LE PSYCHOLOGUE à l’ARMÉE

LE PSYCHOLOGUE à l’ARMÉE
Préparé par: Docteur Viviana Sami LAHOUD
Psychologue à l’Armée Libanaise Professeur niversitaire USEK - UL

Depuis dix ans, je suis psychologue dans le service de psychiatrie militaire. «Un psychologue à l’Armée», bien qu’il s’agisse en fait d’une réflexion, je l’avoue, douleureuse. Dans un tel milieu, seul le travail universitaire me permet de continuer psychiquement, tant la loi de l’emprise militaire est difficile à intérioriser. Car le règlement militaire excerce sa loi particulière et dirige ses sujets selon des statuts spécifiques, à nuls autres comparables. L’observation quotidienne des exercices des contraintes rend criante la question de l’éthique dans l’utilisation des tests. Comment concevoir alors, l’action «psychologique» à l’intérieur du corps militaire? Ce milieu caractérisé par l’obéissance, la discipline, la tradition, le style autoritaire…Quel est le véritable rôle du psychologue et des Armées? Comment se présente la structure des services psychologiques? Comment s’effectue l’évaluation de la personne éthiquement dans les tests psychologiques? Quelle est l’attitude des militaires à l’égard du psychologue et les difficultés qu’il rencontre dans l’exercice de sa profession?

Toutes ces interrogations ont été à l’origine de l’élaboration de ce document fondé sur mon expérience professionnelle en milieu militaire.
 

1. Rôle du psycholologue dans l’Armée

“Le meilleur analogue de la psychologie militaire, dit Melton, est la psychologie industrielle”[1]. Mais deux grandes différences sont perçues: d’une part la mission générale de l’Armée, la défense de la population civile, se traduit, dans l’exécution, par l’exercice de la violence. D’autre part l’Armée prend en charge toute la vie des individus, comme les internats, les monastères, les hôpitaux, les prisons.

Dans l’Armée, le psychologue militaire doit faire la psychologie du militaire pour le militaire. En tant qu’employé au sein du commandement, il participe à la mise en place des décisions, en lui fournissant des informations objectives sur les réactions à attendre du personnel d’une part, en suggérant des solutions à ses problèmes d’autre part : efficacité du combat, harmonie de la vie quotidienne, éventuellement réforme des institutions. De plus, il a aussi à agir pour les individus par des conseils personnels. Mais, comme dans l’industrie, le psychologue militaire n’a pas à prendre de décision, qui reste la prérogative du commandement. Il n’a pas, non plus, à agir seul, il doit être en liaison étroite avec le commandement d’unité, le médecin, l’ingénieur militaire, les services sociaux[2].

Les principaux domaines d’activités du psychologue militaire sont:

1.1. La participation à la structuration du «système technique»

1.2. Le maintien du moral

1.3. La psychotechnique, en tant que mise au point d’instruments d’évaluation

1.4. L’information du commandement en ce qui concerne les méthodes et les résultats de psychologie scientifique[3].

Au Liban, la fonction du psychologue militaire se résume en une fonction thérapeutique (suivi thérapeutique des militaires et de leurs familles) et psychométrique (passation des tests psychologiques).
 

2. Rôle des Armées

Dans les armées, en général, nous retrouvons trois rôles essentiels qui se manifestent comme suit:

2.1. Les missions

Le rôle primordial des armées est le combat. Celui-ci est nécessairement précédé, dans un système de l’Armée nationale, par une mobilisation. Celle-ci ne peut s’effectuer en sécurité que si sa couverture est assurée par des forces en place immédiatement possibles. Les trois missions fondamentales sont les suivantes: couvrir, immobiliser, combattre. Pour les remplir, les armées ont des rôles dérivés plus manifestes: la formation du personnel, le stockage et l’entretien du matériel courant et de mobilisation ainsi que l’étude et l’expérimentation de procédures nouvelles.

