d’un maximum de neuf juges permanents.

 

La portée et l’objet de sa création sont limités.

La compétence du tribunal est limitée dans l’espace (ex Yougoslavie), dans le temps (depuis 1991), et ratione materiae dans son domaine d’accusation.

Le statut définit la compétence du TPIY pour poursuivre et juger quatre catégories de crimes qui nous rappellent la compétence du tribunal pénal international :

Les crimes de guerre :

i.   Les violations graves aux conventions de Genève de 1949

ii.  Les violations des lois ou coutumes de la guerre Ainsi que

iii. Le Génocide

iiii. Les crimes contre l’humanité.

 

  • Comment sont exécutées les peines  prononcées par les tribunaux ?

L’organisation des Nations Unies conclue des accords avec des pays pour l’exécution des peines. Ces Etats signataires prennent en charge cette exécution dans leurs prisons. Ainsi par exemple, un accord a été conclu avec la France concernant l’exécution sur le territoire français des peines prononcées par le TPIR[21], et un projet de loi existe pour l’exécution des peines prononcées par le TPIY[22]

La création du TPIY a été suivie de la création d’un autre tribunal : le tribunal pénal international pour le Rwanda.

 

      2- Le tribunal pénal international pour le Rwanda.

En octobre 1990, à la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda, éclatent les premiers combats entre les forces armées du gouvernement rwandais, composées majoritairement de Hutu, et les soldats du front patriotique rwandais, composés de Tutsi dont les parents s’étaient exilés en Ouganda dans les années 60. De multiples tentatives de médiation ont été engagées, et ont conduit au traité de paix d’Arusha, signé le 6 Août 1993.  Mais les assassinats du président et premier ministre rwandais en avril 93 a entraîné une vague de massacres à grande échelle, perpétrés contre des membres de l’ethnie tutsi et des membres modérés de l’ethnie hutu. Ces massacres se muent en un véritable génocide qui fait entre 50000 et un million de victimes. 

Suite à la constatation par le conseil de sécurité de l’existence de ‘preuves accablantes attestant que des actes de génocide ont été commis à l’encontre du groupe tutsi par des éléments hutu agissant de manière concertée, planifiée, systématique et méthodiques’[23],  le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a été installé le 8 novembre 1994 afin de juger les personnes responsables ‘d’actes de génocides et d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, ou par des citoyens rwandais sur le territoire d’Etats voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994’.

La création de ce tribunal visait aussi à contribuer au processus de réconciliation nationale au Rwanda et au maintien de la paix dans la région.

Le tribunal pénal international pour le Rwanda est régi par son statut joint en annexe à la résolution 955 du conseil de sécurité.

Le siège du tribunal est à Arusha en République Unie de Tanzanie.

Il est composé de trois organes : les chambres de première instance, la chambre d’appel et le bureau du procureur chargé des enquêtes et des poursuites.

Si le tribunal est compétent pour traiter des crimes tels le génocide et ceux contre l’humanité, il reste que cette compétence est limitée ratione temporis et ratione loci. En fait, ce tribunal a été créé pour traiter exclusivement des crimes commis entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 par des rwandais sur le territoire du Rwanda et sur le territoire d’Etats voisins ainsi que les citoyens non rwandais pour les crimes commis au Rwanda.

Les crimes relevant de sa compétence sont de la même nature que ceux qui relèvent de la compétence du TPIY ; donc le génocide, les crimes contre l’humanité, et les violations de l’article 3 commun aux conventions de Genève et du protocole additionnel II : protection des civils en temps de guerre et violations des lois et des coutumes de la guerre.

Les TPIY et TPIR n’ont jusqu’à aujourd’hui pas encore accompli leur mission. Plusieurs personnes ont été jugées, mais le travail n’est pas encore accompli.

Ceci nous donne une idée du temps que prend ce genre de tribunaux pour juger ces affaires. Plus de 10 ans sont passés sur l’instauration de ces tribunaux et leur mission n’est pas encore achevée.

 

C. Les exemples futurs envisageables.

Aujourd’hui, un nouveau tribunal temporaire est sur le point de voir le jour, relatif à l’assassinat de l’ancien président du conseil des ministres libanais Rafic Hariri.

Mais avant de réfléchir sur ce tribunal, nous essaierons de situer sa création.

Le 14 février 2005, l’ancien premier ministre a été victime d’un attentat qui lui a coûté la vie avec plusieurs autres personnes au cœur de la capitale Beyrouth.

Kofi Anan, secrétaire général de l’organisation des Nations Unies assurait : « Nous ne savons toujours pas qui en est responsable, mais j’ai toute confiance que tous les efforts seront faits pour identifier les auteurs, qui devraient être traduits en justice ».

