Le séparatisme musulman aux Philippines

Le séparatisme musulman aux Philippines
Préparé par: Par Rudyard Kazan
Chercheur

«Ceci est la charte, établie par Mohammad, le Prophète, le Messager d’Allah, entre les croyants et les musulmans de Qoreich et les habitants de Yathreb (Médine) et ceux qui les ont suivis, qui se sont réfugiés auprès d’eux et lutté avec eux. Ils forment tous une nation unique à l’exclusion des autres hommes…»

 

Pacte de Médine

Le problème de l’Islam aux Philippines date depuis des siècles. On pourrait comparer la situation de Mindanao, là où la population islamique se trouve, avec celle de la Palestine: un peuple annexé malgré lui à une entité nationale de religion différente; des vagues de colonisation agricole assurant aux nouveaux arrivants, chrétiens en l'occurrence, une domination démographique sur les musulmans et les autres minorités; la prise progressive du contrôle économique et politique de la région par les colons; un conflit qui se prolonge depuis des générations dans une région fortement militarisée; des dizaines de milliers de morts de part et d'autre .
 

Aperçu

Les Philippines constituent un archipel situé au nord-est de l’Insulinde, dans le Sud-Est asiatique. Situées à 1,210 km à l’est des côtes du Viêt Nam, les Philippines sont séparées de Taiwan, au nord, par le détroit de Luçon. La république est limitée à l’est par la mer des Philippines, au sud par la mer de Célèbes et à l’ouest par la mer de Chine méridionale. Le pays constitue un ensemble de plus de 7,100 îles, dont deux, Luçon au nord et Mindanao au sud, couvrent près de 70% du territoire. Les Philippines couvrent une superficie globale de 300,000 km. Manille est la capitale et la plus grande ville du pays.

Les Philippines ont subi le colonialisme espagnol (1565-1898)et américain (1898-1946). Les Espagnols ont évangélisé la population, ce qui fait des Philippines le seul Etat chrétien d’Asie. Ils ont aussi propagé  la langue, qui bien que supplantée aujourd’hui par l’anglais continue à imprégner  la toponymie du pays, le vocabulaire administratif et la plupart des noms de familles.

Les Philippins d’aujourd’hui sont pour la plupart des descendants des Négritos, des Proto-Indonésiens et des Malais qui occupèrent les îles par vagues successives. Les minorités d’origine espagnole et chinoise sont les plus importantes après les groupes malais. Deux ethnies musulmanes, les Moros et les Samals, se sont établies dans la partie sud de l’archipel. La minorité métis des Mestizos compte peu de représentants, mais occupe une place importante dans l’économie et la politique.

En 1998, la population des Philippines était de 77,7 millions d'habitants, 84% des Philippins sont catholiques, 5% aglipayans (Eglise indépendante philippine séparée de l’Eglise catholique), 4% musulmans et 3% protestants.

L’islam est surtout vivant dans le Sud (provinces occidentales de Mindanao, archipel des Sulu et îles Tawi-Tawi) où il s’est bien maintenu face à un christianisme longtemps conquérant. La population du Sud  avait été convertie à l'islam par des commerçants arabes.

Avec une population de 16 millions d’habitants Mindanao est la seconde île de l’Archipel.  Les musulmans qui y habitent se subdivisent  en 13 groupes ethno-linguistique.  L’île a adopté l’Islam comme mode de vie. Aux Philippines les termes musulmans et Moros sont synonymes. Le terme Moro dénote une identité politique propre aux peuples islamisés de Mindanao et Sulu. Le colonisateur espagnol utilisa le terme pour  y  désigner  le  peuple  musulman  de  Mindanao  par référence aux Maures (c’est-à-dire les Marocains)  qui jadis colonisèrent l’Espagne. Ce terme fut repris par les populations musulmanes de l’île comme symbole d'unité.

Ainsi, avec la création d’un mouvement de libération nationale moro, le terme BangsaMoro (littéralement nationalité Moro) devint synonyme de la résistance à la domination étrangère et indique une nationalité distincte de celles de la majorité des Philippins.

La société islamique de Mindanao était organisée politiquement et socialement en Sultanats. Ces pseudo-Etats vivaient du commerce maritime avec la Chine et le Moyen-Orient. Pour ces habitants, l’Islam servait comme moyen de résistance au colonisateur espagnol. Ce dernier utilisa les chrétiens autochtones du Nord dans leurs batailles pour tenter de subjuguer les Moros de Mindanao et en même temps adoptèrent la stratégie politique diviser pour régner.