A ces missions principales et aux activités qui en dérivent, s’ajoutent des activités «accessoires», qui ne sont pas des caractéristiques essentielles des armées, puisqu’elles ne sont pas centrées sur le combat, et dont l’importance a varié avec les époques. Parmi les préocupations qui ont suscité ces activités, on cite: le cérémonial, le maintien de l’ordre et l’égalité de tous les citoyens devant un service obligatoire.

2.2. Systèmes de solutions

Pour répondre à ces exigences, le gouvernement ou le commandement ont eu en général à prendre des décisions relativement à des variables bipolaires. Citons les principales oppositions:

2.2.1. Armée de métier- Armée nationale

2.2.2. Militaire (soumis à des règlements) – Combattants (éventuellement civils)

2.2.3. Formation du combattant- Formation du citoyen

2.2.4. Polyvalence (des individus, des unités, des armées)– Spécialisation

2.2.5 Armes-Services; Armes-Sélection.

2.3. Tendances de l’évolution

L’évolution de l’organisation des armées apparaît, aujourd’hui, de plus en plus rapide. Il est important que le psychologue militaire en ait nettement conscience. Ces solution, excellentes à une époque, peuvent devenir rapidement périmées. Le spécialiste appelé à conseiller le commandement doit parfaitement connaître l’état actuel qu’il s’agit d’améliorer. D’autre part, par les informations qu’il fournit au commandement, il peut contribuer à l’orientation de cette évolution. Celle-ci paraît déterminée par quatre groupes de facteurs:

2.3.1. Le progrès technique

2.3.2. La démographie et l’économie

2.3.3. La conjoncture internationale

2.3.4. La recherche de la surprise: il importe que l’adversaire trouve devant lui une organisation des forces différente de celle à laquelle il s’attend.

Sous ces influences, on constate d’abord une augmentation des effectifs, puis à mesure que la machine prend la relève de l’homme, réduction des effectifs. Le matériel devient à la fois plus diversifié et plus complexe. Il en résulte que la formation du personnel devient plus difficile, exigeant des aptitudes plus grandes, et devient rapidement périmée.
 

3. Structure des services psychologiques dans l’Armée

La manière dont le commandement envisage le rôle du psychologue varie avec les pays. En Allemagne, où la psychologie est plus globaliste, ce sont des méthodes plus au moins «intuitionnistes» qui ont été utilisées pour la sélection des cadres[4]. Aux Etats-Unis, une vue plus pragmatique a conduit à des méthodes plus scientifiquement contrôlées. Il est vraisemblable que ces attitudes influent sur l’implantation des services psychologiques.

Deux grandes tendances d’organisation se manifestent: la première est celle d’organismes permaments de psychologie militaire, la seconde est celle de contrats passés avec des organismes extérieurs. Ces deux tendances ne sont pas incompatibles puisque ce sont des organismes permanents qui peuvent établir les contrats et contrôler leur exécution.

Les services psychologiques militaires ont aussi à réaliser des travaux de routine: c’est ainsi que fonctionnent en France les centres de sélection et même au Liban. Cette dichotomie entraîne deux options: psychologues civils ou militaires psychologues. En Allemagne, la loi d’octobre 1937 institua un corps de psychologues militaires sans assimilation de grade avec les autres cadres militaires afin de préserver l’indépendance des uns et des autres[5]. En France, les officiers «psychologues» de l’Armée de Terre sont des officiers des armes et services, ayant acquis des grades universitaires dans le cadre de l’enseignement militaire scientifique et technique. La Marine et l’Armée de l’Air choisissent leurs psychologues dans le corps du service de santé. Au Liban, les psychologues travaillent dans le servive psychiatrique et sont des psyhologues civils ayant un diplôme universitaire en psychologie clinique ou industriel. Aux Etats-Unis, les services militaires de psychologie emploient des civils ou s’associent, d’une manière permanente, à des établissements civils tels que le «Human Ressources research Office», travaillant exclusivement pour l’armée.
 

