La politique étrangère des Etats-Unis

La politique étrangère des Etats-Unis
Préparé par: Rudyard KAZAN

Deux choses menacent le monde: l’ordre et le désordre. PAUL VALERY

Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, le monde est en chaos. La mondialisation de l’économie bouleverse tout, stimulée par l’accélération des technologies de l‘information. Les Etats-Unis, superpuissance unique, doivent compter sur la rivalité des deux autres pôles: L’Europe et l’Asie pacifique. Mais ces trois pôles sont défiés par les pays émergents et par le déferlement des haines ethniques, nationalistes et religieuses qui explosent un peu partout. Face à ces défis, les Etats-Unis agissent unilatéralement et pour cause: alors qu’ils étaient indispensables à l’équilibre du monde, ils ne peuvent aujourd’hui maintenir leur niveau de vie sans les subsides du monde. Par leur activisme militaire dirigé contre des Etats insignifiants, ils tentent de masquer leur reflux.

Dans cet article nous aborderons d’abord la situation chaotique du monde pour parler ensuite de la politique étrangère des Etats-Unis en commençant par expliquer les raisons de cette politique, en abordant ensuite la politique étrangère avant et après les attaques du 11 septembre 2001. L’objectif étant d’expliquer le désordre ou le chaos prévalant dans le monde dont les Etats-Unis sont en grande partie responsables.

 

LE DESORDRE DU MONDE

Dans son ouvrage «Politique du Chaos», Thérèse Delpech, s’interroge sur la faillite des Etats face au développement d’une politique du chaos des groupes terroristes et des pays qui veulent se doter à tout prix d’armes de destruction massive. Pour l’auteur, directrice des affaires stratégiques au Commissariat à l’énergie atomique, «l’événement du 11 septembre exprime la violence et le désordre de notre temps avec un pouvoir symbolique exceptionnel» même si la montée en puissance de la Chine, la prolifération des vecteurs balistiques, le trafic d’armes de plus en plus destructeur continuent à faire peser sur les prochaines décennies les même menaces qu’à la veille des attentats de New York et de Washington.

Les conséquences des attentats terroristes du 11 septembre 2001, tant géopolitiques que géostratégiques, de cet évènement mènent à un bilan pessimiste de la situation. Au lendemain de l’évènement, Delpech met ainsi en évidence les nouvelles menaces auxquelles le système international est exposé: l’instabilité de certaines régions du monde, la faillite des grandes puissances et par là même la «vulnérabilité universelle» détermineraient « l’apparition d’une authentique ‘politique du chaos’, qui fait concurrence à la société des nations et qui présente pour elle un danger mortel »([1]) .
Comme l’affirme Ramonet : «L’ennemi principal a cessé d’être univoque; il s’agit désormais d’un monstre aux mille visages qui peut prendre tour à tour l’apparence de la bombe démographique, de la drogue, des mafias, de la prolifération nucléaire, des fanatismes ethniques, du Sida, du virus Ebola, du crime organisé, de l’intégrisme islamique, de l’effet de serre, de la désertification, des grandes migrations, du nuage radioactif, etc. Toutes menaces sans frontières et d’amplitude planétaire qui se propagent sur l’ensemble de la terre et que l’on ne peut combattre avec les armes classiques de la guerre».([2])
Dans son ouvrage «The Lexus and the olive tree», Thomas Friedman affirme que la mondialisation a intensifié les échanges grâce à l’intégration du capital de la technologie et de l’information à travers les frontières nationales groupant, à titre d’exemple, le fermier brésilien, l’entrepreneur indonésien, les villageois chinois et les cadres du Silicon Valley en un seul village. Désormais une lutte va s’engager, entre le système de mondialisation et les anciennes forces qui luttent pour préserver leur culture, géographie, tradition et appartenance communautaire ([3]) .
Delpech, quant à elle, affirme que « le XXème siècle a été celui de l’hypertrophie des Etats. Le XXIème siècle sera peut-être celui de leur faillite».([4])  Ce constat, permis par la fin de l’opposition Est- Ouest, met en exergue l’émergence de forces qui sont, dans de nombreuses régions, opposées à l’organisation étatique: «en Afrique, en Asie centrale, en Europe orientale, dans toute une partie de l’Amérique latine, des Etats ne contrôlent plus qu’une partie de leur territoire. Dans ces ensembles chaotiques, pré-modernes, des trafics de toutes sortes, mélange le plus souvent de drogues et d’armements, entretiennent l’instabilité de façon chronique. Ils alimentent aussi le terrorisme international, qui peut y mener une existence parasitaire».([5])  Ces éléments constituent des prémices à la crise survenue le 11 septembre, permettant le éploiement, depuis l’Afghanistan, d’un réseau terroriste comme le réseau d’Al Quaeda d’Oussama Ben Laden. L’acquisition d’instruments de violence radicale par des groupes ou des individus de plus en plus nombreux est elle-même un produit de la mondialisation  : la question qui se pose aux responsables politiques est de contrôler à l’exportation des biens et des technologies de pointe à finalité civile ou militaire. Ainsi, la mondialisation aurait elle-même favorisé le développement de réseaux terroristes.
Delpech met aussi en avant l’idée selon laquelle les grandes puissances, en faillite, ne peuvent répondre aux défis stratégiques qui constituent le désordre du monde actuel. L’hyperpuissance américaine, qui fait le choix de l’unilatéralisme dans sa lutte contre le terrorisme international, devrait au contraire resserrer ses alliances et compter sur ses partenaires plutôt que de favoriser le «tout sécuritaire».Ainsi face au désordre du monde, une action concertée des grandes puissances semble indispensable. Mais les Etats-Unis agissent seuls donnant le sentiment qu’ils veulent se passer du reste du monde. La raison est que, pour assurer leur suprématie les Etats-Unis ont besoin de créer un désordre dans le monde. 

 

LA POLITIQUE  ETRANGERE DES ETAT-UNIS

Les Etats-Unis: Un empire en déclin

Avant de définir les objectifs de la politique étrangère étasunienne, il faudrait tout d’abord faire remarquer que les Etats-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient hier: alors qu’ils pouvaient se passer du reste du monde et que le monde avait besoin d’eux, à l’aube du XXIème siècle, les Etats-Unis ne peuvent plus se passer du monde mais le monde peut se passer d’eux.
La lecture des analyses produites par les intellectuels de l’establishment américain est significative. Au-delà de toutes leurs divergences, nous trouvons chez Paul Kennedy, ([6])  Samuel Huntington,([7]) Zbignew Brzezinsky,([8]) Henri Kissinger,([9]) Robert Gilpin ([10]) et Francis Fukuyama,([11]),  la représentation inquiète de la force des Etats-Unis dont le pouvoir sur le monde apparaît fragile et menacé.