Ainsi les Espagnols provoquèrent une animosité entre les différents groupes autochtones. Mais s’ils ne parvinrent pas à contrôler les Sultanats, ils contribuèrent largement à leur déclin économique grâce aux blocus.

La guerre qui éclata entre les Etats-Unis et l’Espagne (1896- 1898) prit fin quand l’Amiral Dewey, chef de l’escadre américaine du Pacifique, coula la flotte espagnole en rade de Manille et mit peu après un siège devant la ville où il entra en août 1898. L’Espagne, vaincue, cédait, par le traité de Paris de décembre 1898, l’archipel de Philippines aux Etats-Unis moyennant une modeste indemnité de 20 millions de dollars. Entre temps, un mouvement de libération national philippin avait réussi à prendre le contrôle de toutes les enclaves autour de la capitale Manille, proclama l’indépendance des Philippines et forma un gouvernement révolutionnaire qui confronta les Américains. Ce gouvernement tenta de faire une alliance avec les Sultanats Moro. Mais ces derniers refusèrent en raison de leur méfiance vis-à-vis des  chrétiens qui avaient lutté contre eux lors du colonialisme espagnol. Les colonisateurs américains exploitèrent ces divisions concluant un arrangement avec les sultanats et concentrant leur «guerre de pacification» contre les chrétiens à Luçon et Vizayas. Après avoir subjugué la naissante nation philippine, ils se tournèrent contre Mindanao.

Traditionnellement, la terre des moros n'était pas propriété individuelle, mais domaine ancestral collectif, et seul l'usufruit en était cédé aux membres de la communauté par le datu, le chef du clan. Après l’annexion du territoire par les Etats-Unis, une série de lois, au début du siècle, déposséda les populations de leurs terres ancestrales en les déclarant domaine public. Certains datus proclamèrent alors propriété personnelle  toutes  les  terres  de  leur  clan,  décision  qui donna naissance à la classe des grands propriétaires terriens moros.

Avec l’avènement de l’indépendance, un gouvernement se mit en place, mais les Moros refusèrent d’y prendre part refusant la création d’un Etat dominé par des chrétiens. Jusqu’aux années 1970, le gouvernement philippin ignora complètement dans sa jurisprudence et constitution la législation islamique. Vers le milieu des années 30, l'établissement de nombreux colons chrétiens à Mindanao fut encouragé. De larges zones de l'île furent accaparées non seulement par ces petits colons, mais aussi par de grands propriétaires terriens d'autres régions et par des compagnies multinationales américaines. Le résultat fut un renversement de l'équilibre démographique: d'une population musulmane et lumad d'à peine 1,5 million d'habitants en 1903, la région est passée en 1980 à plus de 13 millions, majoritairement chrétiens. Toutefois, si 30% des habitants du sud des Philippines sont musulmans (pour 70% de chrétiens), ce rapport est inversé dans l’archipel des Sulu (îles des basilan, Jolo, Tawi-Tawi): 97% de la population y sont de confession islamique. Les terrains fertiles ont été saisis par les nouveaux  immigrants  qui  ont  planté  du  riz,  du  maïs  et des noix de coco; les multinationales  produisirent du caoutchouc, récoltèrent des bananes et de l’ananas. En outre, des larges concessions ont été saisies par des riches bûcherons qui entreprirent la déforestation de l’île. Tout ceci contribua largement au renflouement du Trésor (11). Mais le gouvernement ne fit rien pour améliorer l’infrastructure et les services sociaux de l’île surtout dans les régions à prédominance musulmane. Il ne fallait pas attendre longtemps pour que le leadership musulman refusa toute médiation et le mouvement de défiance se transforma en insurrection ouverte.

Ce mouvement s'accéléra après la seconde guerre mondiale. Dans les années 1960 eurent lieu les premières confrontations entre les «colons» et le Moros. Ainsi Chacune des deux parties créa sa propre milice, ce qui compliqua les choses et aviva les tensions.

