LES RELATIONS LIBANO-AMERICAINES DANS LE CADRE DE LA POLITIQUE ETRANGERE DES ETATS-UNIS (De la Première Guerre Israélo-Arabe de 1948 à l’invasion israélienne de juillet 2006)

LES RELATIONS LIBANO-AMERICAINES DANS LE CADRE DE LA POLITIQUE ETRANGERE DES ETATS-UNIS (De la Première Guerre Israélo-Arabe de 1948 à l’invasion israélienne de juillet 2006)
Préparé par: Rudyard KAZAN
Chercheur

On ne peut avoir la guerre au Proche-Orient sans l’Egypte ni avoir la paix sans la Syrie. Henri Kissinger

 

Le Liban est vital pour les Etats-Unis aux dires des présidents américains Dwight Eisenhower et Ronald Reagan(1), qui donnèrent l’ordre d’intervenir militairement au Liban en juillet 1958 et en septembre 1982 (dans le cadre de la force multinationale). D’aucuns ne seront pas d’accord avec eux et considèrent que pour les Etats-Unis, le Liban n’a de l’importance que dans le cadre de sa politique globale au Proche-Orient, pour faire pression par exemple sur un Etat tiers, en l’occurrence la Syrie. Certains pensent aussi que n’était-ce le très actif lobby libanais aux Etats-Unis, le président Bush n’aurait jamais fait pression sur la Syrie pour qu’elle retire ses troupes du Liban(2). Quelle place a occupé le Liban dans la politique étrangère des Etats-Unis? Pour tenter de répondre à cette question, nous évoquerons les phases principales des relations libano­américaines en nous attardant surtout sur deux évènements majeurs qui ont conduit à une intervention militaire américaine dans le pays, à savoir la crise de 1958 et l’invasion israélienne du Liban en juin 1982.

 

Le Prélude à l’intervention de 1958

(La Guerre Froide et la politique de défense occidentale)

La guerre froide conduit les puissances occidentales à élaborer face au bloc soviétique, une politique de défense basée, entre autres, sur une chaîne de pactes et d’alliances englobant le Moyen-Orient, région stratégique pour l’Occident en raison de ses réserves pétrolière et de sa situation géographique à la charnière de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique. Il fallait que les Etats-Unis et ses alliés (la France et la Grande Bretagne) mettent un dispositif susceptible de contenir l’Union Soviétique à l’intérieur de ses frontières. Ce fut la doctrine Truman présentée au Congrès le 11 mars 1947. Cette doctrine se concrétisa par l’annonce du Plan Marshall d’aide à l’Europe, du «programme du Point Quatre» d’assistance technique aux pays en voie de développement, par la conclusion de l’alliance atlantique (4 avril 1949) et d’une série de pactes dont l’objectif est de tenir les Etats du monde à l’abri de l’influence soviétique et du danger intérieur de la subversion communiste. Les Etats-Unis devaient assumer cette tâche en Grèce, en Turquie et en Iran, laissant à la Grande Bretagne pendant quelques dix années le soin de la remplir dans les pays arabes. Le 25 mai 1950, les Etats-Unis publient conjointement avec la France et la Grande Bretagne une Déclaration Tripartite qui peut se résumer par les points suivants: -Les trois gouvernements reconnaissent que les Etats arabes et l’Etat d’Israël ont tous besoin de maintenir un certain niveau de forces armées dans le dessein d’assurer leur sécurité intérieure, leur légitime défense et de leur permettre de jouer le rôle qui leur revient dans la défense de la région. -Les trois gouvernements déclarent avoir reçu de tous les Etats actuellement bénéficiaires d’expédition d’armes, l’assurance que l’Etat acheteur n’entend entreprendre aucun acte d’agression à l’encontre d’un autre Etat. -Les trois gouvernements, s’ils constataient que quelconque de ces Etats se préparait à violer les frontières ou les lignes d’armistice, ne manqueraient pas, conformément à leurs obligations en tant que membres des Nations Unies, d’agir immédiatement à la fois dans le cadre des Nations Unies et en dehors de ce cadre pour prévenir une telle violation(3).

 

La première conséquence de la publication de la Déclaration tripartite fut de hater la signature, le 17 juin 1950, par les Etats arabes d’un Pacte de Sécurité collective et de Défense commune au cours d’une session du Conseil de la ligue arabe à Alexandrie. Au cours de cette même session ils publièrent une réponse en neuf points à la Déclaration Tripartite. Dans leur réponse, les Arabe affirmaient qu’il «va de soi que le niveau des forces armées est une question qui relève de la seule appréciation de cet Etat» (point 4) et qu’il fallait «hâter l’application de la résolution des Nations Unies relative à la réintégration des réfugiés palestiniens dans leurs foyers et à leur indemnisation». En outre les Etats arabes s’en prenaient au paragraphe trois de la Déclaration en réaffirmant «qu’ils ne sauraient admettre aucune action de nature à porter atteinte à leur souveraineté et leur indépendance» (point 9)(4). Ainsi la Déclaration Tripartite et la réponse arabe démontrent deux points de vue en totale opposition: les “Trois” veulent consacrer le statu quo et, à partir de là tenter d’instaurer la paix dans la région, tandis que les Arabes n’acceptent pas de négocier une paix à partir du fait accompli israélien auquel Washington, Londres et Paris viennent d’apporter une garantie solennelle. Ainsi dans la déclaration tripartite du 25 mai 1950 les trois puissances s’arrogeaient le droit de garantir l’intégrité territoriale et l’indépendance politique des Etats du Moyen-Orient contre toute agression extérieure qui ne pouvait venir que de l’Union Soviétique(5). Pour la mise en œuvre de cette garantie, que le camp des démocraties occidentales libres déclaraient commune à tous les Etats du Moyen-Orient, le projet d’une Défense Commune fut conçu en 1951 à laquelle il était demandé à ces Etats de s’associer. Mais le Liban, de peur de mécontenter les Arabes (notamment l’Egypte qui avait refusé le Pacte) et créer un déséquilibre interne entre musulmans (réticents à toute alliance avec l’Occident) et chrétiens (favorables à une telle alliance), va refuser d’adhérer à l’alliance tripartite pour faire face au danger communiste. Ce refus ajouté à d’autres facteurs (soulèvement du Parti Populaire Syrien (PPS) et l’exécution de son chef Antoun Saadé en mars 1949 de manière expéditive créant un climat de suspicion et de haine à l’égard des responsables de l’assassinat de Riad El Solh par des membres de ce même PPS en Juillet 1951 à Amman. Avec sa mort, c’était la disparition de l’un des deux partenaires du Pacte National qui va ébranler le régime du président Bechara el-Khoury(6). Toutefois, le 29 mai 1951, le Liban adhéra au Point Quatre qui est un programme d’assistance technique aux pays en voie de développement, exposé par le Président Truman dans le quatrième point- d’où son nom – d’un discours prononcé le 20 janvier 1949. Dans ce quatrième point, le président Truman s’était engagé à présenter un programme mondial «dans le cadre duquel les Etats-Unis mettront à la disposition des pays intéressés leurs connaissances scientifiques et techniques dans tous les domaines, afin d’améliorer le sort de plus de la moitié de la population du globe qui vit dans la misère». L’accord signé par Hussein Aoueini, en sa qualité de Premier ministre, ministre des A.E., et ministre des Finances, et le chargé d’affaires américain par intérim, John Bruins, prévoyait l’assistance technique américaine pour des projets de développement de la vallée du Litani, d’amélioration des programmes d’enseignement de l’agriculture, de création d’une industrie de jus de fruits, de modernisation et de renforcement des équipes de la radiodiffusion libanaise…Au cours de la cérémonie de signature, Aoueni déclare au chargé d’affaires américain: «Je signe cet accord pour tester la bonne foi du gouvernement américain à l’égard du Liban et vérifier s’il attache de l’importance à l’amitié du Liban. L’avenir nous montrera le volume de l’assistance que l’Amérique consacrera au Liban et à l’ensemble des Etats arabes(7)

 