«La situation des Etats-Unis est curieuse – observe Arthur Schlesinger ancien conseiller du président Kennedy-, c’est une superpuissance militaire mais incapable d’assumer le coût de ses propres guerres. Elle ne peut donc avoir un grand avenir comme superpuissance. Nous ne sommes pas en mesure de gouverner le monde ».([12])

Comme l’affirme Olivier Todd, au début du XXème siècle, les Etats-Unis n’ont plus besoin du monde. En 1945, le produit national brut étasunien représentait plus de la moitié du produit brut mondial. L’hégémonie des années 1950-1990 sur la partie non communiste de la planète a presque mérité le nom d’empire.([13]) Ses ressources économiques, militaires, idéologiques ont donné aux Etats-Unis toutes les dimensions d’une puissance impériale. La prédominance des principes économiques libéraux dans la sphère politiquement et militairement dirigée de Washington a fini par transformer le monde – c’est ce que l’on appelle la globalisation. Mais elle a aussi affecté dans la durée la nation dominante affaiblissant son économie et déformant la société. Entre 1990 et 2000, le déficit commercial américain est passé de 100 à 450 millions de dollars. Pour équilibrer ses comptes extérieurs, les Etats-Unis ont besoin d’un flux de capitaux extérieurs de volume équivalent. En ce début de troisième millénaire, les Etats-Unis ne peuvent plus vivre de leur seule production. Cette situation arrive au moment même où le monde, en cours de stabilisation éducative, démographique et démocratique, est sur le point de découvrir qu’il peut se passer de l’Amérique, qui s’aperçoit qu’elle ne peut plus se passer du monde. Todd démontre dans son livre « Après l’empire» qu’au «moment même où le monde découvre la démocratie et apprend à se passer politiquement de l’Amérique, celle-ci tend à perdre ses caractéristiques démocratiques et découvre qu’elle ne peut plus se passer du monde». ([14]

 

La politique étrangère avant les attaques du 11 septembre 2001

L’approvisionnement en biens divers et en capitaux devenant primordial, le but stratégique fondamental des Etats-Unis est désormais le contrôle politique des ressources mondiales. Mais la puissance déclinante des Etats-Unis ne leur permet pas de maîtriser le monde. La Russie, l’Europe Unie, le Japon et bientôt la Chine, constituent un obstacle à son hégémonie. La seule solution réside en gardant des problèmes insolubles pour justifier son action militaire, en se fixant sur des micro puissances (Irak, Iran, Corée du Nord), développant des armes nouvelles et en empêchant la montée des futures puissances (la Chine et l’Europe Unie).

Baudson affirme que la politique étrangère des Etats-Unis durant la dernière décennie du vingtième siècle peut se résumer comme suit :
- Contrôler, c’est-à-dire étendre son influence par tous les moyens disponibles, militaires, stratégiques, économiques, financiers, diplomatiques, sans oublier la mainmise sur les médias et le développement de la pensée unique par la mondialisation des esprits.
- Contrer c’est-à-dire empêcher toute intrusion sur son territoire et interdire l’apparition d’un rival. ([15])

Ainsi au cours des dix premières années du règne du nouvel ordre mondial, Washington s’est attelée à la réalisation des objectifs fixés:

- La disparition du Pacte de Varsovie aurait dû entraîner celle de l’OTAN. Avec la guerre en ex –Yougoslavie et les deux guerres du Golf, Washington a réussi non seulement à maintenir l’OTAN mais à lui donner un rôle extra-européen.
- La guerre en ex-Yougoslavie a contraint les nations européennes à faire appel aux Etats-Unis en 1995 et, en 1999 à court-circuiter l’ONU au nom de l’OTAN, à se mettre ainsi sous la coupe des Etats-Unis. Dans le même temps en prenant parti pour les Bosniaques et les Albanais du Kosovo, les Etats-Unis se sont placés en défenseurs des musulmans; le but étant de faire oublier aux masses arabes la (première) guerre du Golfe et le soutien à Israël. A terme, l’existence d’une grande Albanie au sud des Balkans ne pourra qu’affaiblir les Européen ([16]).
- Les Européens sont régulièrement tenus à l’écart des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens. A ce sujet, on est en droit de se demander pourquoi les Etats-Unis sont-ils si fidèles à Israël. Todd émet l’hypothèse de l’utilité militaire de l’armée israélienne: «La faiblesse de l’armée de terre américaine, si lente, et de plus incapable d’accepter des pertes, implique de plus en plus l’utilisation systématique de contingents alliés ou même mercenaires pour les opérations au sol (…) Pouvoir compter sur une force militaire capable d’éliminer n’importe quelle armée arabe en quelque jour, serait plus important que l’affection ou la considération du monde musulman».([17]) Les trois-quarts des Juifs américains votent traditionnellement pour le Parti Démocrate. Lorsque ce dernier est au pouvoir, l’appui des Juifs à Israël s’illustre par des tentatives pour protéger Israël tout en respectant, dans la mesure du possible, les droits des Palestiniens. Actuellement, la droite républicaine, qui est appuyée par les fondamentalistes chrétiens (qui sont antisémites mais non anti-israéliens), adopte une politique d’appui maximal à Israël d’une part et anti-arabe de l’autre.  Selon Todd « il existe une relation antagoniste entre les Juifs américains et la fraction de l’électorat américains qui soutient Israël». ([18])
- L’obstination des Etats-Unis à entretenir une tension en apparence inutile avec les résidus du passé que sont la Corée du Nord et Cuba, présente toutes les apparences de l’irrationalité. Surtout si l’on ajoute l’hostilité à l’Iran nation clairement engagée dans la voie d’une normalisation démocratique, et les provocations en Chine. Or les régimes cubain et Nord coréen tomberaient sans interventions extérieures. L’Iran se transforme positivement par rapport au modèle démocratique. Or il est parfaitement évident que l’agressivité américaine renforce les communismes absurdes et conforte la position des courants conservateurs en Iran.
- Tout est fait et tout sera mis en œuvre pour tenter d’empêcher que la Chine  n’accède au rang d’une puissance mondiale. Les provocations fréquentes envers la Chine relégitime le régime sans cesse lui permettant de s’appuyer sur des sentiments nationalistes et xénophobes.
- Les circonstances de l’agression irakienne contre le Koweit sont obscures et on peut se demander si les Américains ont sciemment poussé Saddam Hussein à la faute en lui laissant entendre que l’annexion du Koweit était acceptable de leur point de vue.([19]) Todd affirme que «la libération du Koweït a défini une option possible: s’engager dans le maximum de conflits avec des puissances militaires ridicules, désignées par l’expression d’ « Etat voyou», rogue state, qui résume leur malfaisance et leur petite taille, pour démontrer la force de l’Amérique». Et d’ajouter: «Le gonflement de la menace irakienne – la quatrième armée du monde, disait-on ! – n’aura été que le début d’une mise en scène de menaces inexistantes pour le monde».([20])

 