Le conseil de sécurité, affirmait  par la déclaration présidentielle du 15 février 2005 sa détermination à traduire en justice les auteurs de cet attentat, demandait au « gouvernement libanais de traduire en justice les auteurs, organisateurs et commanditaires de cet acte terroriste inqualifiable ».

S’étant saisi de l’affaire, l’ONU a mis en place en juin 2005 une commission d’enquête internationale par la résolution 1595, après qu’une enquête préliminaire des Nations Unies ait qualifié l’enquête des services de police libanais de ‘gravement défectueuse’.

Le premier rapport de la commission d’enquête, dirigée alors par le magistrat allemand Detlev Mehlis, concluait qu’ »un faisceau de preuves conduisait à l’implication tant du Liban que de la Syrie dans l’assassinat de l’ex premier ministre libanais » et que l’attentat avait été mené par un groupe disposant de ressources considérables et d’une organisation minutieuse.

Dans son second rapport, présenté le 13 décembre 2005 au conseil de sécurité, Detlev Mehlis affirmait que si la Syrie avait amélioré sa coopération avec la commission, en autorisant l’interrogation de cinq hauts représentants syriens soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat, le gouvernement syrien devrait faire plus pour lever tous les doutes quant à sa volonté de faire réellement connaître la vérité.

Dans une résolution adoptée le 15 décembre 2005, le conseil de sécurité a prorogé le mandat de la commission d’enquête internationale jusqu’au 15 juin 2006 et autorisé la commission à apporter une assistance sur les autres attentats commis au Liban depuis le 1er Octobre 2004.

L’enquête se poursuit, mais les préparations pour la création d’un tribunal « à caractère international » ont commencé.

Récemment, le secrétaire général a demandé à Nicolas Michel, secrétaire général adjoint chargé des affaires juridiques, de se rendre à Beyrouth afin d’étudier la possibilité de juger les auteurs de l’attentat contre l’ex premier ministre libanais par un tribunal à caractère international.

Ce dernier a la charge de discuter de la marche à suivre pour aider les autorités libanaises à identifier la nature et l’étendue de l’assistance internationale nécessaires pour que les personnes inculpées dans le meurtre de l’ancien premier ministre Hariri soient jugées par un tribunal à caractère internationale. Donc la mission de M. Michel est d’étudier la forme que pourrait prendre un tribunal international[24].

On entend aujourd’hui parler non pas d’un tribunal international mais d’un tribunal à caractère international.

Jusque là, aussi bien dans le cas du Rwanda que celui de l’ex Yougoslavie, il s’agissait de tribunaux internationaux. La formule « à caractère international » n’est pas connue ni facilement définissable. 

Ceci nous amène à réfléchir sur la différence qui existerait entre les deux formules.

Nous croyons que cette formule vise à préserver en quelque sorte la ou plutôt une certaine souveraineté de l’Etat libanais.

Nous avons déjà vu que les défenses devant les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie soulevaient une exception d’incompétence fondée sur le fait que l'établissement du Tribunal viole le principe de souveraineté des Etats.  Mais les tribunaux rejetaient sans cesse ces motifs considérant que les Etats membres de l’ONU avaient consenti à une limitation de leur souveraineté. Pourquoi dans le cas libanais chercher ou accepter de protéger celle-ci ?

Nous resterons loin des considérations politiques même si nous croyons que celles-ci jouent un rôle important à ce niveau.  

Peut-être que la nature du crime y est pour quelque chose. Dans les cas précédents, il s’agissait de crimes contre l’humanité et de génocide dirigé contre une grande masse de la population, alors que dans le cas libanais, même si le crime a eu indirectement des répercussions au niveau national, il reste que c’est un crime dirigé directement contre la personne du premier ministre libanais.

Mais comment va se traduire la formule en pratique au niveau du tribunal lui-même ?

Probablement, c’est sur la nationalité des juges membres du tribunal que la formule « à caractère international » aura les conséquences les plus importantes. Nous avons vu que les précédents tribunaux ad hoc ne pouvaient contenir plus d’un juge ressortissant d’un même Etat. Dans le cas libanais, il s’agirait probablement d’un tribunal constitué en partie de juges libanais, avec un certain nombre de juges étrangers. Ce tribunal sera le premier de son genre.

Finalement, la justice est au centre des préoccupations de l’ONU. L’organisation œuvre et souhaiterait que la justice règne sur cette terre. Que la réalité comble ce vœu, n’est pas certain, mais son existence ne fait guère de doute. En fait, dans le cas rwandais par exemple, le tribunal connut des débuts difficile : manque de moyens financiers, personnel insuffisant au début, puis nombre de dysfonctionnement au moment même où il disposait d’assez de moyens humains et financiers. On a parlé entre autres de lenteurs de procédure, de mauvais traitement de témoins… Mais la plupart de ces problèmes a connu des améliorations et d’autres ont reçu des solutions[25]. Peut être faudrait-il ne point perdre de vue ce qu’on a déjà noté : la justice est un idéal.