 Les faits confirmeront le bien-fondé des appréhensions de Aoueni. Le «Mutual Security Act» soumis à l’approbation du Congrès par le président américain le 24 mai de la même année prévoira en faveur de l’Etat d’Israël des crédits (25 millions de dollars) d’un montant équivalant à ceux alloués à l’ensemble des Etats arabes et africains(8). Dans la foulée des projets unionistes de croissant fertile projetés par la Jordanie et l’Irak, et alors que la Grande Bretagne demandait (le 5 février 1951) des facilités militaires au Liban, le ministre des Etats-Unis au Liban, Pinkerton, informe, le premier mars, Fouad Ammoun, secrétaire général des Affaires Etrangères que les Etats-Unis garantissent l’intégrité territoriale du Liban même sans la Grande-Bretagne ou la France, co­signataires de la déclaration tripartite du 25 mai 1950. Le ministre dit ne pas pouvoir s’opposer à une union entre pays arabes dans le cadre du Croissant fertile ou autres projets, mais qu’en tout état de cause, le Liban, dans l’optique américaine, n’en ferait pas partie(9). En effet, l’opposition qui a fait de «l’illégitimité du second mandat » son cheval de Troie va se regrouper au sein d’une coalition. La promulgation d’une nouvelle loi électorale, suivi de la nomination de Hajj Hussein Aoueini à la tête d’un cabinet des Trois ayant pour objectif d’assurer la neutralité du régime durant les élections, va amener l’opposition connue sous le nom des «partis coalisés» à se lancer dans la bataille électorale. Elle obtiendra un certain nombre de sièges et se regroupera au sein d’un Front Socialiste National (FSN) lequel, agissant sur la majorité parlementaire et sur la rue, va conduire à la démission du Président Khoury. Dans ses mémoires, ce dernier accuse les agents des trois puissances de la Déclaration tripartite, surtout la Grande Bretagne, d’être derrière cette révolution blanche qui le força à démissionner, aucune personne n’ayant accepté de former un gouvernement. En fait, ce fut un jeu aisé pour les nombreux agents britanniques qui pullulaient au Liban où le terrain était demeuré singulièrement réceptif à leurs activités, d’attiser l’opinion publique pour en orienter le courant à l’encontre du régime dont ils avaient pourtant favorisé l’éclosion(10). Le nouveau président des Etats-Unis Dwight Eisenhower affiche clairement son intention de rééquilibrer la politique de Washington à l’égard du monde arabe. La stratégie américaine à l’échelle du globe est toutefois toujours la même: contenir, endiguer l’Union Soviétique à l’intérieur des frontières de son bloc et, pour cela tisser un réseau d’alliances politiques et  militaires autour d’elle. Cette politique à laquelle Bagdad est de prime abord favorable et le Caire farouchement hostile, restera dans l’histoire soue le nom du Northern Tier (les nations du Nord). Elle donnera naissance successivement au Pacte balkanique du 28 février 1953 conclu entre la Turquie, la Grèce et la Yougoslavie, à l’accord turco-pakistanais du 2 avril 1954, au traité de défense mutuelle et d’assistance entre les Etats-Unis et le Pakistan du 19 mai 1954, au traité de défense collective de l’Asie du Sud-Est plus connu sous le nom du Pacte de Manille ou OTASE (Organisation des Territoires de l’Asie du Sud Est) signé le 8 septembre 1954 entre le Pakistan, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, la Thaïlande, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France et suivi de la Charte du Pacifique sorte de réplique de la Charte de l’Atlantique(11).

 

A ce vaste réseau de pactes de défense, de traités d’assistance mutuelle et de dispositifs militaires, manquait cependant, pour que la barrière édifiée tout autour de l’Union Soviétique ne comportât aucune trouée, un pan important, celui que constituaient entre la Turquie et le Pakistan, l’Iran et les pays arabes. Si l’Iran était susceptible de rejoindre le bloc des Etats occidentaux, les pays arabes ne pouvaient, en raison de leur conflit avec Israël, adhérer aux plans de défense collective proposés par les Alliés. Il y avait en outre le différend entre l’Egypte et la Grande-Bretagne sur la présence militaire britannique dans la zone du Canal de Suez. Dès son accession à la Maison Blanche, Eisenhower s’efforce de se démarquer de ses alliés européens, de corriger la politique pro-israélienne de son prédécesseur et de régler le conflit anglo-égyptien un des obstacles de l’adhésion du monde arabe aux plans occidentaux. C’est ainsi que la diplomatie américaine s’emploie à faire réussir. un accord anglo-égyptien (conclu le 27 juillet) à l’issue duquel la Grande Bretagne accepte de retirer ses troupes du territoire égyptien dans un délai de vingt mois, mais est autorisée à réoccuper certaines parties de la base de Suez en cas d’attaque armée contre un pays membre de la Ligue arabe ou de la Turquie. Mais Washington et Londres étaient convaincus qu’une fois la question de la présence militaire britannique en Egypte étant réglée, il n’y avait plus de raison pour que l’Egypte continuât à refuser d’adhérer à une organisation de défense collective qui eut comblé la brèche persistant dans la chaîne d’alliances mise en place dans le cadre de la politique du Northern Tier. D’où l’idée du Pacte de Bagdad qui devait regrouper la Turquie et tous les pays du Moyen-Orient depuis l’Iran jusqu’à l’Egypte. Mais le Caire ne voulait pas être noyé dans la masse «des trente millions de Turcs, des soixante-dix millions de Pakistanais, sans parler des vingt-cinq millions d’Iraniens» et ainsi «être réduit à ne plus jouer qu’un rôle de second ordre dans l’Orient méditerranéen». C’est pour cette raison que l’Egypte prêchait un pacte de défense exclusivement arabe car dans un tel dispositif, elle pouvait espérer occuper une place prépondérante. Par contre son rival arabe, l’Irak, s’était déclaré favorable à l’accord turco-pakistanais car il espérait ressortir son projet de Croissant fertile et prendre ainsi la tête d’un important regroupement arabe(12). Dès lors, le Liban devait choisir entre un système de défense collective axé sur la Turquie et le Pakistan et un système qui grouperait les Etats méditerranéens. Le 24 février 1955, le Pacte de Bagdad, un traité de défense mutuelle et de coopération économique, est signé par la Turquie et l’Irak dans la capitale irakienne. La Grande Bretagne y adhèrera le 4 avril avec l’appui discret mais déterminant des Etats-Unis, le Pakistan le 23 septembre et l’Iran le 12 octobre. Conclu pour une durée de cinq ans renouvelable, il avait pour objet d’assurer entre les parties contractantes «une coopération en vue de leur sécurité et de leur défense» et était ouvert à tout Etat membre de la Ligue arabe et à tout autre Etat intéréssé par la sécurité et la paix au Moyen-Orient.

Nasser riposte à ce traité qu’il dénonce violemment par la conclusion d’un accord signé le 2 mars 1955 entre l’Egypte, la Syrie et l’Arabie Saoudite et qui prévoit notamment un commandement militaire unifié commun ainsi qu’un renforcement des liens économiques.

Au Liban, le président Chamoun refuse de souscrire à cet accord et proclame ainsi son appui au Pacte de Bagdad.

Le problème s’aggrave l’année suivante à la suite de la guerre de Suez, déclenchée conjointement par Israël, la Grande Bretagne et la France (29 octobre 1956) après la nationalisation du canal de Suez par Nasser (26 juillet 1956). Le 30 octobre, le président libanais Camille Chamoun manifeste son attachement à l’Occident et prend l’initiative de convoquer à Beyrouth une conférence au sommet des chefs d’Etats arabes pour examiner les mesures à prendre contre les agresseurs de l’Egypte Les réunions débutent le 12 novembre alors que les hostilités ont déjà cessé. Chamoun réussit à esquiver la question de la rupture des relations diplomatiques avec la Grande Bretagne et la France, demandées par Nasser, et fait adopter le 15 novembre une résolution portant l’obligation d’évacuation du territoire égyptien conformément aux recommandations de l’assemblée générale de l’ONU(13).

 

Adhésion du Liban à la Doctrine Eisenhower

Le 5 janvier 1957, le Chef de la Maison Blanche expose dans un message au Congrès sa doctrine: Le Moyen-Orient, au carrefour des pays d’Europe, d’Asie et d’Afrique et riche de ses immenses sources pétrolières, est menacé comme jamais auparavant par les visées de l’URSS. C’est pourquoi les Etats-Unis considèrent désormais que ses frontières se situent sur le Caucase, comme elles sont déjà fixées à Berlin et à Formose. Le Moyen-Orient n’est pour l’URSS qu’un champ de manœuvres, une zone pour l’extension de son influence, alors qu’il est une région vitale pour l’Europe, avec laquelle il doit former un environnement mondial de liberté sans lequel les Etats-Unis estimeraient que leur propre sécurité est en danger. Si les pays de la région venaient à succomber à la menace soviétique non seulement ils perdraient leur indépendance, mais aussi l’économie des nations d’Europe occidentale serait étranglée et les Etats-Unis menacés. En d’autres termes, la sécurité des Etats-Unis face aux ambitions de l’Union Soviétique dépendra désormais de la sécurité du Moyen-Orient comme elle dépendait déjà de la sécurité de l’Europe(14).

La Doctrine Eisenhower est adoptée par le Congrès le 9 mars 1957 sous forme de résolution. Aux termes du texte voté : -le président des Etats-Unis est autorisé à apporter la coopération ou l’aide de son pays à toute nation ou groupe de nations de la région du Moyen-Orient qui désireraient recevoir cette aide pour développer leur puissance économique en vue de maintenir leur indépendance nationale. -Il est autorisé à établir, dans l’ensemble de la région du Moyen-Orient, des programmes d’assistance militaire avec toute nation ou groupe de nations désireux de recevoir cette aide. -Si le président l’estime nécessaire, les Etats-Unis pourront utiliser la force armée pour assister toute nation ou groupe de nations qui demanderait une telle assistance contre une agression armée venant de tout pays contrôlé par le communisme international(15). Ainsi la doctrine Eisenhower comporte deux volets, l’un économique, (destiné grâce à l’assistance américaine, à aider les pays du Moyen-Orient à améliorer leur niveau de vie afin de mieux lutter contre la pénétration des idées communistes), et l’autre militaire.