L’activité du psychologue militaire peut s’excercer à trois niveaux:

3.1. L’application, à des fins définies, de méthodes et d’instruments: tel est le rôle des centres de sélection.

3.2. La recherche appliquée, qui a pour objet la solution d’un problème militaire posé par le commandement.

3.3. Enfin, la recherche fondamentale est, surtout aux Etats-Unis, menée pour le compte du commandement.
 

4. Éthique et évaluation en relation avec l'usage de tests psychologiques

Les problèmes éthiques liés à la profession du psychologue militaire ont préoccupé les chercheurs depuis bien longtemps, mais le souci de formuler des règles précises dans des codes de déontologie n'a été ressenti de façon aiguë qu'à certaines époques.

Les codes de déontologie publiés en France et surtout ceux, plus nombreux, diffusés notamment aux États-Unis n'ont pas toujours suscité l'intérêt qu'ils méritent par rapport aux enjeux qu'ils représentent. En France, ils n'ont fait l'objet que d'un nombre très limité de publications[6]. Au Liban, il n’a pas de code de déontologie propre aux psychologues libanais, ces derniers se réfèrent à celui de la France, lequel est peu respecté.
 

4.1. De l'origine du terme «éthique»

Le mot «déontologie» apparaît pour la première fois en langue française en 1825, dans la traduction de l'ouvrage du philosophe utilitariste anglais Jeremy Bentham intitulée: «Essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d'Art et Science», dans lequel l’auteur écrit: «L'éthique a reçu le nom plus expressif de déontologie».

Toutefois, il est nécessaire de distinguer l’éthique de la déontologie. En effet, la déontologie se rapporte à un ensemble de règles et de devoirs en vigueur au sein d'une corporation donnée et auquel les membres doivent se soumettre. La déontologie vise ainsi essentiellement à protéger le patient et son entourage des éxcès éventuels des professionnels, et dépend donc de certains principes moraux comme la liberté individuelle et le respect de la dignité, qui sont du ressort de l’éthique. Les codes de déontologie auxquels les psychologues se réfèrent se basent sur ces principes moraux, mais ne sont toutefois pas juridiquement utilisables dans le cadre de poursuites ou de défense. La production du code de déontologie des psychologues ainsi que son usage impliquent nécessairement une réflexion éthique, tant du point de vue de son contenu que de son application, mais il ne constitue pas en lui-même une analyse éthique.

Il est fréquent que les termes éthique et morale soient confondus. Pourtant, l'éthique se réfère principalement à des questions originelles, comme les fondements des principes moraux, et par suite sur ce qui soutient l'action de l'homme dans des situations dans lesquelles un choix est possible (valeurs, principes personnels etc.). Nous voyons ainsi que l'éthique renvoie aux principes moraux profonds, à un questionnement, tandis que la morale met en question l'application concrète de ces principes moraux. De ces précisions sémantiques, nous déduirons donc que «l'éthique professionnelle comporte deux sources: l'éthique personnelle et le cadre déontologique»[7].
 

4.2. Éthique et évaluation

Au temps des pharaons, c'était le dieu Osiris lui-même qui, entouré de ses quarante-deux assesseurs, procédait à l'évaluation du défunt en vue de son éventuelle admission à l'état d’éternité. Le mort, quant à lui, tentait de se tirer d'affaire de son mieux: il s'efforçait, grâce à des formules rituelles, de faire taire son cœur, le siège de sa mémoire et témoin de toute son existence, dont la sincérité indiscrète pouvait lui être fatale. Ainsi, depuis cinq mille ans, l'évaluation est considérée comme une situation à haut risque et l'on reconnaît le principe selon lequel «nul n'est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui-même», ce qui ne facilite pas la tâche de l'évaluateur.
 

4.3. Pourquoi et comment évaluer ?

Posée dans un contexte social, la question «faut-il évaluer?» n’a qu’une valeur rhétorique car l'évaluation est omniprésente dans notre culture et il est donc nécessaire d'en analyser les implications.