 

La résistance armée

Si la résistance des moros date de l’ère coloniale, ce n’est que dans les années 1970 qu’un mouvement de Libération national, en l’occurrence le Front de Libération National Moro (MNLF, Moro National Liberation Front, selon l’acronyme anglais), va voir le jour. Ce mouvement émergea suite à l’éveil islamique aux Philippines sous le régime du Président Ferdinand  Marcos (1965-1986). Les Musulmans se sentirent opprimés et marginalisés par le gouvernement. Ce sentiment va s’exacerber suite à une série d’incidents, le plus important parmi lesquelles étant celui du massacre de Jabbidah le 17 mars 1968: une vingtaine de recrues de confession musulmanes furent tuées par leurs supérieurs chrétiens soit parce qu’il refusèrent d’obéir à leurs ordres (version moro), les officiers leur ayant ordonné de s’infiltrer dans l’Etat malaysien à population musulmane de Sabah prélude à une invasion militaire (mais les soldats refusèrent, toujours selon la version moro, de se battre contre leurs confrères Musulmans); soit parce qu’ils se rebellèrent à cause de la mauvaise paie (version gouvernementale). Quoi qu’il en soit, ces incidents vont  persuader le leadership musulman que la lutte armée et le seul moyen d’obtenir ses droits.

Ainsi l’incident de Jabbidah sera la cause majeure pour la création en mai 1968 par Datu Udtog Matalam du Mouvement pour l’Indépendance de Mindanao. Les recrues s’entraînèrent en Malaisie. Peu de temps après des membres de la milice formèrent le Front de Libération Nationale Moro qui sera dirigé par Nur Misuari, un ex professeur de sciences politique à l’Université de Philippines à Manilles.

Parallèlement, des groupes paramilitaires chrétiens de l’île lancèrent des attaques contre des Musulmans dans des régions de l’île  où les immigrants du Nord (chrétiens) étaient prédominants dans le but d’éradiquer ce qui reste de la présence musulmane dans lesdites régions .

Au début des années soixante-dix, la Communist New People’s Army (la Nouvelle Armée populaire, pro-chinoise) implantée à Luçon et le MNLF, déclenchèrent une violente guérilla contre le gouvernement. Invoquant les troubles et actes terroristes, le président Ferdinand Marcos décréta la loi martiale en 1972. Parallèlement, la troisième conférence des ministres des affaires étrangères de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) se tient à Djeddah (29 février-4 mars 1972) et exigea du gouvernement philippin la protection des musulmans.

Une insurrection musulmane générale éclata dans la cité de Malawi. La situation à Mindanao était celle d’une guerre civile opposant les forces armées philippines soutenue par les divers groupes paramilitaires chrétiens de l’île, et l’aile militaire du Front National de Libération Moro, l’armée Bangsa Moro. Le MNLF jouissait du soutien de la quasi-totalité de la population musulmane.

Le bilan de ce violent conflit qui dura 8 ans (1972-1980): 120,000 morts de part et d’autres, dont 11,000 soldats philippins (selon les estimations du Président Marcos). En outre, la rebéllion contraignit 200,000 Moros à se réfugier dans l’Etat malaysien de Sabah.

Dès le début de l’insurrection, le gouvernement philippin adopta la politique du bâton et de la carotte, dans laquelle le bâton (La force de l’armée) était le plus utilisé. La carotte s’illustra par l’amnistie accordée à des miliciens moro, postes dans l’administration publique, ainsi que des projets de développement dans les régions musulmanes.  Mais après 27 ans de conflit on réalisa que l’usage de la force n’allait pas mettre un terme au conflit. En d’autres termes l’insurrection armée n’était pas le vrai problème. Celui-ci résidait en les conditions qui ont conduit à l’insurrection. L’usage de la force a intensifié le conflit et n’a fait qu’exacerber les tensions.

En 1975, le président Marcos réalisa que le conflit atteint l’impasse. En plus, les pays musulmans producteurs de pétrole, qui avaient proclamé leur soutien au moro, avaient menacé de recourir à l’embargo . Ainsi Marcos proclama le cessez-le-feu  et ouvra la voie aux négociations.

La cinquième conférence des Ministres des affaires étrangères  de l’OCI qui se tint à Kuala Lumpur (21-25 juin 1974), était partagée entre le soutien libyen aux rebelles du MNLF et l’opposition de l’Indonésie et de la Malaisie à tout appui ouvert aux rebelles . La conférence décide d’appeler le gouvernement philippin à suspendre les hostilités et à ouvrir des négociations avec le Front en vue d’une solution du problème dans le cadre de l’intégrité du pays . L’appel de l’OCI pour une solution pacifique au conflit porta ses fruits. D’un coté le gouvernement philippin négocia avec les insurgés et rectifia sa politique étrangère apportant soutien à la cause palestinienne, ouvrant des ambassades dans les pays musulmans y compris l’Arabie Saoudite, de l’autre le MNLF abandonna la demande d’indépendance totale et accepta l’autonomie politique.