 

Le 16 mars 1957, le Liban adhère à la doctrine Eisenhower. L’accord libano-américain est signé par l’ambassadeur itinérant James Richards et le ministre libanais des Affaires Etrangères Charles Malik. Selon les termes de cet accord, les deux gouvernements libanais et américain considèrent «que le communisme international constitue une menace pour l’indépendance nationale ainsi que pour la paix et la sécurité mondiales et sont déterminés à coopérer ensemble conformément à la Charte des Nations Unies et sans préjudice de leurs autres obligations internationales, dans leur défense légitime contre cette menace à leur indépendance et à l’intégrité de leurs territoires». Mais l’accord prend soin de préciser, afin de prévenir les éventuelles attaques de ceux qui pourraient dire que le Liban se place dans le sillage américain, que la collaboration des deux pays aura pour base la confiance réciproque et le respect de l’indépendance et de la souveraineté de chacun d’eux sans aucune ingérence de l’un dans les affaires de l’autre(16). L’adhésion du Liban à la doctrine Eisenhower est interprétée par la communauté musulmane comme une rupture du pacte national qui remet en cause la souveraineté du pays et son caractère arabe.

 

La crise de 1958 et le débarquement américain

L’Union syro-égyptienne décidée le premier février 1958 et la proclamation de la République Arabe Unie qui réunit les deux pays le 22 février vont entraîner des manifestations d’appui de la population musulmane, de l’opposition (dont une partie est formée de notabilités chrétiennes dont le grec-orthodoxe Nassim Majdalani et le maronite Soleiman Frangié) et …du Patriarche maronite Mgr Paul Meouchy, tous hostiles à la politique du président Chamoun. La raison de cette opposition est surtout d’ordre interne. En effet, l’insurrection de 1958 eut pour cause interne la réaction provoquée par la campagne menée par les partisans du président Chamoun en faveur du renouvellement de son mandat arrivant à expiration en septembre 1958 au moyen d’un amendement constitutionnel consenti par la Chambre. Vainement un grand nombre de personnalités politiques de toutes confessions adjurèrent le chef de l’Etat à proclamer sa décision de refuser sa réélection. La cause externe résidait dans le fait que l’Egypte désirait bloquer la politique pro-occidentale du président Chamoun(17). L’assassinat le 8 mai d’un journaliste chrétien de gauche Nassib Metni servit de détonateur à la crise de 1958. Le lendemain de son assassinat, une grève générale est décrétée à Tripoli. Elle durera trois jours durant lesquels des manifestations populaires dégénérèrent en affrontements avec la police. L’insurrection atteint Beyrouth le 12 mai et s’étend à l’ensemble des villes et des régions à population musulmane. L’opposition qui regroupe la quasi-totalité des leaders musulmans comprend notamment: le leader sunnite Saeb Salam à Beyrouth, le leader sunnite Rachid Karamé à Tripoli, le leader druze Kamal Joumblatt au Chouf, le leader Chiite Ahmed el-Assaad au sud et le leader chiite Sabri Hamadé dans la Békaa(18).

Le 22 mai, le gouvernement libanais demande une réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour examiner une plainte du Liban contre la RAU accusée d’être à l’origine des troubles, de favoriser l’infiltration par la Syrie d’éléments armés et de se livrer à des interférences massives dans les affaires intérieures libanaises. Le Conseil de sécurité décide d’attendre le résultat de la réunion de la Ligue arabe qui est convoquée dans le même but. Cette dernière se réunit à Benghazi (Libye) du 1er au 5 juin mais ne parvient à aucun résultat. Le 6 juin, le Conseil de sécurité commence ses travaux et décide le 11 Juin de l’envoi d’observateurs au Liban. Le 12 juin, 135 membres de l’UNOGIL (United Nations Observation Group in Lebanon) arrivent à Beyrouth. Le 3 juillet, le secrétaire général des Nations Unies Dag Hammarskjöld qui est aussi venu au Liban (19 et 20 juin), déclare que le rapport de l’UNOGIL est négatif: les infiltrations d’armes étrangères n’ont pu être clairement prouvées. Chamoun décide alors de demander aux Etats-Unis une intervention militaire directe(19).

 

Dans ses mémoires, le président Eisenhower affirme que les Etats-Unis étaient prêtes à réagir favorablement à la demande de Chamoun mais sous certaines conditions: « En premier lieu, écrit Eisenhower dans ses mémoires, nous n’enverrons pas des troupes des Etats-Unis dans le dessein d’assurer un second mandat au président Chamoun. Deuxièmement, la demande devrait recevoir l’assentiment d’un quelconque Etat arabe. Troisièmement, la mission des troupes des Etats-Unis au Liban comporterait deux volets: la protection de la vie et des biens des Américains et l’aide au gouvernement légal du Liban». Le président américain n’appréciait ni la RAU ni Chamoun. «Il paraissait probable, écrit-il dans ses mémoires, que le Liban figurait dans l’agenda du colonel Nasser comme un pays devant tomber sous son influence». Quant au président Chamoun, Eisenhower dit qu’il voulait amender la constitution pour renouveler son mandat affirmant que «s’il n’avait pas été réellement favorable à l’amendement de la constitution, il aurait dû rapidement démentir toutes les rumeurs par une déclaration publique. Il ne le fit pas (…)»(20).

Alors que le 22 mai le Liban avait présenté une seconde plainte contre la RAU, Nasser proposa aux Etats-Unis un plan de règlement où Washington jugera les conditions «pas entièrement déraisonnables». Selon Eisenhower, les propositions égyptiennes «prévoyaient que le président Chamoun terminerait son mandat, que le commandant en chef de l’armée le général Chéhab, considéré par beaucoup de nos spécialistes comme étant le politicien libanais le plus fort en dehors de Chamoun, lui succèderait et que les rebelles au Liban bénéficieraient d’une amnistie(21)».

Il faudrait aussi mentionner que le secrétaire général des Nations Unies estimait qu’il ne serait pas sage pour les autorités libanaises de déposer une plainte au Conseil de sécurité car elles auraient très peu de choses à gagner et beaucoup à perdre, en particulier par rapport à leurs relations avec leurs voisins arabes.

 

Aux déclarations du chef des observateurs de l’UNOGIL Augusto Plaza et du Secrétaire Général de l’ONU Hammarskjöld sur le manque de preuves d’infiltration à travers la frontière, le gouvernement libanais réplique en soutenant que 3 000 éléments armés syriens, égyptiens et palestiniens combattent aux cotés des rebelles. Dans ses mémoires, Chamoun affirme que Hammarskjöld et Plaza étaient «prévenus contre le Liban et que rien d’utile ne serait accompli par leur mission. Qui les avait prévenus contre nous? Etait-ce l’Egypte où ils s’étaient rendus au préalable? Etait-ce le gouvernement américain qui regrettait d’avoir promis son appui et cherchait le moyen d’échapper à sa promesse? (…)». Le Général François Genadry, alors chef du bureau du commandant en chef de l’armée, affirmera au cours d’une entrevue, que bien que l’armée libanaise parvint à attraper des personnes s’infiltrant au Liban via la frontière avec la Syrie, et ce en présence des membres de l’UNOGIL, ces derniers nièrent les faits. Quant il les rencontra quelques années plus tard, ils lui affirmèrent qu’ils avaient ordre de dire qu’il n’y avait ni infiltration ni fuite d’armes à travers la frontière syro-libanaise(22).

En dépit du rapport négatif des observateurs, Chamoun avait réussi à internationaliser la crise libanaise. A Washington, l’idée d’une intervention américaine était débattue dans les cercles politiques. Mais le secrétaire d’Etat John Foster Dulles estimait que si les Etats-Unis envoyaient des troupes au Liban, il y aurait une réaction hostile au Moyen-Orient sans exclure toutefois l’idée de l’envoi des forces américaines au Liban(23).

La chute du régime irakien le 14 juillet 1958 modifia complètement la donne au Moyen-Orient. Chamoun sollicitera en vertu d’une décision en Conseil des ministres prise le 16 juin précédent l’habilitant à requérir l’aide des pays amis, une intervention militaire des trois pays occidentaux signataires de la Déclaration Tripartite de 1950 et plus particulièrement celle des Etats-Unis au titre de la Doctrine Eisenhower. Le même jour, l’ambassadeur des Etats-Unis lui transmet la réponse de son gouvernement: la Sixième Flotte accompagnée d’un corps de fusiliers marins, est en route vers le littoral libanais.