L’intervention américaine en Afghanistan et en Irak

Après les attaques du 11 septembre 2001, les Etats-Unis se sont notamment impliqués en Afghanistan et en Irak.
Et depuis les attaques du 11 septembre 2001, la lutte contre le terrorisme devint l’objectif numéro un de la politique américaine. La doctrine américaine codifiée dans l’état de l’Union du 29 janvier 2002 ainsi que dans le document sur la sécurité nationale (The National Security Strategy of the USA) de septembre 2002 désigne trois dangers majeurs : le terrorisme, les armes de destruction massive et les Etats voyous (rogue States) et désigne trois de ces derniers : l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord censés constituer l’ «axe du mal»; elle définit une méthode d’action, la guerre préventive et la défense anticipée. Elle inclut l’utilisation éventuelle d’armes nucléaires. Cette politique peut être appliquée toujours et partout. Ainsi pour l’Iran et la Corée du Nord, les Etats-Unis choisissent la voie multilatérale, la voie militaire unilatérale étant jugée trop risquée ([21]) . Mais la malédiction de la politique américaine, souvent appelée Lippman gap, à savoir l’écart entre les ambitions affichées et les moyens mis en œuvre ne peut plus être ignorée. A cet égard le rêve de la restructuration du Moyen-Orient sous l’égide des Etats-Unis est bien mal en point. ([22])

 

L’intervention en Afghanistan

En Afghanistan, la guerre, engagée le 7 octobre 2001 avait pour but la destruction complète des forces des talibans et du réseau d’al Quaeda. Mais plus de trois an après la chute des taliban, l’Afghanistan n’a retrouvé ni la paix ni la stabilité et le poids des seigneurs de la guerre reste déterminant. L’ex Roi afghan Mohammed Zaher Chah dira le 7 mars 2002: «C’est une guerre stupide et inutile. Je l’ai suivie avec un immense chagrin et mieux vaudrait qu’elle cesse mmédiatement. L’heure est maintenant à la reconstruction..»([23]) Todd affirme que « les dirigeants américains se sont engouffrés dans un conflit qu’ils n’avaient pas prévu, mais qui confortait leur technique centrale que l’on peut nommer le micromilitarisme théatrâl : démontrer la nécessité de l’Amérique dans le monde en écrasant lentement des adversaires insignifiants ». Il affirme aussi que «l’incapacité de l’armée américaine à s’engager sur le terrain a également rappelé l’incapacité fondamentale de la superpuissance… ».([24])

Dans un rapport publié le 5 août, «The Problem of Pashtun Alienation» (Le problème de l’aliénation des Pachtounes), l’International Crisis Group notait : « Les risques posés par la désaffection croissante des Pachtounes (la principale ethnie) devraient être évidents. Les talibans sont venus au pouvoir non seulement à cause de l’aide militaire du Pakistan, mais aussi parce que les commandants locaux s’étaient distingués par leurs abus à l’égard des civils et leur extorsion de fonds.

La capacité initiale des talibans à désarmer le Sud et à restaurer un minimum de sécurité, a été saluée comme un répit par une partie importantes de la population locale. Aujourd’hui, l’insécurité dans le Sud et l’Est, les obstacles au commerce et la compétition entre les Etats voisins recréent les conditions qui ont permis aux talibans d’émerger. Les risques sont accrus par la réapparition d’importants commandants talibans prêts à tirer parti du mécontentement populaire et dont de vieux alliés gouvernent les provinces pakistanaises frontalières de l’Afghanistan..».([25])

 

La Seconde Guerre du Golf

Trois types de prétextes ont été utilisés par l’administration Bush pour justifier l’invasion de l’Irak : le premier fut, bien sûr, la «guerre contre le terrorisme» décrétée à la suite du 11 septembre 2001; contre toute évidence, le président Saddam Hussein fut présenté au public américain comme complice, sinon commanditaire, de M. Oussama Ben Laden. Le second argument fut la menace représentée par les «armes de destruction massive»; nous savons désormais que les informations données par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne à ce sujet étaient mensongères. A mesure que les deux autres s’estompaient, le troisième argument a gagné en importance : Washington promettait de faire de l’Irak un modèle démocratique si attractif qu’il servirait d’exemple pour tout le Proche-Orient.
Les Etats-unis alors mettent la dernière main à leur prochaine grande initiative diplomatique: un projet d'assistance globale à la région comprise entre "le Maroc et le Pakistan", qu'ils appellent "Grand Moyen-Orient". Il s'agit d'associer leurs alliés européens dans un partenariat destiné à refaçonner le profil économique, politique et stratégique de cette région afin d'en éradiquer les sources du terrorisme. L'OTAN et l'Union européenne seraient impliqués dans un effort coordonné d'aide économique, de transformation démocratique et de coopération sécuritaire. Les pays arabes ont fait connaître leur hostilité à ce projet. Ils y voient une tentative d'ingérence dans leurs affaires intérieures et une approche visant à marginaliser le conflit israélo-palestinien. La réaction des alliés européens et de l'OTAN est prudente et réservée.
Dans sa version originelle du «Grand Moyen-Orient» ou «Greater Middle East», Washington propose une série de mesures formant un plan aux contours assez flous. Il s'agit de combler les trois "déficits" mis en lumière par les rapports 2002 et 2003 des Nations Unies sur le développement des pays arabes, liés à "la liberté, la connaissance et l'émancipation des femmes". Tant qu'augmentera la population privée de droits économiques et politiques, souligne le texte, "nous assisterons à une augmentation de l'extrémisme, du terrorisme, de la criminalité internationale et de l'immigration illégale". L'évolution démographique, "la libération de l'Afghanistan et de l'Irak", ainsi que l'émergence d'"impulsions démocratiques"dans la région, présentent une "occasion historique" dont le G8 est appelé à se saisir. ([26])
S'agissant du renforcement de la démocratie, le plan américain suggère de favoriser la tenue d'élections libres par une assistance technique (commissions de surveillance des opérations électorales, etc.). Les femmes étant peu présentes dans la vie politique, le G8 pourrait soutenir la création de centres de formation pour celles qui souhaitent se présenter aux élections ou travailler dans des ONG. Le plan préconise un soutien financier aux ONG. Il est assez vague, en revanche, sur la lutte contre la corruption, que la Banque Mondiale a identifié comme le principal obstacle au développement.([27])
Le deuxième axe de cette stratégie consiste à "bâtir une société de la connaissance". Des objectifs sont fixés  : diminuer de moitié le taux d'analphabétisme d'ici à 2010, former quelque 100  000  enseignantes d'ici à 2008. Des mesures sont énumérées, qui vont de la fourniture de livres aux écoles à l'organisation d'un sommet sur la "réforme de l'éducation au Moyen-Orient", ou encore à une vaste initiative pour l'accès aux ordinateurs "spécialement dans les zones reculées".([28])
Le retard économique appelle une transformation d'une ampleur similaire à celle qui a été nécessaire pour les anciens pays communistes. Cela doit passer par la "libération du potentiel du secteur privé". La méthode préconisée est celle du "micro-financement". Dans la région, seuls 5  % des demandes de micro-financement sont acceptés. En partant du principe qu'un prêt moyen est d'environ 400  dollars, une somme de 500  millions de dollars (390  millions d'euros) sur cinq ans aiderait quelque 1,2  million de personnes (dont 750  000  femmes) à sortir de la pauvreté, affirme le rapport. ([29])
La création d'une Banque du développement du "Grand Moyen-Orient", sur le modèle de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), permettrait de réunir les ressources des pays riches de la région et du G8 ([30]).