 

L’accord de Tripoli

L'accord de Tripoli (Libye), conclu le 23 décembre 1976 entre le gouvernement (représenté par le sous-secrétaire à la Défense Carmelo Barbero) et la rébellion (représentée par le leader du MNLF Misuari), sous l'égide de l'OCI et de la Libye, prévoyait l'autonomie des treize provinces du Sud. Mais les neuf provinces à majorité chrétienne s'y opposèrent lors d'un référendum, organisé en 1977. En janvier 1977 Marcos approuva l’instauration des tribunaux musulmans. Mais plusieurs mois après la signature de l’accord, il va interpréter à sa manière l’autonomie en instaurant deux gouvernements régionaux  qui, comme le nom l’indique, étaient régionaux et non pas autonomes.

Les hostilités reprirent. Certains leaders du MNLF accusèrent le gouvernement philippin d’avoir conclu l’accord de Tripoli pour stopper les succès militaires du Front, de gagner du temps afin d’éviter un embargo pétrolier par les membres de l’OCI.

La huitième conférence des ministres des affaires étrangères de l’OCI se tient à Tripoli en Libye (16-22 mai 1977). Le MNLF y participe. La conférence décide de poursuivre sa médiation entre le MNLF «représentant légitime du mouvement des musulmans du sud des Philippines» et le gouvernement de Manille.

La reprise des hostilités s’accompagna de la fragmentation de MNLF. Des groupes musulmans plus radicaux vont apparaître, dont le plus important est le Front de libération islamique moro (MILF, Moro Islamic Liberation Front, selon l’acronyme anglais) dirigé par Hashim Salamat. Le gouvernement philippin profita de la démoralisation de certain dirigeant du MNLF en leur offrant amnistie et des postes gouvernementaux, argent, etc. La cohésion islamique était ainsi d’autant plus ébranlée que la Libye soutenait Misuari alors que l’Egypte appuya Salamat. D’ailleurs c’est au Caire en décembre 1977 qu’il annonça la création du MILF.

De 1978 à 1986, alors que la situation demeurait tendue sur le terrain, les conférences des ministres des affaires étrangères et sommets de l’OCI renouvelaient leur appel à l’application de l’accord de Tripoli et à l’unification des séparatistes.

En octobre 1985  le chef de l'opposition, Benigno Aquino, rentre de son exil américain et est assassiné sur ordre - tout le laisse croire - de Ferdinand Marcos. En février 1986 se déroule l’élection présidentielle que Ferdinand Marcos veut manipuler. Il est "lâché" par la hiérarchie catholique et par Washington. Dans une atmosphère très trouble, Mme Corazon Aquino, veuve de Benigno, est proclamée chef de l'Etat. Le 2 février 1987, la population a voté à 76,29% en faveur de la nouvelle Constitution, démontrant son soutien à la démocratie et à «Dame en Jaune ». La Constitution prévoit la possibilité de renouvellement des accords sur les bases américaines, pose le principe d'une réforme agraire et l'autonomie pour les musulmans de Mindanao ainsi que pour les montagnards de l'île de Luçon.

Mais le 18 novembre 1990, les 3,7 millions d'électeurs du Sud, appelés aux urnes, ont rejeté massivement (neuf provinces sur treize) le premier projet de loi organisant une autonomie régionale et une protection des droits religieux et éducatifs des musulmans(22).

Dès son arrivée au pouvoir  en mai 1992, le président Fidel Ramos tente de relancer un processus de pacification politique en négociant avec les rébellions communiste, militaire et musulmane. Pour ce faire, la très énergique Haydee Yorac, qui dirigea la commission électorale (Comelec), s'est vu confier la présidence d'une commission de réconciliation nationale. Après un an de mandat, le président pouvait déjà faire valoir un bilan prometteur. Tout en libérant d'anciens cadres de la guérilla communiste de la Nouvelle armée du peuple (NAP), il a obtenu du Parlement l'abrogation de la loi anti-subversion (R.A 7636), autant dire la légalisation de facto du Parti communiste, même si celui-ci est apparu amoindri et divisé. Il a également envoyé des émissaires aux Pays-Bas pour rencontrer les chefs de la rébellion en exil. De la même manière, une délégation parlementaire s'est rendue à Tripoli pour y contacter le 3 octobre 1992, Nur Misuari, chef historique exilé du MNLF. Mais, à la différence de la politique qui avait été menée en 1986, le gouvernement a multiplié les gestes de conciliation et de bonne volonté: amnistie des rebelles, ou encore création d'une antenne présidentielle à Mindanao, nomination au gouvernement de plusieurs personnalités originaires de cette île, allocations budgétaires pour favoriser les investissements et les infrastructures...

