Mondialisation, vitesse et liquidité des sociétés Versus radicalisations socioculturelles Quelle éthique ?

Mondialisation, vitesse et liquidité des sociétés Versus radicalisations socioculturelles Quelle éthique ?
Préparé par: Abdo Kahi
Introduction:

Pouvons-nous encore rêver de bien vivre ensemble et à quel prix ?

De quoi demain sera-t-il fait2, se demandait Victor Hugo1 en composant Les Chants du crépuscule, dans la foulée des avancées impériales opposant la France à l’Allemagne face au Commonwealth anglais qui connectait les océans aux terres où la reine pouvait amarrer ses navires.

Vers quoi tendrait le devenir des années cinquante du XIXe siècle, où l’ordre de la bourgeoisie, se recoiffant au boudoir de l’aristocratie d’antan, ne faisait que repousser le peuple vers les marges de la cité, et où les révoltes et les guerres reprenaient leurs marches au solde des envies impériales des gouverneurs. Dans Les Misérables, Victor Hugo dépeint bien le paysage social du cœur des villes françaises, et de Paris plus particulièrement, où la pauvreté et la précarité des conditions de vie reflétaient bien les risques qu’encourait le peuple sur le double plan économique et social.

« De quoi demain sera-t-il2… », se demandent en 2001 Jacques Derrida et Elizabeth Roudinesco, ramenant sur scène au début du XXIe siècle la même réflexion faite par Victor Hugo au bon milieu du XIXe siècle.

En effet, si on regardait du côté de nos instruments de prévision et de prospective, on remarquerait que les peurs des risques que nous cacherait demain l’emporte bien sur les opportunités qui pourront féconder notre espoir.

L’indice du bonheur personnel, calculé selon l’échelle de Bradhburn, est en baisse actuellement par rapport à ce qu’il était durant les années 90, et encore plus de ce qu’il était durant les années 70 et 80 du siècle dernier, au Liban et ailleurs.

L’engagement citoyen dans la chose publique, en tant que participation aux grands choix sociétaux (les élections et les referendums) ainsi qu’aux activités à caractère social et environnemental, a baissé partout dans le monde, et au Liban plus particulièrement, pour laisser la place à l’engagement communautaire sur des bases ethniques, religieuses et socioculturelles.

La pauvreté relative, mesurée en termes d’écarts et de disparités sociales, est entrain de galoper en ces moments, même dans les pays développés. Par ailleurs, le chômage atteint des scores qu’il n’avait jamais encore atteints après les grandes guerres mondiales.

Dans ce climat de remue-ménage culturel, économique et social, la question de la sécurité remonte en surface dans la plupart des pays du monde, y compris les pays développés, pour ne pas s’arrêter à ceux où la sécurité est une réponse idéologique à connotation religieuse, s’exprimant d’une manière dogmatique et dictatoriale face à toute question de nature citoyenne.

Les grandes cités du monde s’habituent de nouveau, à travers un entraînement assidu, aux régimes sévères de contrôle social pour assurer la sécurité de l’exercice social de la vie à l’âge de la vitesse vertigineuse de la communication et après les belles années d’ouverture humaine, sociale et sociétale.

Les risques de demain en matière de sécurité ne cessent d’augmenter. L’événement de 11 septembre et les guerres, assassinats politiques, attentats, actes terroristes suicidaires et enlèvements qui s’en sont suivies, surtout au Moyen-Orient : Afghanistan, Iraq, Palestine, Liban…, font remonter en surface les grands risques d’attaques biologiques et bactériologiques auxquels nous sommes mal préparés.

Les déchets de notre consommation, dont nous en avons fait le moteur de notre vie économique, ne cessent d’augmenter les risques multiformes dus à notre relâchement éthique sur le plan civique, face à notre course effrénée vers la croissance et à l’épuisement des ressources de la terre accompagné d’un appauvrissement généralisé et de la montée en puissance des peurs publiques qui ont en découlés.

Le lien social et humain, qui a pu garder un certain équilibre entre la chaleur du foyer et la tiédeur de la place publique, risquera des assauts grandissants demain, sur le double plan de la famille et de la société en général, les menant, ou bien à plus de désarticulations, ou bien à plus de crispations, jusqu’à leur blocage dans des systèmes modulés sur des bases identitaires  fortes et exclusivement communautaires.