Afin de lutter contre la faiblesse du commerce interrégional, le document américain envisage plusieurs solutions, notamment la création de "zones de commerce" dont les produits bénéficieraient d'un accès aux marchés des pays du G8.
La prétention de l’administration Bush d’apporter la démocratie au monde musulman en général, et à l’Irak en particulier, a été soumise à vives critiques du côté des «réalistes». Adam Garfinkle, le rédacteur en chef de «The National Interest», principale revue théorique de ce courant, mit vigoureusement en garde contre la naïveté de ce type d’approche dès l’automne 2002.
La première objection qu’il formulait concernait le «paradoxe de la démocratie» défini par un autre professeur de Harvard, le célèbre Samuel Huntington : dans certaines régions du globe, la démocratie peut jouer en faveur de forces hostiles à l’Occident, parangon de cette même démocratie. Le monde musulman est la région par excellence où cette loi se vérifie, étant celle où l’hostilité aux Etats-Unis est à son comble.
La seconde objection que soulevait Adam Garfinkle était qu’une campagne pour la démocratie dans le monde arabe «présuppose soit un tournant majeur des attitudes états-uniennes envers les classes dirigeantes non démocratiques d’Arabie Saoudite, d’Egypte, de Jordanie et autres, que nous avons longtemps considérés comme nos amies, soit un état permanent d’hypocrisie diplomatique flagrante». ([31])
Quel que soient les objectifs formulés par les Etats-Unis, l’occupation de l’Irak constitue une violation du droit international.

En effet, l’une des finalités essentielles du droit international est la sauvegarde de la paix : c’est l’objectif fondamental de la charte des Nations Unies qui a retiré aux Etats leur traditionnelle compétence de guerre. Le recours à la force armée d’un Etat, sauf en cas de légitime défense, est illicite. Du point de vue du droit international, l’intervention armée américano-britannique constitue une rupture de la paix et un crime d’agression engageant la responsabilité des pays concernés et les individus ayant participés à son exécution. La prétention des Etats-Unis à être en état de légitime défense n’est pas fondée. La légitime défense suppose une finalité: la cessation de l’agression, la riposte de l’Etat devant intervenir dans un bref délai qui court jusqu’à ce que le Conseil de sécurité se saisisse de l’affaire sous peine de constituer des représailles illicites. La riposte, proportionnelle à l’agression subie, ne peut viser un Etat que s’il y a imputation prouvée de sa responsabilité. C’est pourquoi, vis-à-vis de l’Irak dont les liens avec le réseau d’al Quaeda n’ont pas été établis, les Etats-Unis tout en cour-circuitant la procédure prévue par la charte pour éviter le véto annoncé de certains membres du Conseil, ont invoqué la notion de « preemptive action » (guerre préventive).([32])
En outre, s’il est vrai que l’invasion de l’Irak a mis fin au règne du tyran, elle a aussi mis fin  aux sanctions imposées par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont tué des centaines de milliers de personnes, dévasté la société, renforcé le pouvoir du tyran et obligé la population à se reposer sur lui pour sa survie (à travers le rationnement), préservant ainsi M.Saddam Hussein du destin d’autres dictateurs soutenus par divers gouvernements des Etats-Unis, notamment par les membres et amis de l’actuelle administration américaine – Suharto, Marcos, Duvalier, Mobutu, etc. – et qui ont été renversés de l’intérieur. Une telle perspective était plausible avant la guerre.
L’enquête de l’inspecteur David Kay, nommé par le président George W. Bush après la victoire, a non seulement démenti de la manière la plus claire la prétendue détention d’armes de destruction massive par l’Irak, mais elle a montré de surcroît que, dans les années qui précédèrent l’invasion américaine, le pouvoir exercé par M. Saddam Hussein était très fragile.

Cela a confirmé, a posteriori, les thèses de nombreux experts qui connaissaient bien la situation intérieure irakienne. Par exemple, MM. Denis Halliday et Hans van Sponeck, coordinateurs de l’aide humanitaire pour l’Organisation des Nations Unies (ONU), avaient maintes fois répété que, si l’embargo et les sanctions imposés par Washington et Londres avaient épargné la population, les Irakiens eux-mêmes auraient renversé leur tyran.([33])
Car l’invasion a enclenché un cycle de violence qui, à son tour, a engendré encore plus de violences Si les liens entre l’ancien régime irakien et le réseau terroriste Al-Quaeda n’ont jamais existé, tout le monde admet que l’Irak occupé est devenu un «sanctuaire de terroristes». Cela a été bien montré en particulier par Jessica Stern, spécialiste en terrorisme de l’université de Harvard, dans une étude publiée par le New York Times du 20 août 2003, après la destruction du siège de l’ONU à Bagdad.([34])
Malgré les coups reçus, Al-Qaeda poursuit ses activités mortelles. En 2003,  l’organisation (ou les groupes qui s’en réclament) a frappé à plusieurs reprises: le 12 mai 2003 à Riyad (35 morts), le 16 mai 2003 à Casablanca (plus de 40 morts), le 5 août 2003 à Djakarta (une dizaine de morts). En août deux attentats ont frappé Bagdad, l’un contre l’ambassade de Jordanie et l’autre contre le siège des Nations Unies, et Washington dénonce l’afflux de combattants islamistes en Irak. Malgré les prévisions de Daniel Pipes, il ne fait aucun doute que les attaques américaines en Afghanistan et en Irak, comme l’impuissance américaine en Palestine, ont alimenté les sergents recruteurs d’Al-Qaeda.([35])
Olivier Roy dénonce l’«idéologisation» par l’administration Bush de la lutte contre le terrorisme, « qui amène à se tromper de cibles et à détourner d’importants moyens pour des objectifs qui n’ont rien à voir avec le terrorisme». Il met en cause une «vision stratégique erronée et préconçue: les objectifs ont été définis avant même le 11 septembre, à savoir les rogue States (Etats voyous, avec en tête l’Irak). (...) d’où la définition de la lutte contre le terrorisme en termes de guerre. Or tous les responsables d’Al-Qaeda qui ont été arrêté l’ont été par des moyens policiers classiques (filatures, infiltrations).