Ceci explique qu’au niveau des organes et comme on l’a déjà vu, loin d’être une justice figée, il s’agit d’une justice à construction régulière. Le cas libanais en témoigne !  

 

[1] Sur les aspects de la justice et les problèmes qu’elle pose en général, v. G. Del Vecchio, « Justice, Droit, Etat. Etudes de philosophie juridique », Ed Dalloz 1938, p. 3s.

[2] La charte des Nations unies publiée au site de l’organisation: www.un.org

 

[3] Charte des Nations unies

[4] Cf. D. Cohen, “Justice publique et Justice privée », Arch. Phil. Droit, 1997, p. 149-161, spéc. p. 149. 

[5] Préambule de la charte des Nations unies.

[6] Cf. Statut de la cour internationale de justice publié sur le site officiel de l’organisation

[7] Cf. le site de la cour internationale de justice : www.icj-cij.org

[8] Sur la cour internationale de justice : Cour internationale de justice 1946-1996, La Haye London, Kluwer Law International  1999 ; Roger Pinto, Cour Internationale de justice, JCl Droit International, fasc. 215 ; Goy Raymond, Cour internationale de justice et droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant 2002 ; Guillaume Gilbert, « Cour internationale de justice à l’aube du XXème siècle : le regard d’un juge », Paris, Pedone 2003 ; Azar Aida, « Exécution des décisions de la cour internationale de justice », Ed. de l’université de Bruxelles 2003 ; Kdhir Monsef, « Dictionnaire juridique de la cour internationale de justice », Bruxelles Bruylant 2000 ; Commentaire du règlement de la cour internationale adopté le 14 avril 1978, Paris, Pedone 1983 ; La cour internationale de justice de justice, 1ère éd. New York : Nations unies. Département de l’information. 1957.

[9] V. le site du tribunal pénal international : www.icc-icp.int ; C. Bouquemont, « cour pénale internationale et les Etats-Unis », Paris, Budapest Tonino l’Harmattan 2003.

[10] Article 36.7  du statut de la CPI.

[11] A la différence du tribunal pénal international pour la Yougoslavie et celui pour le Rwanda qui sont régis par un principe de primauté sur les tribunaux nationaux.

[12] Article 13.2 du statut de Rome.

[13] Article 5.2 du statut de Rome.

[14] Article 6 du statut de Rome.

[15] Cf. pour approfondir, Fernandez Julien, « Le crime contre l’humanité devant la cour pénale internationale. Essai d’analyse de l’article 7 du statut de Rome », Thèse Université Panthéon Assas Paris II 2003. 

[16] Article 7 du statut de Rome.

[17] Au Rwanda et en Ex Yougoslavie, le viol et la violence ont été largement utilisés comme outil de terreur, pour humilier et dégrader les femmes d’un groupe ethnique spécifique ainsi que la communauté entière à laquelle elles appartenaient.

[18] B. Stern, « Légalité et compétence du tribunal pénal international pour le Rwanda : L'affaire KANYABASHI »

[19] Cf. l’article précité de B. Stern.

[20] BU Zubar Mohammed, « Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie », Thèse Poitiers 1999 ; et Lescure Karine, « Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie », Paris, Montchrestien 1994.

[21] V. l’accord ainsi que la loi française autorisant son approbation du 27 octobre 2003, sur le site www.assemblée-nationale.fr  

[22] V. le site www.cubitus.sénat.fr

[23] Rapport de la commission d’experts indépendants qui ont été chargés par le conseil de sécurité de l’ONU d’établir un rapport sur d’éventuelles violations des droits de l’homme au Rwanda. V. www.fr.encarta.msn.com 

[24] V. Service d’information des Nations Unies: www.un.org.

[25] V. le site : www.fidh.org.

عدالة منظمة الأمم المتحدة

إن إنشاء الشروط اللازمة لصون العدالة هي إحدى المهمات الأساسية لمنظمة الأمم المتحدة. بغية تحقيق هذا الهدف، قامت هذه المنظمة بتأسيس عدّة محاكم دولية تهتم بحل النزاعات. ما هي هذه المحاكم وأي نوع من النزاعات تحلّ؟ أتتناسب ومتطلبات منظمة الأمم المتحدة، ألا وهي حماية الحقوق الأساسية للإنسان، وصون كرامته وقيمته، وتساوي حقوق الناس، والأوطان، الصغيرة والكبيرة؟