L'évaluation psychologique consiste à porter un jugement sur une personne en fonction de certains critères. Cela étant dit, il est extrêmement important de bien mesurer la portée de l’affirmation suivante: «Le psychologue ne mesure pas, même en utilisant des tests, une quantité d'intelligence ou d'anxiété, mais il repère un rang probable du sujet dans une population de référence»[8]. Cette affirmation signifie que, tout au moins au moment où elle a été exprimée, il n’existe aucune technique psychométrique qui peut revendiquer le privilège de fournir des mesures «absolues» sous-entendant l’existence d’un niveau zéro. La psychologie de l’évaluation doit donc se contenter de mesures relatives, ce qui signifie qu’une personne ne peut être évaluée qu’en la comparant à d’autres supposées bien connues. Cette limitation est source de bien des problèmes qui touchent de près à l’éthique du praticien utilisant des résultats de tests: comprend-il toujours bien le sens d’une mesure standardisée?

Lorsqu'on estime qu'il y a lieu de procéder à une évaluation, quelques règles et précautions s'imposent[9]:

4.3.1. Si l'évaluation comporte des tests, ils doivent être administrés par l'évaluateur

4.3.2. L'évaluation n'est pas un simple avis ou un conseil, elle n'admet pas d'intermédiaire: les avis du psychologue peuvent concerner des dossiers ou des situations qui lui sont rapportées, mais son évaluation ne peut porter que sur des personnes ou des situations qu'il a pu examiner lui-même

4.3.3. Les évaluations ne sont pas toutes de même nature et il est recommandé de ne collecter que les données pertinentes: les dispositifs méthodologiques mis en place par le psychologue répondent aux motifs de ses interventions, et à eux seulement

4.3.4. Finalement, le psychologue doit réfléchir aux suites possibles de son intervention avant même de se mettre à l'œuvre: tout en construisant son intervention dans le respect du but assigné, le psychologue doit donc prendre en considération les utilisations imprévues qui peuvent éventuellement être faites par des tiers
 

4.4. La situation d’évaluation

Selon Lavallard[10], «l'évaluation a un statut particulier au regard du droit des personnes car, hormis le cas des bilans de compétence, elle est plus souvent demandée par un tiers - dans le cas d'une candidature à l'adoption par exemple, ou lors d'une embauche, d'une orientation scolaire, d'une demande de formation». Le consentement requis n'est donc, bien souvent, que formellement libre et peut s'accompagner de vives réticences, souvent impossibles à exprimer. En outre, ce consentement n'est que relativement éclairé car un grand nombre de techniques d'évaluation n’affichent pas explicitement les buts qu'elles poursuivent. Le psychologue doit toutefois impérativement respecter la dignité et l'intégrité des personnes. De plus, ils (les psychologues) informent les mandataires ouvertement et objectivement des possibilités et des limites de leurs prestations. Ils fournissent des informations sur leurs méthodes à leurs clientes et clients, et leur accordent sur demande l'accès à leur dossier.
 

4.5. Les techniques d'évaluation

Les techniques d’évaluation sont pratiquement innombrables et il faut reconnaître que certaines d’entre elles ont parfois de quoi faire frémir.[11] Tout Code éthique définit le principe de la responsabilité du psychologue, dans ce domaine comme dans les autres, d'un double point de vue: autonomie dans le choix des techniques et obligation de rendre compte de ses choix.

Dans le cadre de ses compétences professionnelles, le psychologue décide du choix et de l'application des méthodes et techniques psychologiques qu'il conçoit et met en œuvre. Il répond donc personnellement de ses choix et des conséquences directes de ses actions et avis professionnels. Toute pratique n'est donc pas acceptable: le code proscrit les techniques fantaisistes au nom de la qualité scientifique: Les modes d'intervention choisis par le psychologue doivent pouvoir faire l'objet d'une explication raisonnée, justifiant leurs fondements théoriques et expliquant leur construction. Toute évaluation ou tout résultat doit pouvoir faire l'objet d'un débat contradictoire entre professionnels.

De plus, s'ajoutent à ce principe général dans le cas des évaluations: les techniques utilisées par le psychologue à des fins de diagnostic, d'orientation ou de sélection, doivent avoir été scientifiquement validées.