Eisenhower limite l’objectif fixé des troupes de débarquement américaines à la ville de Beyrouth et à son aéroport: « Si l’armée libanaise était incapable de soumettre les rebelles pendant que nous assurions la sécurité de la capitale et protégions le gouvernement, alors, à mon avis, nous étions en train de soutenir un gouvernement si peu populaire qu’il valait mieux pour nous ne pas être là(24)

Le mardi 15 juillet, 1 700 fusiliers marins du second bataillon du régiment des marines prennent pied sur les plages d’Ouzai et de Khaldé, à quelques kilomètres au sud de Beyrouth, et progressent rapidement en direction de l’aéroport, dont ils prennent le contrôle. Par la suite, des avions cargos déposent d’autres unités de la deuxième division d’infanterie de marine. Dès le 18 juillet, 70 à 75 navires de la Sixième Flotte sont déployés autour du port de Beyrouth. Le 25 juillet, les forces de débarquement américaines atteignent au moins 16 000 hommes dont 4 000 soldats d’infanterie et 6 600 fusiliers marins: plus que l’armée libanaise toute entière. Le débarquement s’est déroulé sans incidents Mais un engagement armé avec des unités militaires libanaises a été évité de justesse grâce à l’intervention de Chehab qui arriva sur les lieux et donna l’ordre de ne pas tirer. Toutefois le débarquement américain suscite une levée de bouclier dans les rangs de l’opposition(25). Et les critiques ne sont pas le seul fait de l’opposition: Ghassan Tueni qui s’est trouvé à plus d’une reprise dans les rangs de Chamoun souligne le 16 juillet dans son quotidien An-Nahar que « la Sixième Flotte dans notre pays pourrait conduire à la fin de l’indépendance du Liban(26)». Le 17 juillet, Robert Murphy, expert des questions du Moyen-Orient auprès du département d’Etat, arrive à Beyrouth. Sa médiation entre les différentes parties au conflit aboutira à l’élection du général Fouad Chéhab à la présidence de la République. Ce dernier avait évité de faire intervenir l’armée entre les belligérants adoptant une attitude de neutralité. Murphy dira de Chéhab qu’il était «un homme fort intelligent qui craignait qu’une attaque de front contre les rebelles n’exacerbe les différends religieux entre militaires et provoque même l’insubordination ouverte des soldats musulmans qui sympathisaient avec les rebelles. En un tel cas, évidemment, l’armée aurait éclaté et disparu(27)». En fait, comme l’affirme Sami Solh dans ses mémoires, la solution à la crise libanaise était que les intérêts, américain et égyptien, se rejoignaient pour une fois réunis. En effet, le nouveau régime procommuniste de Kassem constituait une menace pour Nasser car il avait lui aussi comme ambition d’être le leader de la nation arabe(28). La crise de 1958 fut ainsi résolue par une sorte de compromis entre la République Arabe Unie et les Etats-Unis. Durant la crise de 1975, elle va aussi connaître des arrangements et tensions entre les Etats-Unis et la Syrie.

 

La Guerre civile

Deux incidents anti-américains interviennent au cours de la première phase de la guerre (1975-1976): le rapt du Colonel Ernest Morgan et l’assassinat de l’ambassadeur Francis Meloy. Morgan est enlevé sur la route de l’aéroport international de Beyrouth, en secteur musulman, alors sous contrôle palestinien (29 juin 1975). Son rapt n’est revendiqué qu’une semaine plus tard (6 juillet) par l’Organisation de l’Action Socialiste Révolutionnaire qui réclame et obtient une rançon en nature pour la Quarantaine, bidonville peuplé de 30 000 kurdes, Palestiniens et chiites, situé dans le secteur chrétien de Beyrouth. Alors que la CEE, mandatée par Washington, organise la distribution des produits alimentaires, l’OLP dénonce le rapt et en fait assumer la responsabilité au Front Populaire de Libération de Palestine- Commandement Général (FPLP-CG d’Ahmad Jibril). Un an plus tard, l’ambassadeur Francis Meloy, son conseiller économique Robert Warring et leur chauffeur libanais Zouheir Moghrabi sont enlevés puis assassinés alors qu’ils se dirigeaient dans le secteur chrétien de la capitale (16 juin 1976). Ce triple assassinat amène le président Ford à faire évacuer les ressortissants américains qui le désirent: 263 personnes embarquent à bord d’un navire de la Sixième flotte sous la protection de l’OLP (20 juin 1976)(29). L’intervention de Damas au Liban en 1976 rencontre un large consensus régional et international. Les Etats-Unis souhaitaient contenir la crise libanaise dans des limites raisonnables tant que le conflit n’est pas réglé. Ils favorisent donc le retour au consensus sous l’égide du président syrien Hafez El Assad en s’appuyant sur Elias Sarkis et la Direction du Parti Kataeb. Les propos de l’ambassadeur américain Dean Brown le 10 août 1976 résument la position américaine. En effet, ce dernier affirme vouloir voir «un Liban non radicalisé (…) non divisé (…)» ajoutant que c’est un intérêt que les Etats-Unis partagent «avec les Syriens, les Israéliens, probablement avec l’Union Soviétique, certainement avec les Saoudiens» et la plupart des nations modérées du Moyen-Orient. Peut-être les Etats-Unis espéraient-ils aussi donner à Damas quelques compensations au Liban pour l’entraîner dans des négociations avec Israël(30). La période allant de 1977 à l’invasion du Liban par Israël est marquée par: -Un attentat manqué contre l’ambassadeur John Gunther Dean (27 août 1980) perpétré à Hazmieh et des tirs contre son convoi dans la région du Port de Beyrouth. -Des tirs de roquettes contre l’ambassade des Etats-Unis sise à Beyrouth-Ouest: 6 octobre 1978 (12 blessés) ,2 et 16 avril 1979, 26 septembre et 10 octobre 1980, 12 avril 1982(31). Les Etats-Unis interviendront politiquement lors de la crise des missiles. Le premier avril 1981, les syriens de la Force de Frappe Arabe encerclent et bombardent Zahlé. De violents combats les opposent aux milices chrétiennes des Forces Libanaises. L’offensive syrienne, qui a duré trois mois, comporte essentiellement: un sévère blocus de Zahlé qui ne reçoit qu’épisodiquement des secours médicaux et des vivres. L’occupation des troupes syriennes des collines entourant la ville (5-15 avril) puis des crêtes du Mont Sannine où la position stratégique-dite du refuge des Français-est investie (25 avril) par des commandos héliportés. Une contre offensive des Forces Libanaises qui bombardent Chtaura en riposte à l’avance syrienne sur les crêtes du Sannine (7 avril). Une intervention de l’aviation israélienne qui abat deux hélicoptères syriens (28 avril). Le même jour, la Syrie installe des rampes de missiles antiaériens SAM 2 et SAM 6. Tel Aviv exige leur retrait et menace de recourir à une opération militaire pour les anéantir. Washington envoit un émissaire présidentiel Philippe Habib qui arrive le 7 mai au Liban avec pour mission de désamorcer la crise des missiles. Il entame une navette qui le conduit en Syrie, en Israël et en Arabie Saoudite. Après ce périple, la crise est désamorcée et le siège de Zahlé est levé le 30 juin(32).

 

L’invasion israélienne et la Force Multinationale

Le 26 avril 1982, le Sinaï est restitué à l’Egypte aux termes du traité de paix de 1979. Israël n’attendait alors qu’un prétexte pour neutraliser l’OLP au Liban. Ce sera l’assassinat à Londres de l’ambassadeur Israélien Schlomo Argove, le 3 juin. A l’aube du 6 juin commence l’invasion israélienne du Liban dans une opération baptisée «paix en Galilée». Les Etats-Unis avaient donné leur feu vert à l’invasion israélienne car ils pensaient pouvoir utiliser Israël pour frapper la résistance palestinienne sans indisposer pour autant leurs alliés arabes et sans écraser la Syrie pour ne pas risquer de se jeter définitivement dans les bras des Soviétiques. Mais les objectifs israéliens ne coïncident qu’en partie avec ceux des Etats-Unis. Le projet sioniste visait à imposer le retrait syrien du Liban et détruire l’infrastructure de l’OLP(33). La constitution d’une Force Multinationale d’Interposition (FMI) intervient dams le cadre des pourparlers sur les modalités d’évacuation des combattants palestiniens de Beyrouth-Ouest, après l’invasion du Liban par Israël. A la suite de longues tractations libano-américaines, libano-palestiniennes et israélo­américaines, basées sur le plan d’évacuation des combattants de la Résistance palestinienne établie par l’émissaire américain Philip Habib, toutes les parties concernées acceptent le plan Habib (10 août) qui prévoit notamment le déploiement de la FMI en vue de veiller au retrait palestinien. Israël pose toutefois comme condition que le mandat de cette force ne dépasse pas les 30 jours. Le 18 août, le gouvernement libanais demande officiellement aux Etats-Unis, à la France et à l’Italie qui l’acceptent, de constituer cette force. L’effectif de la FMI s’élève à 1 700 hommes dont 500 marines américains appartenant à la Sixième Flotte. Avec la fin du processus d’évacuation des combattants palestiniens (1er septembre), la FMI a officiellement accompli sa mission. Son retrait, initialement prévu pour le 22 septembre, débute prématurément et sans explication par le départ des marines le 10 septembre, suivi des unités italiennes et françaises (13 septembre)(34).