Ceux qui ont fait l’objet d’attaques militaires sont soit morts (et ne fournissent aucun renseignement), soit le plus souvent bien vivants (Ben Laden, Mollah Omar)».
L’Afghanistan fut la première cible de l’offensive planétaire contre le terrorisme. Près de deux ans après la chute du régime des talibans, les dépêches d’agence, peu reprises par les medias, permettent de mesurer le chaos qui y règne. Dans la seule semaine du 13 au 20 août 2003, une centaines de personnes ont été tuées: dans la province du Helmand, dans le Sud, une bombe a explosé dans un bus; dans la province voisine d’Oruzgan, une bataille a opposé deux commandats fidèles au gouvernement central: plusieurs affrontement dans les provinces de Khost et de Pktika ont mis aux prises des soldats et des centaines de combattants talibans, etc.([36])
Mais il semble aussi que les Etats-Unis fait une sorte de distinction entre divers terroristes. La liste des terroristes ayant trouvé refuge aux Etats-Unis comprend également M. Emmanuel Constant, de Haïti, connu sous le nom de «Toto», un ancien leader paramilitaire de l’époque des Duvalier. «Toto» est le fondateur du Front révolutionnaire pour l’avancement et le progrès d’Haïti (FRAPH), groupe paramilitaire qui, aux ordres de la junte qui avait renversé le président Aristide, terrorisa la population de 1990 à 1994. Selon des informations récentes, « Toto » vit dans le Queens à New York. Et Washington a refusé la demande d’extradition présentée par Haïti. Pourquoi ? Parce que «Toto» pourrait révéler les liens entre les Etats-Unis et la junte coupable d’avoir fait assassiner – par les hommes du FRAPH – entre 4 000 et 5 000 Haïtiens… Il faut ajouter que, parmi les gangsters qui ont participé, aux côtés des forces américaines, au récent coup d’Etat contre le président Aristide figurent plusieurs anciens dirigeants de l’organisation terroriste FRAPH… ([37])
Washington répugne toujours à livrer ceux qui l’ont bien servi même s’il agit de terroristes. Ainsi, en février 2003, le Venezuela a demandé l’extradition de deux officiers qui avaient participé au coup d’Etat du 11 avril 2002 contre le président Hugo Chávez et qui avaient ensuite organisé un attentat à Caracas avant de fuir à Miami, où ils ont trouvé refuge. Bien entendu, Washington a refusé.([38])
Car tous les terroristes ne sont pas de même nature.  Ceux qui servent les intérêts des Etats-Unis ne sauraient être qualifiés du vilain terme de «terroristes». Ils sont les nouveaux «combattants de la liberté», comme les médias qualifiaient jadis M. Oussama Ben Laden lui-même, du temps où il terrorisait les Soviétiques pour le compte de Washington.
Incapable de restaurer l’ordre, la sécurité et les services de base, le Pentagone, qui administre l’Irak comme une colonie, ne comprend pas la résistance qu’elle attribue, à tort, aux seuls partisans de l’ancien dictateur, et ne déchiffre pas la méfiance de la population. Pourquoi celle-ci se plaindrait-elle, alors que les Etats-Unis l’ont débarrassée d’un tyran? C’est que les Irakiens savent la part que Washington a prise dans leur long calvaire. Ils attendent encore les excuses pour le soutien des Etats-Unis à M. Saddam Hussein dans les années 1980 - il n’ont pas entendu celles de la France non plus...

Ils n’ont pas perçu le moindre regret pour la passivité des armées alliées durant l’insurrection du printemps 1991 ni pour l’embargo meurtrier qu’ils ont subi. Ni pour les milliers de morts civils provoqués en 2003, notamment par les bombes à fragmentation ou le napalm.([39])

Par leur investissement dans la recherche et le maintien d’un budget militaire supérieur aux autres puissances réunis, les Etats-Unis ont acquis une suprématie qui non seulement leur garantie la victoire contre tout Etat ou coalition, mais rend techniquement difficile la coopération avec leurs alliés. Mais la stratégie militaire étasunienne fondée sur la combinaison de l’arme aérienne en particulier des missiles à haute précision, et des forces spéciales et excluant des gros bataillons traditionnels de fantassins est certes spectaculairement efficace pour gagner rapidement des guerres contre des adversaires modestes comme l’Irak ou les Taliban. En revanche elle est inefficace pour exploiter cette victoire militaire en faveur d’un but politique qu’il s’agisse de l’éradication du terrorisme, de l’occupation d’un territoire ou de la reconstruction et de la transformation d’une société ou d’un Etat.([40])
Les revers subis par les Etats-Unis en Irak ne semblent pas affecter la détermination de l’administration Bush à poursuivre son « grand dessein» : le remodelage du Proche-Orient. Dans ce cadre, le mot d’ordre consiste à désigner l’Iran comme la «nouvelle menace». Les «actes d’accusation» dressés contre Téhéran ressemblent à s’y méprendre à ceux qui étaient formulés il y a deux ans contre le régime de M. Saddam Hussein: fabrication d’armes de destruction massive, soutien au terrorisme, liens avec Al-Quaeda... ([41])
 
A la différence de l'ancien régime irakien, l'Iran a effectivement développé un programme nucléaire, et celui-ci, ainsi que son éventuel usage à des fins militaires sont évoqués comme des preuves des intentions belliqueuses de Téhéran. La conseillère de M. George W. Bush à la sécurité nationale et nouvelle secrétaire d'Etat des Etats-Unis, Mme Condoleezza Rice, a prévenu depuis longtemps que Washington ferait tout pour forcer l'Iran à abandonner son programme nucléaire.([42])

Deux raisons majeures expliquent cet acharnement de l'administration Bush. La première tient à la position géostratégique de l'Iran qui, grâce à ses potentialités humaines (70 millions d'habitants) et économiques, à son indépendance et à sa coopération militaire avec la Russie et la Chine, renforce son statut de puissance régionale moyenne et appara”t comme le dernier rempart contre une mainmise durable des Etats-Unis sur l'ensemble du Proche-Orient. Si l'Iran accédait à la puissance nucléaire, il deviendrait un partenaire courtisé par de futurs "concurrents de rang égal" des Etats-Unis, selon l'expression en vigueur dans les rapports du Pentagone, soit l'Europe, la Chine, l'Inde ou la Russie. Par ailleurs, Téhéran constitue le dernier allié régional d'acteurs étatiques et non étatiques toujours en conflit avec Isra‘l, comme le Liban, la Syrie, le Hezbollah et certaines organisations palestiniennes.([43])

 
CONCLUSION

De l'Afghanistan à l'Irak, l'onde du chaos se propage sur "le monde meilleur" annoncé par M. Donald Rumsfeld . Les Etats-Unis s'enlisent dans ces pays et, parallèlement, se révèlent incapables d'imposer une paix juste au conflit israélo-palestinien. Michael Ledeen, jusqu'ici connu surtout pour son implication dans l'Irangate, affirme que l'objectif n'est pas de stabiliser ces pays: "La recherche de stabilité serait indigne de l'Amérique. Notre pays est celui de la destruction créatrice. Nous ne voulons pas de stabilité en Iran, en Irak, en Syrie, au Liban, ni même en Arabie Saoudite... La question est de savoir comment déstabiliser ces pays. Nous devons les détruire pour accomplir notre mission historique". Comme au temps de la guerre du Vietnam, o‌ il fallait détruire les villages pour les sauver... Comme l'affirme Alain Gresh: "Ce sont les Irakiens - et les peuples du Proche-Orient - qu'il faut avant tout " aider ". Ce sont eux les premières victimes du chaos, que la guerre et l'extrémisme de l'administration Bush ont aggravé. Il n'est pas d'autre voie vers la paix que celle des Nations Unies. Il est urgent de l'emprunter pour sauver le peuple irakien".
 