L’expression “utiliser des tests” doit donc être comprise comme synonyme de: recourir à toutes sortes d’épreuves standardisées. Cette pratique ne concerne donc pas seulement les tests d'intelligence, mais toutes les épreuves ressortant de la psychométrie et ayant satisfait aux exigences méthodologiques de la discipline[12].
 

5. Attitudes des militaires vis-à-vis des psychologues

Les difficultés rencontrées sont à peu près les mêmes que dans l’industrie. «Les psychologues militaires ne peuvent espérer qu’une institution aussi complexe que l’Armée acceptera de nouvelles méthodes pour des raisons scientifiques»[13]. Il s’agit en fait de réserve plus que de résistance.

Une première raison est la difficulté face au changement de toute collectivité ayant un objectif spécifique et une grande ancienneté, ce qui est bien le cas de l’Armée; en d’autres-termes, le service psychologique avec sa déontologie, ses méthodes thérapeutiques et scientifiques diffère totalement des méthodes établies par l’Armée et souvent, on retrouve chez les militaires un comportement réservé vis-à-vis des psychologues militaires. Une seconde difficulté paraît être chez certains officiers le manque de conscience, de croyance à l’égard de l’importance de la psychologie scientifique dans l’armée: une longue expérience du contact avec la troupe leur en a certes donné une connaissance approfondie, mais celle-ci s’est peu à peu constituée en une doctrine tacite, cette connaissance est difficilement transmissible et n’a pas la cohérence de la psychologie scientifique. De plus, les officiers techniciens, habitués aux métriques additives des disciplines physio-chimiques, refusent la possibilité de «mesurer l’homme à la règle à calul». Les non-techniciens estiment que l’on n’a pas le droit de «violer l’intégrité de la conscience» par des investigations indiscrètes.

Plus crédible est la crainte des cadres de voir leur autorité mise en balance avec la compétence des spécialistes des sciences de l’homme.

Nous rencontrons aussi une difficulté contraire: le fait de croire que tous les problèmes humains sont solubles par le psychologue militaire, d’où résulte une exigence du commandement qui sera souvent déçue.

Supposons enfin qu’un problème ait étè soumis au psychologue militaire et qu’il ait été résolu. Trop souvent le rapport du spécialiste est écrit dans un langage ésotérique, qui exprime certes son désir d’être démontratif, mais qui n’est aussi, trop souvent, que pédant. C’est une source très sérieuse de difficultés de communication entre commandement et psychologues[14].

Aux exigences du commandement qui demandent de détecter ou d’expliquer certaines «qualités» ou certains «défauts», il est généralement difficile au psychologue de répondre en «définissant les comportemens en termes de traits de personnalité spécifiques et stables». Il est également difficile de toujours donner un diagnostic satisfaisnt ou de fournir des méthodes éducatives à priori efficaces. Le psychologue militaire doit savoir dire qu’il ne peut résoudre un problème qui lui est posé, car le plus grand danger, pour le psychologue, est de «dépasser ses possibilités» et d’entrer dans un domaine qui n’est pas celui de la psychologie.

Devant ces difficultés qui se présentent au psychologue militaire, «éduquer et s’infiltrer sera plus efficace qu’imposer des techniques de valeur scientifiquement démontrées»[15]. Ainsi, en dehors de ses activités de recherche et d’application, le psychologue militaire a des fonctions d’information et d’éducation des cadres. Vulgarisation au sens élevé du terme, cette action formatrice devra tendre à permettre aux cadres, non de «fabriquer de petits tests», ni de donner une «interprétation psychanalytique» des faits observés, mais de leur faire comprendre l’intérêt de la rigueur des démarches entreprises et d’établir un langage commun, simple, si possible, assurant l’efficacité des communications.

Au Liban, les difficultés rencontrées en tant que psychologue militaire au niveau du respect de l’éthique dans l’utilisation des tests, se traduisent par les points suivants:
 

5.1. Sur le plan du respect de la dignité de la personne

Le peu de temps consacré à l’entretien clinique, au suivi thérapeutique et à la passation des tests transmet une image négative à la personne et touche sa dimension psychique. Cette difficulté est liée à la rapidité: il y a tellement de sujets à voir que cela ne permet pas la réalisation d’une consultation psychologique approfondie, mais cela ne signifie pas non plus que la consultation ne soit pas efficace.