 

L’assassinat du président élu Béchir Gemayel (14 septembre) et le massacre perpétré contre les civils palestiniens (et Libanais) des camps des réfugiés de Sabra et Chatila dans la Banlieue sud de la capitale (15-16 septembre) par des éléments de la milice chrétienne des Forces Libanaises venus venger la mort de leur chef (Béchir Gemayel), va conduire le gouvernement libanais à demander officiellement l’intervention d’une F.M. (20 septembre). Le lendemain, les trois pays ayant constitué la F.M.I. acceptent de participer à la «Force Multinationale deSécurité de Beyrouth» (F. M. S. B.) plus connue sous le terme de «Force Multinationale» (F. M.) dont le rôle serait «d’aider le gouvernement libanais à rétablir son pouvoir sur l’ensemble de la capitale et à assurer la sécurité de la population de Beyrouth-Ouest et de sa banlieue». Le mandat de la FM n’est pas déterminé, son maintien ou son retrait dépendant d’une décision politique commune des gouvernements participants et du gouvernement libanais. Le président Amine Gemayel (élu le 21 septembre), demande et obtient (le 19 octobre) que la FM demeure jusqu’au retrait de toutes les forces étrangères (israélienne, syrienne et palestinienne)(35).

Les Etats-Unis avaient défini les principes politiques vis-à-vis du Liban par la bouche de leur président Ronald Reagan lors de sa réunion avec son homologue libanais Amine Gemayel en octobre. Ces principes sont les suivants: -Les Etats-Unis attachent une importance majeure à la stabilité du Liban et à tout ce qui met un terme aux divisions internes et aux dissensions. -Les Etats-Unis sont très concernés par les retraits israéliens et pensent qu’ils doivent se faire « par étapes », la dernière devant coïncider avec l’accord sur les arrangements de sécurité à la frontière -Les Etats-Unis conseilleront à Israël de ne pas être trop pressant -Les Etats-Unis reconnaissent et acceptent que la conduite libanaise dans les négociations soit soumise à trois conditions limitatives:

•Les négociations et leur issue, ne doivent pas mettre en péril leconsensus national libanais

•Rien dans l’accord ne devrait porter atteinte ou préjudice à lasouveraineté libanaise ou en limiter l’exercice et le fonctionnement.

•Le Liban devrait pouvoir garder sa crédibilité régionale et nepas la compromettre auprès des Etats arabes(36). Le déploiement de la FM à Beyrouth-Ouest se heurte à l’occupation militaire israélienne de ce secteur de la capitale. Les trois pays membres de la FM, et notamment les Etats-Unis obtiennent non sans difficulté, le retrait israélien de Beyrouth-Ouest qui commence le 22 Septembre et se termine le 29 septembre. La FM, qui se déploie au fur et à mesure du retrait israélien, est composée d’environ 1 700 français, 2 000 italiens et 1 500 marines américains. Ses activités relèvent d’un comité supérieur de coordination présidé par le chef de l’Etat et comprenant les ambassadeurs des pays constitutifs de la force, les commandants des différents contingents ainsi que des officiers de liaison libanais. La FM entreprendra des activités de déminage et épaulera l’armée libanaise dans le ramassage des armes. En outre, le contingent américain participe à partir du 15 novembre à l’entraînement de l’effectif de l’armée libanaise dans le cadre de l’aide américaine décidée le 3 novembre(37). L’attaque majeure dont l’intervention politico-militaire de l’Occident au Liban est la cible durant la première phase de la mission de la FM alors que celle-ci n’étant pas vraiment contestée frappe l’ambassade des Etats-Unis: le 18 avril 1983, les locaux de cette ambassade sise à Beyrouth-Ouest sont en grande partie détruits par un camion suicide. L’attentat est revendiqué par plusieurs organisations: Le Jihad Islamique, l’«Union des Socialistes arabes» et l’«Organisation pour la vengeance des martyrs de Sabra et Chatila». La CBS rapporte le 16 mai que les services secrets américains détiennent des preuves de l’implication de l’Iran dans l’attentat; les démentis de la Maison Blanche et de la CIA (19 mai) sont ambigus et affirment ne pas détenir de preuves suffisantes permettants d’inculquer une quelconque partie. Le Bilan de l’attentat est lourd: 63 morts dont 17 américains et 120 blessés. Parmi les morts américains, six marines de la FM détachés pour la garde de l’ambassade, le chef de la CIA pour le Proche-Orient et le sud de l’Asie, Robert Ames, et six de ses collaborateurs avec qui il était en conférence dans les locaux de l’ambassade. Des sénateurs américains demandent aussitôt le retrait des marines du Liban. Le secrétaire d’Etat George Schultz en visite à Beyrouth, le 28 avril, proclame, sur les décombres de l’ambassade, la détermination de son pays de poursuivre son engagement au Liban. L’ambassade américaine est déplacée dans les locaux de l’ambassade britannique, mais elle est maintenue à Beyrouth-Ouest.

 

Activement engagés au Liban dans le cadre de la FM, dans le prolongement de leur médiation de l’été 1982 entre Israël et l’OLP via le gouvernement libanais, les Etats-Unis interviennent à nouveau en intermédiaire pour rendre possible la négociation libano-israélienne. Leur émissaire, Philip Habib, et son adjoint Morris Draper entretiennent plusieurs missions entre Beyrouth et Jérusalem à partir du 29 octobre 1982, pour conclure ces préliminaires et lever les derniers obstacles. Les principaux points litigieux aplanis grâce à la médiation américaine concernent: -Le lieu: Israël exige que ce soient les deux capitales, Beyrouth et Jérusalem, le Liban et le poste frontière de Nakoura. Ce sera finalement Khaldé, limite côtière à 15 km au sud de Beyrouth à la limite de la zone d’occupation israélienne et Kyriat Schmona, village frontalier du nord d’Israël. -Le niveau des délégations: Israël réclame qu’elles soient présidées par un ministre, le Liban par un officier; de hauts fonctionnaires seront placés à leur tête. -L’objet de la négociation: un traité de paix selon Israël, des arrangements de sécurité selon le Liban, garantissant la frontière nord israélienne, suivis d’un retrait de l’armée israélienne, et en conséquence des autres forces étrangères (syriennes et palestiniennes) du Liban Le rôle des Etats-Unis: un témoin selon Israël, un partenaire à part entière selon le Liban qui obtiendra satisfaction sur ce point. La délégation américaine sera présidée par Morris Draper, adjoint de l’émissaire Philip Habib et composée des membres suivants: Christopher Ross, Allan Kreczko (remplacé par Paul Hare), le général Andrew Cooley; le colonel Michael Kozack, et Patrick Collins (remplacé par le commandant David Anthony)(38). La conclusion de l’accord libano-israélien du 17 mai 1983 dont les Etats-Unis sont les artisans, modifie radicalement la situation des Forces Multinationales: agréée jusque-là dans l’engrenage du conflit libanais au fur et à mesure que cette autorité est sapée puis détruite par une opposition qui s’appuyant sur la Syrie et bénéficiant de la tolérance d’Israël se raffermit. D’abord durant la guerre de la Montagne et la victoire des Druzes du PSP de Walid Joumblatt (septembre 1983). Ensuite durant la bataille de Beyrouth qui voit la victoire du mouvement chiite d’Amal suite à la sécession de la 6ème brigade de l’armée (février 1984)(39). La FM est la cible d’un harcèlement croissant de la part de la milice de l’opposition libanaise. Face aux attaques, la FM se comporte de façon hésitante et indécise. En effet, cela est dû aux objectifs contradictoires de cette force: la FM sous-tend l’autorité centrale du président Gemayel tout en proclamant sa neutralité dans le conflit interlibanais; tant que ces conflits étaient en veilleuse au début de sa mission, le problème ne se posait pas; dès lors qu’ils ont été relancés avec virulence, elle s’est trouvée face à un dilemme. De plus, la FM avait disposé de 5 000 à 5 500 hommes à terre et d’un appui aéronaval imposant: la flotte massée au large de Beyrouth représentait la plus grande concentration navale sur un théâtre d’opérations depuis la Seconde Guerre Mondiale. En somme, c’était une véritable machine de guerre déployée avec pour mission de ne pas faire la guerre tout en la faisant quand cela est indispensable. Témoignant devant la Chambre des représentants sur les raisons de l’échec de la FM, le commandant des forces américaines amphibies au Liban, le colonel Geraghty devait clairement souligner, selon les minutes de l’enquête divulguée un an plus tard (22 août 1985): «Les marines étaient vulnérables car leur mission étant politique, ils n’étaient pas déployés au sens militaire (…). L’endroit où ils étaient placés devait permettre de montrer leur présence et n’avait pas été choisi en fonction d’impératifs de sécurité(40).» Les attaques contre la FM prennent de l’ampleur dès la bataille de Beyrouth (29-31 août) qui prend place immédiatement avant la guerre de la montagne et dont sort victorieuse l’armée libanaise, rééquipée avec du matériel et formée par des instructeurs américains mais sans le soutien direct de la FM. Prise sous le feu, la FM subit des pertes: 6 morts (dont 2 Américains) et 16 blessés (dont 6 Marines). Durant la Guerre de la Montagne, un déploiement de la FM dans le Chouf avait été envisagé durant l’été 1983 par les autorités libanaises dans la perspective d’un brusque retrait israélien pour que l’armée libanaise soit en mesure de combler le vide. De passage à Beyrouth, le général Paul Kelly, commandant en chef de Marines, avait mis un terme à ces spéculations en soulignant que ses hommes «ne se déploieront pas en montagne, cette mission étant dévolue à l’armée libanaise(41)».