ANNEXE
 
Extraits du Discours de George W. Bush sur l'état de l'Union, 29 janvier 2002


Alors que nous sommes réunis ici ce soir, notre pays est en guerre, notre économie est en récession, et le monde civilisé doit faire face à des dangers sans précédent. Et pourtant, notre Union n'a jamais été aussi solide. Lors de notre dernière réunion, nous étions sous le choc et en proie à la souffrance. En quatre mois à peine, notre pays a réconforté les victimes, commencé à reconstruire New York et le Pentagone, formé une grande coalition, capturé, arrêté et mis hors d'état de nuire des milliers de terroristes, détruit des camps d'entra”nement de terroristes en Afghanistan, sauvé un peuple de la famine et libéré un pays d'une oppression brutale. Le drapeau américain flotte de nouveau au-dessus de notre ambassade à Kaboul. Les terroristes qui occupaient l'Afghanistan occupent maintenant des cellules à Guantanamo, et les chefs des terroristes qui incitaient leurs adeptes à sacrifier leur vie s'enfuient pour sauver la leur. Les Etats-Unis et l'Afghanistan sont maintenant alliés contre le terrorisme - nous allons coopérer pour reconstruire ce pays - et ce soir nous souhaitons la bienvenue au président par intérim de l'Afghanistan libéré : M. Hamid Karza. La dernière fois que nous étions réunis dans cet hémicycle, les mères et les filles de l'Afghanistan étaient captives chez elles ; il leur était interdit de travailler ou de faire des études. Aujourd'hui, les femmes sont libres et elles font partie du nouveau gouvernement de l'Afghanistan. Nous souhaitons aussi la bienvenue à la nouvelle ministre des affaires féminines, Mme Sima Samar. C'est grâce à l'esprit du peuple afghan, à la détermination de notre coalition et à la puissance de l'armée des Etats-Unis que nous avons réalisé ces progrès. Lorsque j'ai mobilisé nos troupes, je l'ai fait avec une confiance totale en leur courage et en leur compétence, et c'est grâce à elles que nous gagnons la guerre contre le terrorisme. Les hommes et les femmes de nos forces armées ont transmis un message qui est maintenant clair à tous les ennemis des Etats-Unis : même à dix mille kilomètres de nos rives, par-delà les océans et les continents, au sommet des montagnes et au fond des grottes, ils n'échapperont pas à la justice de notre pays. (...) Notre cause est juste, et elle se poursuit. Nos découvertes en Afghanistan ont confirmé nos pires craintes et elles nous montrent la véritable ampleur de la tâche qui nous attend. Nous avons observé la haine profonde de nos ennemis en regardant les films vidéo dans lesquels ils rient de la mort d'êtres innocents. L'intensité de leur haine n'a d'égale que la folie de la destruction qu'ils envisagent. Nous avons trouvé des schémas de centrales nucléaires et d'installations d'alimentation en eau américaine, des instructions détaillées pour la fabrication d'armes chimiques, des cartes de reconnaissance de villes américaines et la description précise de sites particuliers aux Etats-Unis et dans le reste du monde. Ce que nous avons trouvé en Afghanistan confirme que, loin de se terminer dans ce pays, notre guerre contre le terrorisme ne fait que commencer. La plupart des dix-neuf hommes qui ont détourné les avions utilisés lors des attentats du 11 septembre s'étaient entra”nés dans des camps en Afghanistan, comme l'ont fait aussi des dizaines de milliers d'autres individus. Des milliers de tueurs dangereux, rompus aux méthodes de l'assassinat, souvent soutenus par des régimes hors-la-loi, sont aujourd'hui disséminés un peu partout dans le monde, véritables bombes à retardement prêtes à exploser sans avertissement. Grâce à l'action de nos agents chargés de l'application des lois et de nos partenaires avec lesquels nous avons formé une coalition, des centaines de terroristes ont été arrêtés - pour autant, il reste des dizaines de milliers de terroristes bien entra”nés. Ces ennemis assimilent le monde entier à un champ de bataille, et nous devons les pourchasser, o‌ qu'ils se trouvent. Tant qu'il restera des camps d'entra”nement, tant  que des Etats donneront asile aux terroristes, la liberté sera compromise ; cela, les Etats-Unis et leurs alliés ne doivent pas le tolérer, et ils ne le toléreront pas. Les Etats-Unis poursuivront deux grands objectifs sans relâche et patiemment. Premièrement, nous devons fermer les camps d'entra”nement, déjouer les plans des terroristes et faire compara”tre ces derniers devant la justice. Deuxièmement, nous devons empêcher les terroristes et les gouvernements qui cherchent à se doter d'armes chimiques, biologiques ou nucléaires de menacer les Etats-Unis et le monde. Notre armée a mis les camps d'entra”nement des terroristes en Afghanistan hors d'état de nuire, mais d'autres persistent dans une douzaine de pays au moins. Un monde terroriste clandestin, composé de groupes tels le Hamas, le Hezbollah, le Djihad islamique et la Jaish-i-Mohammed, opère dans des jungles et des déserts isolés et se tapit en plein coeur des grandes villes. Si c'est en Afghanistan que sa présence est la plus visible, l'armée des Etats-Unis agit aussi ailleurs. Aux Philippines, nous avons déployé des effectifs chargés d'aider les forces armées de ce pays à pourchasser les cellules terroristes qui ont exécuté un Américain et qui détiennent encore des otages. Nos soldats, en liaison avec le gouvernement bosniaque, ont capturé des terroristes qui complotaient de perpétrer un attentat à la bombe contre notre ambassade. Notre marine patrouille le long de la côte de l'Afrique en vue de bloquer les livraisons d'armes et l'établissement de camps terroristes en Somalie. Je forme l'espoir que tous les pays écouteront notre appel et qu'ils élimineront les parasites terroristes qui nous menacent tous, eux comme nous. De nombreux pays mettent en oeuvre des moyens énergiques. Le Pakistan réprime maintenant le terrorisme et j'admire les grandes qualités de dirigeant, réunies en la personne du président Moucharraf. Par contre, d'autres pays se montreront pusillanimes face au terrorisme. Ne vous y trompez pas : s'ils n'agissent pas, les Etats-Unis, eux, passeront à l'action. Notre second objectif consiste à empêcher les gouvernements qui parrainent le terrorisme de menacer les Etats-Unis et leurs amis au moyen d'armes de destruction massive. Certains de ces gouvernements se tiennent tranquilles depuis le 11 septembre. Mais nous connaissons leur véritable caractère. La Corée du Nord a un gouvernement qui s'équipe de missiles et d'armes de destruction massive tout en affamant sa population. L'Iran s'emploie activement à fabriquer de telles armes et exporte le terrorisme tandis qu'une minorité non élue étouffe l'espoir de liberté du peuple iranien.
L'Irak continue à afficher son hostilité envers les Etats-Unis et à soutenir le terrorisme. Le gouvernement irakien complote depuis plus de dix ans pour mettre au point le bacille du charbon, des gaz neurotoxiques et des armes nucléaires. C'est un gouvernement qui a déjà utilisé les gaz asphyxiants pour tuer des milliers de ses propres citoyens, laissant les cadavres des mères blottis sur ceux de leurs enfants. C'est un gouvernement qui, après avoir accepté des inspections internationales, a chassé les inspecteurs. C'est un gouvernement qui a des choses à cacher au monde civilisé. De tels Etats constituent, avec leurs alliés terroristes, un axe maléfique et s'arment pour menacer la paix mondiale. En cherchant à acquérir des armes de destruction massive, ils posent un danger dont la gravité ne fait que cro”tre. Ils pourraient fournir ces armes aux terroristes, leur donnant ainsi des moyens à la hauteur de leur haine. Ils pourraient attaquer nos alliés ou tenter de faire du chantage auprès des Etats-Unis. Dans l'un quelconque de ces cas, le co‍t de l'indifférence serait catastrophique. Nous coopérerons étroitement avec les membres de notre coalition pour refuser aux terroristes et aux Etats qui les parrainent le matériel, la technologie et le savoir-faire qui leur permettraient de fabriquer et de lancer des armes de destruction massive. Nous mettrons au point et déploierons une défense antimissile pour protéger les Etats-Unis et leurs alliés d'une attaque surprise. Et tous les pays devraient savoir que les Etats-Unis prendront toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de notre nation. Nous agirons sans hésitation mais le temps n'est pas notre allié.