L’envoi de la personne venue en consultation psychologique pour la première fois au service de psychologie d’une psychologue à une autre en raison du nombre élevé des personnes consultantes et du manque de place. La personne se sent alors rejetée, non acceptée par la psychologue que ce soit des enfants, adolescents ou adultes.
 

5.2. Sur le plan de l’exercice professionnel

Une difficulté à distinguer le rôle du psychologue militaire de celle du psychiatre militaire

Un déficit au niveau de la formation des psychologues: certains psychologues recrutés ne sont pas formés à l’utilisation des nouveaux tests psychologiques. Par exemple: le WISC-IV, la NEPSY, le KAB-C, le CMS, les tests pour l’autisme, l’hyperactivité, les tests gériatriques

Un manque d’autonomie dans le choix des techniques à utiliser auprès des sujets: certaines contraintes de faire passer le test choisi par le médecin consultant, même si ce dernier n’est pas adapté à l’état du sujet. Plus spécifiquement, ce n’est pas le psychologue, dans la majorité des cas, qui décide du choix et de l’application des méthodes et des techniques psychologiques

Le commandant a le droit et l’accès au dossier du patient, ce qui ne permet pas toujours de préserver la confidentialité en milieu militaire

Les conditions de la passation des tests sont peu favorables:

Il existe beaucoup d’excitants extérieurs (bruits, ouverture de porte, sonnerie du téléphone, causerie des patients, pleurs et cris des enfants…), que le psychologue a des difficultés à éliminer et qui ont une influence sur les résultats du test psychologique administré au sujet.

Aussi, le psychologue est contraint de passer un test à un militaire menotté, sortant la prison en présence d’une tierce personne. Ce qui ne permet pas d’obtenir des meilleurs résultats au test administré.

De plus, la salle d’attente regroupe les militaires, les adolescents et les enfants. Ce qui entraine souvent chez les enfants et adolescents la crainte, l’inquiétude, les pleurs, l’agitation en assistant aux disputes des militaires et aux personnes âgées présentant des troubles psychiatriques divers. Cette situation provoque un malaise psychologique surtout chez les enfants qui attendent leur tour pour voir soit le psychiatre, soit le psychologue et souvent, ils n’arrivent pas à passer le test psychologique. Un autre rendez-vous est alors fixé.
 

5.3. Sur le plan del’éthique dans les tests de recrutement

Lorsque le recruté se présente au service psychologique, il est évalué par un comité composé de psychologues, psychiatres, neurologues…Dans la majorité des cas, le recruté doit répondre à toutes les questions qui lui sont adressées par le comité et n’a pas le droit de refuser même s’il les juge trop intrusives.

Le recruté est obligé de passer un test psychologique qui peut être de type de personnalité, d’intelligence ou psychopathologique. Cette passation se fait sans son accord et sans l’informer sur le test utilisé, son utilité et pourquoi ce choix. De plus, il n’a pas accès aux résultats du test.

Parfois, il arrive que le recruté tente de répondre sincèrement au test administré. Par exemple: le test de Rorschach car il l’a déjà vu sur l’internet (planches, réponses) ou bien il l’a fait chez une psychologue avant de venir à l’armée.

Cependant, quelles solutions pouvons-nous proposer en tant que psychologue à l’Armée pour remédier, autant que possible, aux difficultés rencontrées au niveau de l’éthique dans l’utilisation des tests ?

À partir des difficultés mentionnées et retrouvées dans le travail du psychologue militaire, les solutions se répartissent en deux parties, comme suit :

Première partie, au niveau des principes généraux, qui posent les règles essentielles que doit suivre le psychologue :

Respect du code de déontologie des psychologues, que ce soit par les psychologues eux-mêmes ou par les commandants

Respect de la personne dans sa dimension psychique qui est un droit inaliénable

Mise à jour régulière et garantie de ses compétences

Mise en œuvre de sa responsabilité professionnelle, en particulier en ce qui concerne les méthodes et les techniques qu'il utilise

Garantie de sa probité

Qualité scientifique de son intervention et respect du but qu'il s'est assigné

Preuve de son indépendance professionnelle.