Ainsi en 1993, le pouvoir en place a, plus que jamais, recherché les voies du dialogue avec les deux insurrections (musulmane, communiste) et avec les militaires tentés de se rebeller. Un accord de cessez-le-feu a été passé avec les insurgés musulmans du MNLF et Nur Misuari a pu rentrer d'exil.

Ces négociations intervenaient peut-être trop tard, compte tenu de l'émergence de groupes plus radicaux tel le MILF ou employant des stratégies mafieuses comme l'un de ses dissidents, le MNLF "Lost Command".

Alors que le président Fidel Ramos allait terminer son mandat - en mai 1998 -, il a obtenu de nouveaux succès dans sa recherche de paix avec les principaux groupes rebelles. Un traité de paix a été signé avec le MNLF, le 2 septembre 1996. Un Conseil pour la paix et le développement du Sud a été formé pour diriger pendant trois ans les destinées des quatorze provinces et neuf grandes villes. Une semaine après cet accord historique, le leader du MNLF, Nur Misuari, rentré d'exil, a été élu gouverneur, le 9 septembre, de la région autonome de Mindanao musulman (ARRM), créée à la suite du référendum de 1989. Misuari a également été nommé président du Conseil pour la paix et le développement au sud des Philippines (SPCPD). Ce conseil transitoire est chargé pendant les trois années à venir de promouvoir, suivre et coordonner les efforts pour la paix et de mettre en œuvre des initiatives de développement social et économique (25). En 1998, un référendum devait délimiter l'ensemble de la région autonome. Des négociations avec MILF se sont aussi engagées, mais n'ont pu aboutir .

Aboutissement de plus de quatre ans de négociations menées à Djakarta (Indonésie), cet accord vise à donner aux musulmans ce qui leur a été longtemps refusé: un rôle à jouer dans la direction du territoire. S'il a suscité beaucoup d'espoirs au sein de la population islamique, il a aussi provoqué une vague de protestations violentes de la part des chrétiens, qui forment, rappelons-le, l'écrasante majorité dans l'île .

Les obstacles à surmonter sont immenses. Il s'agit de mettre fin à des haines intercommunautaires multiséculaires, de résoudre les conflits de propriété des terres et de répartir équitablement les ressources naturelles et le pouvoir économique et politique entre les chrétiens, les musulmans et les lumads, ces tribus autochtones chassées toujours plus loin dans la montagne.

Mais si la première phase de l’accord (création du SPCPD), a été appliquée, la seconde (formation d’un gouvernement régional autonome), supposé débuté en septembre 1999, n’a pas encore été exécutée. Une des causes réside dans le fait que les combats n’ont pas cessé à Mindanao en raison du refus d’autres groupements séparatistes des pourparlers de paix avec le gouvernement philippin.

 

Les Mouvements Séparatistes Musulmans aux Philippines

Il existe plusieurs mouvements séparatistes musulmans. Cependant, on se réfère généralement à trois: Le plus important étant le Front National de Libération Moro; Le radical Front Islamique de libération Moro et Le mouvement qualifié de terroriste d’Abu Sayyaf. Ces deux derniers se sont scindés du MNLF.

Le MNLF est aujourd'hui rentré dans le rang. Son président, Nur Misuari, a finalement signé avec le gouvernement philippin des accords de paix en 1996 par lesquels il abandonne la lutte armée pour l'indépendance et se retrouve à la tête des quatre provinces autonomes du sud des Philippines. Misuari dirige aussi le Conseil pour la paix et le développement du sud des Philippines, regroupant quatorze provinces. Avant la signature de l’accord le MNLF était le plus large et le plus organisé des  mouvements séparatistes musulmans: ses effectifs atteignaient les 60,000 combattants. A mentionner que l’accord n’a pas exigé le désarmement du MNLF.

Le Front islamique de libération Moro (MILF) dirigé par Hashim Salamat poursuit la lutte contre le gouvernement et revendique l’indépendance de la province de Mindanao. Crée en 1978 par des dissidents de MNLF, le MILF est extrêmement organisé. C’est le mouvement politico-militaire le plus puissant de la mouvance musulmane et à ce titre, il bénéficie de nombreux soutiens étrangers. Son effectif  serait estimé à 15,000 hommes .