Nous n'attendrons pas que des incidents surviennent alors que le danger s'accro”t. Nous ne resterons pas inactifs face à un danger qui se rapproche de plus en plus. Les Etats-Unis d'Amérique ne permettront pas aux gouvernements les plus dangereux du monde de nous menacer avec les armes les plus destructives du monde. Notre guerre contre le terrorisme est déjà bien engagée, mais elle ne fait que commencer. Cette campagne ne sera peut-être pas terminée avant la fin de notre mandat, mais nous devons la mener durant ce mandat-ci et nous la mènerons. Nous ne pouvons pas nous arrêter à mi-chemin. Si nous nous arrêtions maintenant, que nous laissions intacts les camps de terroristes et libres les Etats qui sèment le terrorisme, notre sentiment de sécurité serait illusoire et éphémère. L'histoire a lancé aux Etats-Unis et à leurs alliés un appel à l'action, et c'est tout autant notre responsabilité que notre privilège que de mener ce combat pour la liberté. Notre première priorité doit toujours être la sécurité de notre nation, et ce fait se trouve reflété dans le budget que j'envoie au Congrès. Mon budget appuie trois objectifs très importants pour l'Amérique : Nous remporterons cette guerre, nous protégerons notre territoire et nous relancerons notre économie. Le 11 septembre a fait ressortir le meilleur de l'Amérique et de ce Congrès. Je me joins au peuple américain afin d'applaudir à votre unité et à votre détermination.

Maintenant, les Américains méritent que nous fassions preuve de la même unité afin de régler nos problèmes intérieurs. Je suis fier d'appartenir à mon parti.
Cependant, au fur et à mesure que nous agissons en vue de gagner la guerre, de protéger notre peuple et de créer des emplois, nous devons avant tout nous comporter comme des Américains, et non comme des républicains ou comme des démocrates. Cette guerre est fort co‍teuse. Nous avons dépensé plus d'un milliard de dollars par mois - plus de trente millions de dollars par jour - et nous devons être prêts pour les opérations qui seront menées à l'avenir. La campagne afghane a montré que les co‍teuses armes de précision écrasent l'ennemi tout en épargnant la vie aux innocents, et il nous en faut davantage. Nous devons remplacer nos avions vieillissants et rendre nos armées plus agiles, de façon à pouvoir déplacer rapidement et en toute sécurité nos soldats partout dans le monde. Nos hommes et femmes en uniforme méritent les meilleures armes qui soient, le meilleur équipement possible et la meilleure formation qu'on puisse leur donner. Ils méritent aussi une nouvelle augmentation de leur solde. Mon budget prévoit la plus grosse augmentation en vingt ans en matière de défense, car si le prix de la liberté et de la sécurité est élevé, il ne l'est jamais trop. S'agissant de la défense de notre pays, nous en paierons le co‍t, quel qu'il soit. La priorité suivante, dans mon budget, consiste à faire tout ce qui est possible pour protéger nos compatriotes et renforcer notre nation contre la menace toujours présente d'une nouvelle attaque. Le temps qui passe et qui nous éloigne des évènements du 11 septembre n'améliorera pas notre sens de sécurité à moins que nous ne tirions les leçons de ces attentats. L'Amérique n'est désormais plus protégée par de vastes océans.