Deuxième partie, au niveau de l'exercice professionnel, comprenant les conditions de l'exercice de la profession et les modalités techniques de l'exercice professionnel:

Précision des conditions pratiques de l’exercice de la profession du psychologue, en particulier à propos du respect des principes généraux énoncés en préambule

Distinction de son rôle de celui du psychiatre

Respect du secret professionnel par rapport à toutes les informations dont il a connaissance de par son exercice

Liberté dans le choix des techniques utilisées

Formation universitaire fondamentale et appliquée de haut niveau en psychologie (doctorat), par des formations spécifiques, par une expérience pratique et des travaux de recherche. Elle procède ainsi, à la réalisation d'actes qui relèvent de la compétence du psychologue.

En d’autres-termes, les psychologues militaires recrutés doivent avoir un diplôme de Doctorat en psychologie et non une simple Licence universitaire ou Master en psychologie. Ce niveau d’étude leur permet de réaliser de nouveaux tests psychologiques, d’accéder à poser un diagnostic adéquat et d’acquérir davantage d’informations concernant les pathologies de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte.

Formation continue du psychologue militaire, au moins une à deux formations par année (pays d’origine ou à l’étranger). Participation à des congrès, des séminaires.

Amélioration des conditions de la passation des tests:

  • Éliminer les excitants extérieurs
  • Séparer le service de psychiatrie infanto-juvénile de celui de l’adulte
  • Aménager les cabinets de psychologie pour qu’ils soient adaptés aux patients
  • Procurer le matériel nécessaire au suivi thérapeutique.

Répartition équitable des tâches entre les psychologues

Respect au niveau de l’évaluation des recrutés.

Ainsi, grâce aux solutions proposées, le psychologue militaire pourra d’une part, excercer sa profession dans les meilleurs conditions possibles et d’autre part, respecter autant que possible l’éthique dans l’utilisation des tests.
 

Conclusion

Le travail de psychologue militaire c’est en effet d’abord l’exigence d’un travail de pensée, mais ce travail parfois, en certaines conditions, peut être entravé. Il importe alors d’en comprendre les causes afin d’y remédier autant que possible. Ainsi le règlement militaire, dans sa fermeture à tout tiers, doit être d’autant plus contrignant, plus traumatisant, s’il n’est plus contrebalancé par une reconnaissance des sacrifices héroïques. Le psychologue a donc à travailler dans un cadre mouvant dont il importe de saisir à la fois les constantes et les tendances d’évolution.

Maqueda note dans son livre Carnets d’un psy dans l’humanitaire, paysages de l’autre, que: «L’exigence professionnelle: elle est avant tout soutenue par une position éthique. On ne peut échapper à cette question, en rien romantique, qui demande à chacun de nous s’il considère et traite l’autre comme un appareil psychique ou comme un sujet de l’humaine condition. […] Fondamentalement, cette exigence est de créer et de maintenir les conditions de l’écoute de la souffrance d’un autre, sans se réduire mutuellement et corrélativement à un statut de victime ou de sauveur, ou à être le support d’un psychopathologie traitée par un spécialiste».

Ensuite, les tests psychologiques qu'ils permettent de prélever des informations concernant des individus, et de les transmettre à des tiers dont les intentions et objectifs peuvent être divers, et doivent être considérés comme des instruments de pouvoir potentiels. Les règles et codes éthiques ont été créés, non seulement pour faire reconnaître la valeur du travail des psychologues, mais aussi pour limiter leur éventuel potentiel «intrusif». L’intervention du psychologue doit en effet être centrée, si possible, vers l'objectif d'une amélioration du bien-être de la personne qui accepte de livrer des informations personnelles dans le cadre d'une passation de tests, mais aussi lors d'entretiens ou d’autres modes de prise d'information[16].