Comment allons-nous vivre bien ensemble demain ? Autrement dit, comment allons-nous faire pour bâtir, dès aujourd’hui, le goût de vivre ensemble en luttant chacun de son côté contre les risques de détérioration de notre qualité de vie individuelle et collective demain ?

Aurions-nous à développer davantage les moyens de sécurité qui nous installent dans le contrôle les uns des autres, comme on a tendance à le faire aujourd’hui ? Ne serions-nous pas plutôt appelés à redéployer notre humanité dans un espace citoyen où nous aurions à chercher à nous sécuriser à partir d’une plus grande reconnaissance des uns et des autres et où le principe d’égalité viendrait réconforter celui de la liberté ? Ne serions-nous pas plus en sécurité en faisant générer notre assurance à travers une vraie fraternisation avec ceux qui ne cessent d’être marginalisés par notre course infernale vers le plus-être ?

N’aurions-nous pas pour cela à encourir le risque d’une certaine révision éthique qui nous ramènera à la transparence au-delà de notre définition sociale et culturelle et de l’image de développement et de croissance qui porte le monde vers plus d’homogénéité et le pouvoir vers plus d’absolutisme et de domination.

 

N’aurions-nous pas, à cet effet, à accepter une certaine désillusion sans perdre l’enthousiasme, et un certain effacement de nous-mêmes sans manquer de présence à l’autre, pour assumer notre échec sans désespérer du résultat humain souhaité et pour pouvoir écouter l’insignifiance, la maladie, la pauvreté et toutes les crispations identitaires culturelles, idéologiques et religieuses qui en résultent.

Nous avons essayé durant les trois dernières décennies de développer la prévention et d’assurer la durabilité de la sécurité sur un chemin de dépistage, de contrôle et de changement des habitudes, des traditions et des valeurs. Nous avons pour cela abattu le traditionnel en nous pour nous habiller de la modernité, qui par le calcul, la prévision, le contrôle et l’aseptisation nous promettait de nous assurer la sécurité.

Nous nous sommes entêtés à vouloir généraliser notre façon de faire à ceux qui n’ont pas eu l’occasion de vivre notre histoire et nos expériences.

Regardons-nous en face. Empruntons un miroir, si notre mémoire n’arrive pas à nous retracer clairement notre image.

Regardons, du même coup, les autres, c’est-à-dire ceux que nous considérons comme différents, parce qu’ils appartiennent à des cultures qui leur font adopter d’autres croyances et qui les font vivre, espérer, calculer et aimer d’une autre manière.

Regardons l’état du rapport entre : gens modernes ou développés, et les autres qui sont des gens en difficulté par rapport à la modernité et au développement.

Les gens modernes et développés sont  effectivement plus assurés pour leur survie que les autres. Mais ils sont en même temps plus stressés, plus instables, plus insatisfaits, toujours en course et en calcul. Ils s’écrasent les uns les autres par la concurrence. Ils se  valorisent à partir de leurs acquis, et ils dévalorisent tous ceux qui ne sont pas comme eux.

Quant aux autres, ceux qui sont en mal de modernité et de développement, eux sont moins assurés, mais ils n’ont pas peur, ni de la pauvreté ni de la mort. Ils ont le courage de risquer pour sauver les autres. Ils se côtoient dans leurs difficultés, parce qu’ils préfèrent vivre ensemble plutôt  que de mijoter leur stress qu’ils nourrissent à partir de ce qu’ils ont manqué de faire pour eux-mêmes et pour leurs prochains. Ils savent vivre et s’obliger à être heureux, même dans leur pauvreté et dans leur irrégularité.

Et nous, nous qui nous considérons évolués et développés, nous leur inculquons nos peurs et nos soucis, en les affrontant à la nécessité de leur développement selon notre modèle de croissance, sans leur donner les moyens de les assumer et sans avoir la culture du calcul et du contrôle. Nous ne faisons ainsi que les dévaloriser et les appauvrir sous le poids de quelques années de plus que nous leur donnons à vivre suite à une vaccination obligatoire que nous leur aurions fait subir et à certaines aseptisations que nous aurions opéré dans leur milieu.

Prévention, citoyenneté et sécurité durable, voilà un champ d’investigation qui mérite d’être questionné à la lumière des considérations soulevées ci-dessus et considérations qui pointent toutes à la nécessité d’une révision éthique.