 

La poussée victorieuse des forces antigouvernementales menées par les druzes du Parti Socialiste Progressiste qui après avoir bousculé la milice chrétienne des Forces Libanaises menacent de déborder l’armée libanaise qui les a stoppées à Souk el-Garb (20 km au sud-est de Beyrouth), la dimension extra-libanaise de ces hostilités avec l’engagement direct des combattants palestiniens et la puissance de feu de l’armée syrienne, placent la FM devant un choix difficile: intervenir ou demeurer passive. D’autant plus que ses positions sont la cible de bombardements de la part de Damas et de ses alliés pour tester la volonté de riposte. Dans un premier temps, la FM masse des navires et des avions de guerre en face de Beyrouth. Les Américains avaient ainsi massé 20 bâtiments dont deux porte-avions et le New Jersey, le cuirassé le plus puissamment armé du monde. Des renforts en hommes sont aussi envoyés mais sont cependant basés sur des navires en mers. Dans un premier temps, la marine américaine riposte par des tirs d’artillerie pour défendre les positions des marines à terre. Dans un second temps, Washington donne à sa flotte l’ordre de contre-attaquer pour soutenir l’armée libanaise engagée dans une dure bataille en vue de conserver la position stratégique de Souk el-Garb (13 septembre). Le président américain Ronald Reagan affirme qu’il ne permettra pas la chute de Souk el-Garb (19 septembre). Le jour même, la marine américaine bombarde les positions d’artillerie dans le secteur de la montagne sous contrôle syrien utilisées par le PSP pour pilonner l’armée dans cette localité. Mais si elle empêche l’effondrement des forces gouvernementales, l’intervention de la FM n’assure pas la victoire. Le front se stabilise sur une consolidation de terrain gagné par les alliés de Damas. Mais l’arrêt de la guerre de la montagne n’entraîne pas de répit pour la FM. Le contingent américain subit cinq attaques faisant un mort parmi les marines et sept blessés(42).

Les attentats et attaques contre la FM vont se perpétuer pour atteindre leur paroxysme le 23 octobre: un double attentat au camion suicide détruit simultanément le Q. G. du contingent américain à l’aéroport de Beyrouth (241 tués et 112 blessés) et le poste de Drakkar du contingent français à Beyrouth-ouest (58 tués et 15 blessés). La première réaction des Etats-Unis et de la France est de proclamer leur détermination à maintenir leurs forces au Liban. Le président américain Ronald Reagan y délègue le vice-président George Bush (26 octobre) qui souligne: «Les Etats-Unis ont des intérêts vitaux au Liban (…). Si les marines s’en retiraient, la situation empirerait». Sur le terrain, un raid aérien entrepris par 28 avions de l’USAF est lancé, le 4 décembre en guise de représailles au pilonnage des positions de marines à l’aéroport ayant fait huit morts et 2 blessés et d’un barrage de la DCA syrienne durant un vol de reconnaissance américain. Deux appareils américains sont abattus par des SAM-7 et 9 syriens; un pilote est tué et l’autre, fait prisonnier, sera relâché un mois plus tard par Damas, sur intervention de Jesse Jackson, adversaire noir du président Reagan aux présidentielles. Washington plaide l’autodéfense, justifie le raid par le souci «d’accorder la plus grande protection possible aux marines de Beyrouth» (Reagan, 10 décembre) et récuse qu’il y ait eu contre-performance de son aéronavale: «de lourdes pertes ont été infligées aux batteries syriennes» (Pentagone, 4 décembre). L’aviation américaine se limite par la suite à des vols de reconnaissance(43).

La tension retombe, mais le harcèlement de la FM continue (7 attentats et attaques contre le contingent américain entre le 23 octobre 1983 et le 6 février 1984, faisant 10 morts et 8 blessés), et, suite à de fortes pressions intérieures, le gouvernement américain change de position: tout en continuant à proclamer son engagement aux cotés du président et du gouvernement libanais, il cherche à retirer ses troupes du Liban, et, pour commencer, à y réduire leurs risques. Le candidat démocrate à la présidence, Walter Mondale, base sa campagne sur le thème du retrait du Liban, ce qui amène le président Reagan à se déclarer favorable au remplacement de la FM par une force de paix de l’ONU (23 décembre 1983), sans pour autant s’employer à la mettre sur pied. Acculé par le Congrès, le président américain le prend de vitesse: saisissant l’occasion de la sécession de Beyrouth-Ouest, il annonce le lendemain le retrait des marines et leur repli sur la flotte (7 février 1984). En effet, au troisième jour de la bataille de Beyrouth-Ouest, alors que celle-ci est déjà perdue pour les troupes loyalistes, et suite au pilonnage de l’ambassade américaine, le New Jersey déverse 200 obus d’une tonne et demie sur le Haut-Metn où se trouvent en territoire sous contrôle syrien, des batteries bombardant Beyrouth. Des informations de presse, préciseront, par la suite, qu’il s’agissait de bombes creuses. A ce stade, la décision est prise à Washington de retirer le contingent américain. Son évacuation commence le 7 février et s’achève le 26. 100 marines demeurent sur place pour protéger l’ambassade ultérieurement transférée à Beyrouth-Est, et 200 instructeurs auprès de l’armée libanaise. La Sixième Flotte restera au large de Beyrouth avec les marines jusqu’au 30 mars. La durée de la mission du contingent américain de la FM est de 518 jours. Il a subi 18 attaques directes. Le bilan est lourd: 264 morts et 148 blessés(44).

L’intervention américaine dans le cadre de la FM dénote un manque de vision stratégique de la part de l’Administration Reagan qui souffrait d’une incohérence et d’une absence de consensus. Ainsi chaque département interprétait différemment les intérêts. Et le manque de cohérence dans la politique étrangère retardait l’exécution des décisions(45).

 

La Stratégie syrienne et iranienne

La Syrie tentait de trouver une solution au vide politico-militaire créé par le départ de l’OLP des régions frontalières du Liban. Il lui était vital de remplacer les combattants palestiniens par une force de substitution qui serait prête à obéir à ses ordres. Une telle force jouerait un rôle très important dans sa campagne pour recouvrer le plateau du Golan, car elle lui permettrait d’attaquer les soldats israéliens sur le sol libanais tout en protégeant l’armée syrienne d’une attaque frontale des forces armées israéliennes qui jouissaient d’une supériorité écrasante(46). L’Iran était prêt à joindre ses forces à celles de la Syrie dans cette entreprise. Les visées territoriales de la Syrie permettaient à Téhéran de réaliser ses propres ambitions politiques. Son objectif principal était d’exercer une plus grande influence dans le monde arabe. Un accord avec la Syrie incluant le Jihad contre les Israéliens par des groupes fondamentalistes chiites fournissait à l’Iran le cadre idéal pour réaliser sa stratégie. Le plan était d’entraîner des hommes recrutés sur place dans la Bekaa alors sous contrôle de l’armée syrienne qui mèneront des opérations contre les Israéliens en collaboration étroite avec le quartier général des forces syriennes au Liban. L’Iran formerait les recrues, leur paierait leurs salaires et garantirait des avantages sociaux à leurs familles. Les armes fournies par l’Iran seraient acheminées via la Syrie(47).

 

La fin de la Guerre civile libanaise

A la veille de l’expiration du mandat présidentiel d’Amine Gemayel, les Etats-Unis interviennent auprès de la Syrie, en marge des pourparlers de paix au Proche-Orient, en vue de régler la crise libanaise et de trouver par le fait même un candidat de compromis à la présidence. La médiation du secrétaire d’Etat adjoint Richard Murphy en octobre 1987; et celle du responsable de la section Liban-Syrie-Jordanie au département d’Etat américain April Glaspie en mars-avril1988 aboutiront à un accord entre les Etats-Unis et la Syrie sur la candidature de Mikhaël El Daher à la présidence de la république. Mais le refus du camp chrétien de cette candidature empêcha la tenue de la séance parlementaire, faute de quorum, consacrée à l’élection présidentielle qui devait se tenir le 22 septembre 1988.

Se trouvant dans l’incapacité de tenir des élections présidentielles et, par la suite, de former un gouvernement avec un Premier ministre chrétien en raison du refus des musulmans d’en faire partie, le chef de l’Etat annonce, deux minutes avant l’expiration du délai constitutionnel (23 septembre 1988) la formation d’un cabinet militaire présidé par Michel Aoun qui serait chargé de préparer les élections présidentielles.