En somme, quelles que soient les voies nombreuses, complexes et parfois risquées de l'évaluation de l'homme par l'homme, la question sensible reste celle de la responsabilité de l'évaluateur à l'égard de ceux qui se trouvent momentanément soumis, volontairement ou non, à son pouvoir. Sans doute lui faudra-t-il souvent tempérer les certitudes qu'il se forge, quels que soient les moyens dont il se sert, en gardant présent à l'esprit ce fragment d'Héraclite: «Tu ne trouverais pas les limites de l'âme, même parcourant toutes les routes, tant elle tient un discours profond».[17] Dans cette perspective, le respect de l’autre s'associe harmonieusement à la compétence, à la prudence et à la modestie qui demeurent, selon nous, quatre qualités essentielles dans l'accomplissement correct, c’est à dire conforme à l’éthique telle que nous la concevons, du travail d'un psychologue militaire utilisateur de tests.
 

Bibliographie

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[1]-   Melton, “Military Psychology in the United States of America”, 1960, p.107.

 

[2]-   Hamon, “The Attitude of Military Authorities Toward Scientific Psychology”, 1958, p.81

 

[3]-   Pasquasy, «La Psychologie Militaire», 1959, p.96.

 

[4]-   Ansbacher, “Germany Military Psychology”, 1941, p.370.

 

[5]-   Ansbacher, “Germany Military Psychology”, 1941, p.371.

 

[6]-   Schlegel, “L'évaluation dans les codes de déontologie”,1994, p.99.

 

[7]-     Pedinelli & Rouvier, “Éthique en clinique psychologique. L'éthique entre épistémologie et consensus”, 2000, p. 42.

 

[8]-   Huteau, M. et Lautrey, J. “Évaluer l’intelligence”, 1999, p.125.

 

[9]-   Lavallard, “Évaluation et déontologie”, 2000, p. 101.

 

[10]-  Lavallard, “Évaluation et déontologie”, Op.cit, p.102-103

 

[11]-  Bruchon-Schweitzer et Ferrieux, “Les méthodes d'évaluation du personnel utilisées pour le recrutement en France”, L'Orientation Scolaire et Professionnelle, 1991, p.71

 

[12]-  Lavallard, Op.cit, 2000, p.103.

 

[13]-  Vernon & Parry, “The Human Factor in The Army”, 1945, p. 25.

 

[14]-  Chandessais, “La psychologie dans l’armée”, 1959, p.173.

 

[15]-  Havron, “Military tradition and scientific progress”, 1962, p.302.

 

[16]-  Capel, «L'évaluation psychologique», 2003, p. 128.

 

[17]-  Pedinelli, J. & Rouvier, S. «Bulletin de Psychologie», 2000, p.46.

المحلّل النفسي في الجيش

أعمل منذ عشر سنوات كمحلّلة نفسية في جهاز التحليل النفسي العسكري. كوني "محلّلة نفسية في الجيش" هذا يشكّل انعكاس، يجب أن أقرّ أنه مؤلم. في مكان كهذا، وحده العمل الجامعي يسمح لي بالاستمرار نفسيًا، طالما أن قانون النفوذ العسكري يصعُب استبطانه. ذلك أن النظام العسكري يمارس قانونه الخاص ويدير مواضيعه بحسب معايير محددة، لا تُقارن بأخرى. إن المراقبة اليومية لممارسة الأنظمة، تجعل السؤال صارخًا عن الأخلاقية في استخدام التجارب. كيف يمكن إذًا النظر إلى عمل "التحليل النفسي" داخل الجسم العسكري؟ هذا المكان المعروف بالامتثال، حسن السلوك، التقاليد، الوجه الآمر. ما هو الدور الفعلي للمحلّل النفسي والجيوش؟ كيف هي هيكلية أجهزة التحليل النفسي؟ كيف يجري تقييم الشخص الأخلاقي في التحاليل النفسية؟ ما هو موقف العسكريين تجاه المحلّل النفسي وما هي المصاعب التي يصادفها لدى ممارسته المهنة؟ كل هذه الأسئلة كانت مصدرًا لكتابة هذا المستند المرتكز على خبرتي المهنية في المجال العسكري.