Alain Touraine nous appelle à nous investir dans ce nouveau champ d’investigation et de recherche, en soulevant, déjà en 1998, dans : Pourrons-nous vivre ensemble égaux et différents ? la question de la citoyenneté d’éthique et de sécurité de la vie commune.[1]

Pour pouvoir défricher ce nouveau chemin d’investigation, il distingue entre trois types de démocraties :

  • La démocratie politique basée sur une exigence éthique de participation citoyenne aux décisions concernant la vie ensemble ;
  • La démocratie sociale actionnée par l’éthique de la fraternité à travers la création d’accès aux défavorisés sociaux aux différents biens et services de la société, en vue de faciliter leur capacité de gouvernance ;
  • La démocratie culturelle activée par l’éthique de la communication humaine sur une base d’inculturation ou de valorisation des cultures déstabilisées et affaiblies par la modernité, ce qui nécessiterait un nouveau dimensionnement éthique de la conduite humaine.

Pouvons-nous oser de proposer une exigence d’inculturation ou de valorisation des dévalorisés pour favoriser la récréation de la citoyenneté entre des valeurs qui s’estiment inégales, celles du possédant et celles du démuni, celles du connaisseur et celles du mal informé, celles du sécurisé par l’autocontrôle ou par le contrôle social en sa faveur et celles de l’insécurisé par l’instabilité de son existence ?

Voilà le type de questionnements que j’ai voulu aborder avec vous aujourd’hui dans une tentative, presque désillusionné, de retrouver le goût de la recherche pour une meilleure qualité de vie demain,  a travers la résistance éthique à notre barbarie humaine revenante, à partir d’une culture psychique de l’altérité qui permettra de redéployer l’éthique dans un espace d’inculturation.

Partant de ces considérations, le but de cette rencontre serait d’assurer les plus grandes chances possibles à la mise en place de stratégies d’action éducative et socio-politique qui associent la vision globale que je viens d’infléchir avec les activités particulières qu'elles auront à mettre en œuvre. Ces stratégies devraient permettre ainsi  de promouvoir la sécurité et la stabilité sur le double plan individuel et sociétal dans un cadre éthique, où le citoyen retrouvera la confiance et l’assurance dans ses liens sociaux, du lieu de la famille au lieu du travail et aux différents autres lieux de l’exercice de sa vie sociale, et surtout ceux parmi eux qui sont supposés lui assurer le regain de sécurité, je veux dire par-là les lieux de l’éducation et de l’information du niveau local au niveau mondial.

Le choix du Liban pour tenir ce séminaire à ce moment crucial de l’histoire de l’humanité en général, et du Moyen-Orient en particulier, où la recherche d’une plus grande démocratie s’effectue avec des procédures peu démocratiques qui nous ont ramené à la guerre, d’une part et au terrorisme, d’autre part, est pour le moins un choix au hasard. Il a été opéré pour que la recherche en matière d’éthique et de citoyenneté trouve un lieu de réflexion à l’endroit le plus proche de la scène où se déroulent les évènements qui nous questionnent sur notre avenir en tant qu’humains à la recherche du sens de notre vie à travers le développement de notre altérité.

A la lumière de ce choix, les travaux du colloque porteront sur la question de savoir comment poser la question éthique à l’heure de la mondialisation sans précédent qui soumet les sociétés d’aujourd’hui à la double épreuve de la vitesse technologique s’intensifiant sans cesse et de fluidité des liens humains et des réseaux de communication.

Cela dit, je poserai trois questions dans ma conférence introductive :

  • Comment parier sur la mondialité et l’universalité sans tomber dans le piège d’une morale universelle mondialisée ?
  • Quels seraient les liens à développer entre les règles morales et la conduite éthique, en vue d’un renouveau moral aujourd’hui ?
  • Comment assurer les assises pour un débat éthique continuel dans les sociétés contemporaines ?

 

I- Comment poser la question éthique à l’heure de la mondialisation ?

Les sociétés contemporaines sont de plus en plus exposées à la vitesse, la vitesse de plus en plus accentuée du développement technologique. Cette vitesse se double en fait tous les ans et donne aux réseaux de communication mondialisés une force de croissance et de déploiement dans le temps et dans l’espace qui précarise les bases des structures d’échange et de communication, pour les moduler à la liquidité totale et pour les opposer davantage aux structures sociales et culturelles qui sont plus lentes dans leur dynamique de mouvement.