En mars 1989, Aoun se lança dans une «guerre de libération» contre les troupes syriennes. Il y avait été poussé par le comité de la Ligue arabe chargé de trouver une issue à la crise, mais aussi par les envois d’armes de l’Irak et par un appui politique et moral massif de la France (apparemment accompagné de certaines aides militaires). Cet épisode eut un résultat catastrophique, en particulier pour les communautés chrétiennes prises en otage par le général et son puissant rival, Samir Geagea, chef de la milice chrétienne des Forces Libanaises . Les combats entre cette milice et les troupes du général Aoun, se surajoutant aux combats contre l’armée syrienne, achevèrent de réduire la communauté chrétienne à un statut marginal dans le nouvel ordre régional qui s’annonçait(48).

Aussi la pax syriana, réalisée en octobre 1990 avec la bénédiction des Etats-Unis et le silence du gouvernement israélien, fut-elle accueillie avec un soupir de soulagement général. Durant quatorze ans, le Liban connut une stabilité peu commune. Seules l’ébranlèrent deux attaques israéliennes massives dans le sud du pays (en 1993, puis en 1996), lancées pour tenter de ramener à la raison le Hezbollah, qui conduisait une guérilla très efficace contre l’occupation israélienne du Sud depuis 1978. En mai 2000, l’armée israélienne se retira sous les coups de la résistance, qui, en coopération étroite avec l’armée et les services de sécurité libanais, réussit à empêcher Israël de semer une zizanie mortelle entre chrétiens et musulmans, comme cela avait été le cas après l’invasion de 1982, lors de son retrait du Chouf en 1983 et des environs de la ville de Saïda en

1985(49).

Après les attentats du 11 Septembre, le président Bush estima, contre toute évidence, que M. Saddam Hussein était impliqué dans ces crimes et que, de surcroît, il développait à nouveau des armes de destruction massive. Ainsi se mit en place l’engrenage menant à l’invasion de ce pays si important pour les équilibres du Proche-Orient. Les arguments utilisés pour légitimer l’invasion, ayant perdu toute crédibilité, l’administration .américaine entreprit de convaincre le monde que son intention, en tout cas, était d’apporter la liberté et la démocratie aux peuples de la région: son intervention pour libérer le peuple irakien de la dictature de M. Saddam Hussein ne représenterait qu’un premier pas vers des réformes démocratiques généralisées au Proche-Orient(50).

 

La guerre américaine en Irak qui faisait partie du programme de l’administration Bush de lutte contre le terrorisme international avait débuté au printemps 2003 par l’opération baptisée «choc et effroi». A l’été 2006, cette campagne piétinait encore. Plus de 2 500 soldats américains avaient été tués et 25 000 blessés lors d’attaques par les insurgés irakiens aussi bien chiites que sunnites. Parallèlement, l’Iran continuait à rejeter toute ingérence de la communauté internationale dans son programme d’enrichissement nucléaire. Malgré les déclarations de l’Iran selon lesquelles ce programme était destiné à des fins pacifiques, les Etats-Unis, Israël et les Etats arabes considéraient ce développement avec une inquiétude croissante. Au nord de l’Irak, la Syrie, alliée à l’Iran était accusée de soutenir les insurgés sunnites en Irak. Elle semblait permettre aux «terroristes» de franchir la frontière avec l’Irak pour participer à la bataille contre les forces de coalition. De plus, la Syrie refusait d’obtempérer aux demandes américaines répétées de fermer ses portes aux «organisations terroristes» telles que Hamas et de cesser de soutenir les activités «terroristes» du Hezbollah contre Israël(51).

En décembre 2003, les Etats-Unis adoptent des sanctions (légères) dans le cadre de la loi dite Syrian Accountability Act (Loi de responsabilité syrienne), adoptée par le Congrès américain. Cette loi exigeait que la Syrie retire ses troupes du Liban et cesse de soutenir les organisations terroristes si elle ne voulait pas subir des sanctions. Le 11 mai 2004, en application de la même législation, des instructions présidentielles américaines renforcent le dispositif d’encerclement économique, jusqu’alors relativement souple et peu contraignant. Le général Aoun à Paris comme, à Washington, un groupe de pression libanais (qui prêche la sécession des chrétiens ou la transformation du pays en fédération) se félicitent des sanctions américaines, puis de l’adoption de la résolution 1559; et ils affirment avoir contribué à ranimer la flamme éteinte des Etats-Unis pour la restauration de la souveraineté libanaise(52).

Au début de l’été 2006, la Syrie et l’Iran continuaient d’autant plus à défier les Etats-Unis qu’ils disposaient de différents moyens pour contrecarrer les objectifs américains au Moyen-Orient. Leur principal atout était le soutien qu’ils accordaient au Hezbollah. La politique américaine en Irak était un échec alors que certains sondages d’opinion aux Etats-Unis révélaient que le soutien dont le président Bush bénéficiait avoisinait les 30 pourcent. Pour des raisons politiques internes, Bush avait un besoin crucial d’une victoire sur le terrorisme. Lorsque le Premier ministre Israélien Ehud Olmert décida le 14 juillet 2006 d’écraser le Hezbollah, les Américains pensèrent que la victoire décisive s’offrait à eux sans qu’ils aient à en payer le prix(53).

Pour les Etats-Unis, le Hezbollah était un mouvement terroriste. Lorsqu’ils publièrent, le 10 octobre 2001 la liste des terroristes les plus recherchés, trois individus qui auraient été membres du Hezbollah (Imad Fayez Mughnieh, Hassan Ezzeddine et Aloi Atwa) figuraient parmi les 22 hommes inscrits sur cette liste. Mughniyeh était considéré comme le cerveau des attaques terroristes perpétrées contre les Etats-Unis depuis les attentats à la voiture piégée jusqu’aux enlèvements. Hassan Ezzeddine fut mis en examen par un tribunal américain, en même temps que Mughniyeh pour sa participation au détournement du vol 847 de la TWA (le 16 juin 1985) et à l’assassinat d’un plongeur de la marine de guerre américaine qui était à bord de cet avion. Atwa, un complice qui avait manqué ce vol, fut capturé par les autorités grecques puis relâché afin de satisfaire les exigences des pirates de l’air. Suite aux attaques du 11 septembre, les Etats-Unis utilisèrent plusieurs moyens dans leur lutte contre le terrorisme(54). Au Liban, le plan des Américains étaient de forcer les autorités libanaises à neutraliser en les menaçant d’avoir recours à des sanctions unilatérales. La réponse du gouvernement libanais était la même en substance, à savoir que le Hezbollah était un mouvement de résistance et non un mouvement terroriste. Il tenta de multiplier ses efforts pour tenter de renforcer le soutien du public libanais et de la communauté internationale envers sa position(55).

Les Américains sont persuadés que ce sont des membres du Hezbollah qui sont à l’origine de la vague d’enlèvement des occidentaux à Beyrouth durant les années 1980.

En effet, avec l’invasion israélienne de 1982, la vague d’enlèvement des occidentaux déclenchée à Beyrouth-Ouest en 1984 atteint son paroxysme en 1985-1986. Ironiquement, la vérité oblige à dire que les premiers otages étrangers au Liban furent quatre diplomates iraniens dont on n’a jamais retrouvé les traces.

 

Voici, par ordre chronologique, la liste des otages américains depuis juillet 1982:

-David Dodge, vice-président de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) (19 juillet 1982– libéré le 20 juillet 1983)
-Frank Reiger, professeur à l’AUB (11 février 1984 – libéré le 16 avril 1984).

-Jeremy Levin, journaliste, chef du bureau de la CNN (7 mars 1984 – a réussi à s’évader le 18 février 1985).

-William Buckley, chef du bureau de la CIA au Liban (16 mars 1984– mort probablement en 1985, sous la torture. Ses restes ont été retrouvés le 27 décembre 1991 dans la banlieue sud de Beyrouth).

-Benjamin Weir, pasteur protestant (8 mai 1984 – libéré le 19 septembre 1985).

-Peter Kilburn, bibliothécaire à l’AUB (3 décembre 1984 ­assassiné le 18 avril 1986).

-Lawrence Martin Jenco, prêtre catholique, directeur du Catholic Relief Services (9 janvier 1985 – libéré le 24 juillet 1986).

-Terry Anderson, journaliste, chef du bureau Moyen-Orient de l’Associated Press (16 mars 1985 – libéré le 4 décembre 1991).

-David Jacobsen, directeur de l’Hôpital Américain de Beyrouth (28 mai 1985 - libéré le 2 novembre 1986)

-Thomas Sutherland, doyen de la Faculté d’agronomie de l’AUB (9 juin 1985 – libéré le 18 novembre 1991)

-Frank Reed, directeur de la Lebanese International School (9 septembre 1986 – libéré le 1er mai 1990)

-Joseph Cicippio, comptable à l’AUB, enlevé sur le campus (12 septembre 1986 – libéré le 2 décembre 1991)

-Edward Tracy, écrivain (21 octobre 1986 - libéré le 11 août 1991).

-Alann Steen, professeur au Beirut University College (24 janvier 1987 – libéré le 3 décembre 1991).