Seuls une action vigoureuse à l'étranger et un renforcement de la vigilance chez nous nous protégeront d'une attaque. Mon budget double pratiquement les fonds qui appuieront une stratégie soutenue en matière de sécurité du territoire, stratégie qui se concentre sur quatre domaines clés : le bioterrorisme, la réaction aux situations d'urgence, la sécurité dans les aéroports et aux frontières et l'amélioration des services de renseignement. Nous mettrons au point des vaccins pour combattre la maladie du charbon et d'autres maladies mortelles. Nous augmenterons les crédits afin d'aider les Etats et les collectivités à former et à équiper nos héro•ques policiers et sapeurs-pompiers. Nous améliorerons la collecte et l'échange de renseignements, multiplierons les patrouilles à nos frontières, renforcerons la sécurité dans nos transports aériens, et utiliserons la technologie afin de suivre les arrivées et les départs des visiteurs aux Etats-Unis. La s‍reté du territoire aura pour effet non seulement de renforcer l'Amérique, mais aussi, de maintes façons, de l'améliorer. Les connaissances que nous tirerons de la recherche sur le bioterrorisme amélioreront la santé publique, une police et un corps de sapeurs-pompiers renforcés créeront des quartiers plus s‍rs, et une surveillance accrue des frontières facilitera la lutte contre le trafic des stupéfiants. Le gouvernement assurera la sécurité de notre territoire, mais cela n'empêchera pas l'Amérique de continuer à compter sur la sagacité de ses citoyens. Quelques jours avant No‘l, une h™tesse de l'air a surpris un passager en train d'essayer de craquer une allumette. L'équipage et les passagers ont rapidement ma”trisé l'homme, qui avait été formé par Al-Quaeda et avait des explosifs. Les gens à bord de cet appareil étaient sur le qui-vive et, de ce fait, ils ont sans doute sauvé près de 200 personnes. Ce soir, nous accueillons et remercions les hôtesses Hermis Moutardier et Christina Jones. (...) L'Amérique sera le champion de la défense de la liberté et de la justice, parce que ces principes sont justes, vrais et inaliénables pour tous les peuples du monde. Aucune nation n'a l'exclusivité de ces valeurs, et aucune nation ne peut y échapper. Nous n'avons pas l'intention d'imposer notre culture, mais les Etats-Unis défendront toujours fermement les principes non négociables de la dignité humaine : la primauté du droit, la limitation de la puissance de l'Etat, le respect des femmes, la propriété privée, la liberté d'expression, la justice pour tous, et la tolérance religieuse. L'Amérique prendra la défense des hommes et femmes courageux qui protègent ces valeurs dans le monde, y compris dans les pays islamiques, parce que nous visons plus que l'élimination des menaces et l'endiguement du ressentiment. Au-delà de la guerre contre le terrorisme, nous cherchons l'avènement d'un monde juste et pacifique. En ces moments uniques, une menace commune efface les anciennes rivalités. Les Etats-Unis coopèrent avec la Russie, la Chine et l'Inde, comme ils ne l'ont encore jamais fait, en faveur de la paix et de la prospérité. Dans chaque région, les marchés libres, le libre-échange, et les sociétés libres prouvent leur capacité d'amélioration des conditions de vie. De concert avec nos amis et alliés d'Europe, d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, nous montrerons que les forces de la terreur ne peuvent pas arrêter l'élan de la liberté. La dernière fois que j'ai pris la parole ici, j'ai exprimé l'espoir que la vie redeviendrait normale. A certains égards, elle l'est redevenue. A d'autres, elle ne le
redeviendra jamais. Ceux d'entre nous qui ont été touchés par ces dures épreuves en sont sortis changés. Nous avons appris des vérités dont nous ne douterons jamais, à savoir que le mal existe et qu'il faut s'y opposer. Par-delà les différences de race ou de religion, nous sommes un seul pays, qui pleure ses morts ensemble et qui fait face au danger ensemble. L'honneur est au plus profond du caractère américain, et il est plus fort que le cynisme. Et un grand nombre d'entre nous ont de nouveau découvert que même lors d'une tragédie - et tout particulièrement lors d'une tragédie - Dieu est proche.

En un instant, nous nous sommes rendu compte que cette décennie serait décisive dans l'histoire de la liberté et que nous étions appelés à jouer un r™le exceptionnel dans le cours des évènements de l'humanité. Rarement le monde a eu à faire face à un choix aussi clair et dont les effets sont aussi importants.
Nos ennemis envoient les enfants d'autres personnes accomplir une mission qui s'achève par leur suicide et par l'assassinat. Ils embrassent la tyrannie et la mort en tant que cause et religion. Nous défendons un choix différent qui a été fait il y a longtemps, le jour de la fondation de notre République. Nous le réaffirmons aujourd'hui. Nous choisissons la liberté et la dignité de tout être humain.
Déterminés à atteindre notre but, nous poursuivons maintenant notre tâche. Nous avons vu le prix de la liberté. Nous avons montré le pouvoir de la liberté. Et dans ce grand conflit, mes chers compatriotes, nous verrons la victoire de la liberté.

Je vous remercie tous. Que Dieu vous bénisse.
Traduction française provenant du site du Département d'Etat des Etats-Unis http://usinfo.state.gov/francais/f2013001.htm

 

[1] Thérèse Delpech, Politique du chaos, l'autre face de la mondialisation, Paris, Seuil, 2002

[2] Thérèse Delpech, Op. Cit., p.7

[3] Ignacio Ramonet, Géopolitique du chaos, Paris, Galilée, 1997, pp. 20-21

[4] Thomas Friedmann, The Lexus and the Olive Tree,

[5] Thérèse Delpech, Op. Cit., p.9

[6] Thérèse Delpech, Op. Cit., pp 9-10

[7] Paul Kennedy, The rise and fall of Great Powers. Economic Change and Military conflict form 1500 to 2000, Londres, Fontana press 1989

[8] Samuel P. Huntington, The clash of civilizations and the Remaking of World Order, Londres, Touchtstone books, 1998

[9] Zbignew Brzezinsky, The Grand chessbord. American Primacy and its geostrategic Imperatives, New York, Baisc Books, 1997

[10] Henry Kissinger, Does America needs a Foreign policy ? Toward a diplomacy for the 21st century, New York, Simon and Schuster, 2001

[11] Robert Gilpin, Global Political Economy. Understanding the International Economic Order, Princeton University Press,2001

[12] Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man, Londres, Penguin Books, 1992

[13] Ignacio Ramonet, Op. Cit., p. 17

[14] Emmanuel Todd, Après l'Empire. Essai sur la décomposition du système américain, Paris, Gallimard, 2004, pp. 29-30

[15] Ibid.

[16] Ibid., pp. 38-39

[17] Gérard Baudson, La planète de l'Oncle Sam, Paris, JC Lattès, 2000, p.65

[18] Gérard Baudson, Op. Cit., p. 70

[19] Emmanuel Todd, Op. Cit., pp. 162-163

[20] Ibid., pp164-165

[21] Emmanuel Todd, Op. Cit., p. 189

[22] Ibid., pp. 189-190

[23] Pierre Hassner, " La politique étrangère des Etats-Unis : continuité et évolutions ", Universalia 2004, Paris, Encyclopaedia Universalis France, 2004, p.80

[24] Ibid., p.83

[25] Selig S. Harrison, " L'Afghanistan retombe dans le chaos ", Manière de voir. Le Monde Diplomatique.L'Empire contre l'Irak, No67, Janvier ذ Février 2002, p.59

[26] Emmanuel Todd, Op. Cit., p. 190

[27] Alain Gresh, " L'Onde du Chaos ", Le Monde Diplomatique , Septembre 2003, p.1 " Démocratie et développement : ce que dit le plan américain ", Le Monde, 27 février 2004

[28] Ibid

[29] Ibid

[30] Ibid

[31] Ibid

[32] Gilbert Achkar, " Le nouveau masque de la politique américaine au Proche-Orient ", Le Monde Diplomatique, Avril 2004, p.14

[33] Robert Charvin, " La question irakienne et le droit international ", in Universalia 2004,  Paris, Encyclopaedia Universalis France, 2004, pp. 86-87

[34] Noam Chomsky, " L'Autisme de l'Empire ", Le Monde Diplomatique, Mai 2004, p.21

[35] Ibid

[36] Ibid

[37] Alain Gresh, Op.Cit.

[38] Ibid

[39] Noam Chomsky,Op.Cit

[40] Robert Charvin, op.cit., p.80

[41] Walid Charara, "Après Bagdad, Téhéran?", Le monde diplomatique, Janvier 2005, p.3

[42] Ibid

[43] juillet Donald Rumsfeld déclarait au Sénat: "Nous pouvons dire avec confiance que le monde est meilleur depuis que les Etats-Unis ont mené une coalition de forces en Irak." in Alain Gresh op.cit, Ibrahim Warde,"l'ordre américains coûte que coûte", Le Monde Diplomatique,Avril 2003.