Dans ce contexte, poser la question éthique est une façon de parier sur notre capacité de vivre notre humanité sur une échelle mondiale. C’est un pari sur notre mondialité ou un pari sur le monde.

Ce pari est, pour moi, l’occasion favorite pour défendre l’utilité du débat éthique objet de ce colloque, débat que nous avons voulu déclencher pour nous acheminer le plus sûrement possible vers la découverte de notre propre nature, découverte qui ne peut que nous extirper de la nature de nos conditionnements biologiques et socioculturels prévalents.

Ce pari devrait donc nous engager à approcher notre être, comme étant plus lointain dans ce qu’il deviendra de ce qui le définit dans ce qu’il est, à travers son existence concrète.

Par cette approche, nous aurions, en fait, à parier sur l’être comme étant une concrétisation humaine spécifique et singulière du monde en création continuelle.  Le pari sur le monde se présenterait à nous, dans cette configuration, comme étant un pari sur l’être, l’être en soi, qui est à la fois un être singulier et un être réunissant en lui tous les caractères de l’humanité.

Il nous ferait mieux comprendre le vrai sens de l’égalité humaine, qui se retrouve du côté de notre attitude d’humanité, davantage que du côté de notre constitution physique, psychologique ou sociale.

L’égalité n’a, en fait, aucun fondement naturel, car il n’existe pas d’individus qui soient totalement semblables les uns aux autres. C’est, par conséquent, seulement par notre attitude d’égalité, basée sur ce pari, que nous arriverons à communiquer ensemble, par delà nos différences.  C’est aussi par cette attitude que nous parviendrons à compatir avec les souffrances des autres, au-delà de l’espace de nos sensations directes, et à les aimer malgré nos tendances égoïstes.

Parier sur le monde nous engage, de ce fait, sur le chemin de notre humanité, en nous ouvrant sur l’effort nécessaire que nous aurions à mener, pour découvrir en nous l’attitude d’égalité qui nous réunit dans la différence. 

Ce pari nous réveille, du même coup, sur les épreuves auxquelles nous devrions consentir, au travers de nos liens à nous-mêmes, aux autres, et de là au monde, pour éviter de nous projeter égoïstement dans ce qui nous entoure, et pour nous empêcher de le conquérir et de l’asservir.  Il nous aide en cela à nous laisser pénétrer par le monde, en vue de le reconnaître et de nous reconnaître en lui.

Là-dessus, laissez-moi supposer, que c’est peut-être la projection comme mécanisme de défense, relevé en psychanalyse, qui nous réveille sur notre mondialité. 

En effet, le fait que nous ayons tendance à nous projeter dans le monde qui nous entoure, et à lui faire attribuer les maux qui nous déchirent et que nous voudrions éviter d’éprouver, à chaque fois que nous nous sentons menacés dans notre être, nous éveille paradoxalement sur les supports qui nous auraient manqués de la part de notre entourage pour nous réaliser selon notre promesse d’être.

Le pari sur le monde nous engage, par conséquent, à nous donner les supports nécessaires les uns aux autres pour pouvoir réparer notre tendance primaire à nous menacer, à partir de la projection de nos angoisses les uns sur les autres, tendance qui risque de s’accentuer, à mesure que monte en nous la dose de nos peurs réciproques.

Partant de là, ce pari devient un pari sur notre altérité ou sur notre capacité d’arrêter la guerre de projection, et d’aspirer au contact avec la différence, pour pouvoir nous reconnaître dans notre différence.

Par ce pari, le monde cessera d’être cette entité homogénéisée qui nous appelle à fusionner en elle, et qui nous menacera du pire, au cas où nous refuserions de le faire.  Il se transformera en un espace de contact entre les différents, les amenant à se reconnaître dans leurs différences, et à y découvrir leur unité universelle.

De ce point de vue, le pari sur le monde, c’est le pari fait par Joseph, fils de Jacob, pour pouvoir transpercer le rideau de la différence pharaonique, et pour apprendre au peuple d’Egypte le sens de la maîtrise des ressources de la vie durant les temps difficiles qui les attendaient.

C’est aussi le pari fait par le Christ, pour pouvoir briser les tabous et interdits judaïques, et pour réussir à entrer en contact avec la Samaritaine sur le puits de Jacob. 