-Robert Polhill, professeur au Beirut University College (24 janvier 1987 – libéré le 22 avril 1990).

-Jesse Turner, professeur au Beirut University College (24 janvier 1987 – libéré le 21 octobre 1991).

-William Higgins, lieutenant-colonel de la marine américaine, commandant en chef adjoint de l’ONUST, l’Organisation des Nations unies pour la supervision de la trêve (17 février 1988 – sa mort, probablement sous la torture, a été annoncée le 6 juillet 1990. Son corps a été retrouvé le 24 décembre 1991)(56).

Revendiqué pour la plupart des cas par le Jihad Islamique, ce dernier réclamait la libération de 17 détenus au Koweït. En fait, il n’y eut aucune déclaration publique sur les raisons et les auteurs de ces enlèvements. Mais on pourrait admettre que les enlèvements connurent différentes phases en raison des motivations très diverses de leurs auteurs et commanditaires(57). Ironiquement la crise des otages occidentaux au Liban renforça les liens entre la Syrie et les Etats-Unis car Damas contribua positivement aux dires de Washington dans la solution à cette crise(58).

 

Conclusion

En passant en revue les deux phases principales de l’intervention américaine au Liban, à savoir en 1958 et 1982, on constate que chaque fois qu’il y a désaccord entre la Syrie et les Etats-Unis, le conflit s’envenime au Liban et chaque fois que ces deux Etats se mettent d’accord, la paix et la sécurité règnent au Liban. On peut constater aussi que pour les Etats-Unis, le Liban sert comme moyen de pression sur d’autres forces (la Syrie et l’Iran). A l’heure actuelle, beaucoup de dirigeants américains estiment que les Etats-Unis sont allés trop loin dans leur soutien aux autorités libanaise et dans l’éviction de la Syrie. L’ancien secrétaire d’Etat américain Henri Kissinger avait dit au sujet du conflit israélo-arabe cette maxime désormais célèbre: “On ne peut avoir la guerre au Proche-Orient sans l’Egypte ni avoir la paix sans la Syrie”. On pourrait appliquer cette maxime sur le Liban. Comme l’affirme Elisabeth Picard: «Dans la guerre libanaise plus encore que dans le conflit israélo-arabe, une paix sans la Syrie est inconcevable».(59)

 

Margins and references

1. Clyde R. Mark, Lebanon, Congressional Research Service, The Library of Congress, August 25 2003,p. 1

2. Robert G. Rabil, Syria, “The United States and the war on terror in the Middle East”, Westport, Connecticut, 2006, p. 162

3. Roger Gehchan, Hussein Aoueni. “Un demi siècle d’histoire du Liban et du Moyen-Orient (1920­1970)”, Beyrouth, FMA, p.324

4. Ibid., p. 184

5. Edmond Rabbath, La formation historique du Liban politique et constitutionnel, Beyrouth, UniversitéLibanaise, p. 559

6. Ibid., pp. 559-560

7. Roger Geahchan, Op. Cit., p.189

8. Ibid.

9. Joseph Chami, Le Mémorial du Liban. Tome 2. Le Mandat de Béchara el Khoury, Beyrouth, 2002, p. 380

10. Edmond Rabbath, Op. Cit., p. 560

11. Roger Geahchan, Op. Cit., p. 229

12. Ibid. pp.229-230

13. Crises Institutionnelles. La guerre Civile de 1958, FMA, I-L26, Décembre 1980

14. Roger Gehchan, Op. Cit., p. 274

15. Ibid. p.276

16. Joseph Chami, Le Mémorial du Liban. Tome 3. Le mandat de Camille Chamoun, Beyrouth, 2002, pp. 229-230

17. Edmond Rabbath, Op. Cit.,p. 566

18. «Liban. Crises Institutionnelles. La guerre civile de 1958», FMA, I-L26, Décembre 1980

19. Ibid

20. Dwight Eisenhower, The White House Years. Waging Peace, London, Heinemann, 1966, pp.266-268, cité dans Roger Geahchan, Op. Cit., p.312

21. Ibid, p. 268, Cité dans Roger Geahchan, Op.Cit, p. 315

22.فخامة الملك-وثائقي للمؤسسة اللبنانية للارسال

23. Roger Geahchan, Op. Cit., p. 318

24. Dwight Eisenhower, Op. Cit., p. 270, cité dans Roger Gehchan, Op. Cit., p. 322

25. Roger Gehchan, Op.Cit, p. 322-323

26. Ibid., p.324

27. Ibid., p. 325

28. سامي الصلح "لبنان العبث السياسي والمصير المجهول" بيروت، دار النهار، الطبعة الثانية، 2004، ص 214

29. «Liban - Otages Occidentaux et autres attentats»,in FMA, Lbn-1115/1, juillet 1989

30. Nadine Picadou, La Déchirure libanaise, Paris, Editions complexes, 1989, pp.148-149

31. «Liban – Otages Occidentaux et autres attentats», Op. Cit.

32. «Liban- Guerre du Liban Phase II (1978-1982). La bataille de Zahlé», FMA, Lbn-1112/24, Octobre 1985  33. Nadine Picadou, Op. Cit., p. 176

34. «Liban – Force Multinationale. Constitution et activités», FMA, Lbn-1309/1, Décembre 1983

35. Ibid.

36. Ghassan Tueni, Une guerre pour les autres, Paris, JC Lattès, 1985, pp277-278

37. «Liban – Force Multinationale. Elargissement et Premières difficultés», FMA, Lbn-1309/2, Octobre 1985

38. «Liban – Négociations Libano-israélienne. Mise en place de la Conférence», FMA, Lbn-1306/1, Mars 1988

39. «Liban – Force Multinationale. L’engrenage dans la guerre», FMA, Lbn-1309/3, Janvier 1986

40. Ibid

41. Ibid

42. «Liban – Force Multinationale. Le retrait», FMA, Lbn-1309/4, Janvier 1986

43. Ibid

44. Ibid

45. Cf. Agnes G. Korbani, US Intervention in Lebanon, 1958 and 1892. Presidential Decision making, NewYork, Praeger, 199, p.99. L’auteur fait une étude comparative entre les décisions des deux présidents Eisenhower et Reagan relatives à leur intervention militaire au Liban

46. Judith Palmer Harik, Le Hezbollah. Le Nouveau visage du terrorisme, Traduit de l’Américain par Gérard Busquet Paris, ViaMedias, 2006, pp.61-62

47. Ibid.

48. Georges Corm, «Crise libanaise dans un contexte régional houleux», Le Monde Diplomatique, Avril 2005, pp. 16-17

49. Ibid

50. Ibid

51. Judith Palmer Harik, Op. Cit., p. 277

52. Il s’agit principalement des groupes suivants: le «United States Committee for a free Lebanon» (USCFL), présidé par Ziad Abdel Nour; le «Lebanon American Council for Democracy» (LACD) présidé par Tony Haddad; le «Lebanese Information Center» présidé par Joseph Jubeily; le «American Maronite Union», présidé par Sami Khoury; le «World Lebanese Cultural Union» (WLCU) dont les figures de proue sont Joe Beini, John Hajjar et Tom Harb. Suite aux attaques du 11 septembre 2001 les organisations susmentionnées fusionnèrent, à l’exception du USCFL et LACD, pour former le «American Lebanese Coalition» avec Jubeily pour Directeur Général. Cf. Robert G. Rabil, Op. Cit., p. 166

53. Judith Harik, Op. Cit. p. 279

54. Ibid, p. 246

55. Ibid., p. 258

56. http://fr.wikipedia.org/wiki/Otages américains, Juin 2007

57. Judith Harik, Op. Cit., p. 60

58. Robert G. Rabil, Op. Cit., pp. 76-77

59. Nadine Picadou, Op. Cit. p. 192

العلاقات اللبنانية - الأميركية في إطار السياسة الخارجية للولايات المتحدة

(من الحرب الإسرائيلية - العربية الأولى العام 1948 إلى الاجتياح الإسرائيلي في تموز 2006)

 

لبنان بلد حيوي بالنسبة إلى الولايات المتحدة الأميركية بحسب رأي الرئيسين الأميركيين دوايت آيزنهاور ورونالد ريغان اللذين أعطيا الأمر بالتدخل عسكرياً في لبنان في تموز 1958 وفي أيلول .1982

ما هي المكانة التي احتلها لبنان في السياسة الخارجية للولايات المتحدة؟ في محاولة للإجابة على هذا السؤال، يشير الباحث إلى المراحل الأساسية للعلاقات اللبنانية الأميركية، متوقفاً عند حادثين أساسيين أديا إلى تدخل عسكري أميركي في البلد أي خلال أزمة العام 1958 ثم خلال الاجتياح الإسرائيلي للبنان في حزيران .1982

إذاً من خلال الحديث عن المحطتين الأساسيتين للتدخل الأميركي في لبنان، العامين 1958 و 1982، يستنتج الكاتب أنه في كل مرة يكون هناك خلاف بين سوريا والولايات المتحدة، يشتد الصراع في لبنان، وفي كل يتفق فيها الطرفان يسيطر السلام والأمن في لبنان.