Il serait faut de confondre le mouvement Abu Sayyaf avec les insurgés musulmans aux Philippines. «Les musulmans aux Philippines n’ont rien à voir avec Abu Sayyaf» écrit Mohammad Sammak dans son article paru dans An Nahar du 30 août  2000. En d’autres termes avec le Front National de Libération Moro. Le groupe, qui  s’est séparé en 1991 du MNLF en raison du refus du principe de l’autonomie stipulé par l’accord de Tripoli, figure sur  la liste des groupes terroristes du Département d’Etat américain (8 octobre 1998) élaborée par le secrétaire d’Etat Américain Madeleine Albright . Son leader Abdel Rahman Al Zanjaalani, surnommé Abou Sayyaf (Père de porteur de l’épée  car  son  fils  s’appelle  Sayyaf  «porteur  de l’épée»)  qui a étudié le droit musulman en Arabie Saoudite et a participé à la guérilla en Afghanistan (il a été tué par la police aux Philippines le 18 décembre 1998). Ce mouvement radical serait lié aux taliban afghan. Depuis leur repaire dans l’île Jolo, les rebelles déclarent vouloir créer un Etat fédéral islamique sur les tracés d’un ancien sultanat antérieur à la colonisation espagnole. Certains affirment que le mouvement  n’a commis aucun acte terroriste du vivant de son chef . Mais avec l’assassinat de ce dernier en 1999 et sa succession par son frère cadet Kadhaffi Al Zanjalani, le mouvement commença à s’impliquer dans des attentats à la bombes, assassinats, enlèvements et extorsion afin de promouvoir l'avènement d’un Etat islamique indépendant au Mindanao occidental et dans les îles Sulu. Son effectif est estimé à près de 200 membres . L’hypothèse selon laquelle le mouvement est appuyé par les militaires philippins en vue de discréditer le mouvement séparatiste musulman n’est pas à exclure.

 

Conclusion

Dans cette étude succincte on a tenté d’expliquer les causes du problème musulman aux Philippines en mettant l’accent sur la différence entre les mouvements qu’on peut qualifier de Libération et les mouvements terroristes. On a aussi insisté sur les négociations entreprises entre le MNLF et le gouvernement philippin, négociations soutenues et parrainées souvent par l’OCI, tant il est vrai qu’une  mauvaise paix vaut mieux qu’une bonne guerre.

Dans leur article publié dans le Monde Diplomatique de juillet 2000, Solomon Kane et Laurent Passicousset ont écrit:

«Aux Philippines, le fossé n’a cessé de se creuser entre les communautés religieuses,  dans un espace national de plus en plus fragmenté: au centre les ex-colonisés de la couronne hispanique, de confession chrétienne et qui ont contribué à la construction de l’Etat philippin; à la marge, les irréductible «tribus» (de Mindanao, Palawan et Sulu) n’ayant jamais accepté la colonisation espagnole. L’établissement d’un Etat-nation philippin, dont l’identité se fonde sur les valeurs chrétiennes a relégué les autres populations à la périphérie du monde politique et économique.»

Dans sa fuite précipitée vers la Mecque le Prophète Mahomet s’était fait devancer par un grand nombre de ses compatriotes qui avaient cru en sa mission divine. Il formèrent la classe des Mohajjiroun (Emigrés) A Médine le messager d’Allah retrouve refuge auprès des Ansar (les Partisans) qui l’accueillent et prêtent serment de le soutenir. Il y avait aussi les Juifs qui possèdent des terres et dirigent le  commerce et jouissent du statut de Ahl Al kitab (Les gens du Livre). Des rivalités opposaient les tribus des Ansar (Yéménites) à celle des Mohajjiroun (Adnanites). Les juifs de leur côté se montraient résolus à se placer en marge de la Communauté arabe. Pour parer au danger d’éclatement qui menace son installation, Mahomet, par une sorte de convention tripartite, amène Juifs, Ansar et Mouhajjirroun à régler en détail leurs relations mutuelles. Ce Contrat social avant la lettre, stipule que chacun des trois groupements apportera aux autres aides et assistance pour la défense de leur territoire, de leur honneur, de leurs familles, de leurs biens et de leurs croyances .

Ce texte, qui devrait servir d’exemples à tous les conflits y compris celui de l’Islam aux Philippines débute par la formule suivante: «Ceci est la charte, établie par Mohammad, le Prophète, le Messager d’Allah, entre les croyants et les musulmans de Qoreich et les habitants de Yathreb (Médine) et ceux qui les ont suivis, qui se sont réfugiés auprès d’eux et lutté avec eux. Ils forment tous une nation unique à l’exclusion des autres hommes…»