C’est pareillement, sur la base de ce pari, que le Christ a réussi à dialoguer avec la Cananéenne sur la terre païenne de la Phénicie, et à convertir la pécheresse Marie Magdeleine sur la terre de Galilée.

C’est par ce pari, enfin, que le Christ a pu transformer le centurion romain, son tortionnaire en chef, à l’endroit même de sa crucifixion, en lui faisant découvrir sa propre vocation, qui est celle d’être lui-même le premier chrétien.

Cela dit, j’aimerais avancer quelques pistes de réflexion qui peuvent alimenter les analyses qui suivront, et qui serviront à défendre ce pari et à le faire relier à la recherche du sens sur la voie du débat éthique.

Ces pistes de réflexion se présentent sous une forme interrogative, comme suit :

Que signifie le monde en dehors des liens qui tissent le réseau de l’existence humaine commune entre le « je », le « tu », et le « il », se constituant en son sein en termes de « moi », « toi », et « lui » ?

Que signifie le « nous » composé par le moi et le toi uniquement au sein de cette triptyque, sinon la provocation d’une scission symbolique entre les éléments constitutifs du monde, pour protéger le rapport qui unit le « je » au « tu », de l’inconnu et de l’étranger, représenté par « lui », l’autre ou le «il».

Le «nous», ne serait-il pas, au sein de cette configuration, une façon de dissocier ceux qui sont impliqués ensemble dans un cercle de solidarité directe, de ceux qui ne le sont pas, et qui deviennent ainsi les autres ou ceux qui menacent l’existence commune ?

Et cette dissociation ainsi instituée entre le «nous» et les «autres», ne conduirait-elle pas, par voie de conséquence, au détournement du sens du monde au sein de l’être, en tant qu’entité psychique et sociale vécue, jusqu’à n’y voir que la cristallisation de l’image des autres qui le menacent ?

 

Sur la base de ces réflexions, le pari sur le monde, ne serait-il pas la porte de sortie de cette dernière cristallisation, en invoquant la finalité éthique comme un non-lieu, où l’humanité s’accommoderait de ses introjections davantage que de ses projections ?

Suite à ces interrogations, le débat éthique auquel nous sommes invités nécessiterait de la part de chacun de nous d’encourir la dure épreuve d’analyse de ses projections, pour arriver à défoncer le carcan des «nous», constitués en lui, sous forme d’alliances claniques de nature culturelle, morale, sociale, religieuse, idéologique, etc.…, en vue de se défendre des autres.

Il en faudrait pour cela, emprunter la voie du silence, c’est-à-dire la voie où chacun aura à faire taire le bruit de ses alliances défensives, en vue de découvrir l’alliance faite par le créateur, Dieu, et qui le joint aux autres, au sein d’une même promesse d’amour, qui est à l’origine de sa mondialité.

Là-dessus, permettez-moi, de défendre un point de vue qui me mettrait en désaccord avec la littérature mondialiste telle que promue par la pensée moderne, et telle qu’adoptée par les Organisations Internationales ainsi que par les Organisations Communautaires interétatiques ou même étatiques.

Permettez-moi donc de m’opposer à cette littérature qui se réfère au monde comme une entité globale, qui intègre au sein d’une dynamique évolutive les individus et les groupes, les cultures et les sociétés, selon les exigences du modèle rationnel et technicien mis en œuvre par la pensée occidentale, et finalisé par l’idée de développement de la condition humaine.

Permettez-moi surtout de débarrasser l’idée de mondialité de celle de la technologie de communication, couronnée par le culte de l’individu branché sur les systèmes d’information, qui véhiculent à une échelle mondiale les standards de l’efficacité et de la réussite, ainsi que ceux des droits de l’homme, en les consacrant comme des fins en soi, et comme des aboutissements sûrs à notre humanité.

Si j’implore ainsi votre permission, c’est parce que je me rends compte, qu’en m’emportant contre l’idée d’évolution et de développement de la condition humaine centrée sur l’intégration des différences, à partir de principes moraux communs à tous les systèmes, telle que prônée par la modernité, je ne peux que perturber, par le fait même, les fondements axiologiques universels des droits de l’homme.

Je me rends compte pareillement, qu’en essayant de dégager ces fondements de l’envoûtement du culte de la modernité qui s’érige en système moral ou en une « morale maximale »[2], selon la terminologie de Michael Walzer, tendant à s’affirmer comme étant supérieure à toutes les autres morales, je ne peux que m’attirer la foudre d’un grand nombre des défenseurs des droits de l’homme, dans la foulée de la confusion présente entre globalisation, mondialité et universalité.

En effet, ces derniers qui sont devenus en fait des défenseurs de la globalisation sous le couvert des droits humains, en faisant totalement fi de la confusion susmentionnée, en sont arrivés jusqu’à légitimer la guerre, sous l’emblème de la «guerre juste»[3].  Ils cherchent, à travers cette légitimation, à protéger le noyau «principiel» fondamental ou la « morale minimale », toujours selon la terminologie de Michael Walzer, qui sous-tend la culture des droits de l’homme qu’ils prêchent.  Ils visent en cela à faire valoir ce noyau «principiel», comme étant universel et partagé par tous les systèmes moraux.

Ils tombent, de ce fait, dans le piège culturel de la modernité, où la rationalité et la libéralité se mêlent au sein du principe moral selon lequel tout est permis à condition de ne pas tuer, voler, mentir, etc.…

Partant de là, ces défenseurs s’engagent, par tous les moyens, à faire intégrer ensemble tous les systèmes moraux au sein d’une «morale maximale» unifiée, à partir d’une «morale minimale» commune, ou d’un noyau de principes centraux naturels et rationnels partagés par tous.

 

Ils cherchent, de ce fait, à créer un climat favorable au développement des embryons de cette morale minimale, partout dans le monde, au sein des morales concrètes des peuples, dans leur complexité, selon les expressions culturelles véhiculées par la modernité dans ses versions occidentales originales.

Face à ces tendances d’unification du monde, à partir d’un noyau simple d’idées centrales, je voudrais que nous nous aidions à développer notre pari sur le monde, comme un pari sur les négociations individuelles et collectives qu’on doit apprendre à faire mener entre les gens qui appartiennent à des systèmes moraux différents.

Je voudrais, surtout, que nous puissions arriver à faire de ce pari une force de médiation ordonnée à porter ces gens, dans leurs négociations, à sortir de leurs propres frontières, pour découvrir leur moralité commune dans l’écoute valorisante à laquelle ces systèmes les invitent, davantage que dans les conduites standardisées que ces derniers défendent, en les infiltrant jusqu’à dans leur profondeur abyssale.

Je voudrais, en tout cela, que nous puissions découvrir, à partir de notre débat éthique, que ce pari sur le monde n’est pas un pari sur un monde mais un enjeu portant sur des mondes, et que ce pari n’est pas sous-tendu par la recherche du sens sur la voie d’une vérité unique, mais aspire à la vérité à travers un regard croisé sur des vérités qui se cherchent dans leur identité complexe et multiple, comme expression de leur authenticité.

Partant de là, poser la question éthique comme un pari sur notre mondialité serait une façon de mettre notre mise, non sur ce que nous partageons ensemble en traversant les sociétés et les nations, mais plutôt sur ce que nous ne partageons pas ensemble.  Ce n’est donc plus un pari sur une «morale minimale» commune qui est « élaborée différemment par différents peuples »[4], et qui ressort à travers les méandres des morales historiques concrètes que Walzer appelle «morales maximales».

C’est un pari sur les «morales maximales» elles-mêmes, quand elles deviennent capables de se regarder, de dialoguer entre elles à égalité, et de se dépasser en tant qu’entités normatives, pour redevenir historicités particulières de la recherche de notre humanité, sur des voies sociales et culturelles différentes.

Sur la base de ce pari, nous devrions rechercher à faire se regarder les morales différentes les unes les autres, et à les faire dialoguer ensemble en les amenant à se dépasser dans leur normativité.

 

II- Quelle éthique pour un renouveau moral ? (moral et éthique)

Il s’agira là de la recherche du cheminement qui nous apprendra, non seulement à ne pas tuer, mais aussi à aimer la vie en luttant contre les raisons de l’agressivité et de l’hostilité en soi-même et en dehors de soi-même. Je désignerai, à cet effet, ce cheminement par la démarche éthique, ou la recherche du passage de ce qui est saisissable objectivement à ce qui ne l’est pas encore ou qui ne le sera peut-être pas, et qu’on ne connaîtra dans sa vérité que dans le paysage qui nous renvoie à la vision qu’on a de notre valeur humaine.

Cette valeur serait à rechercher, dans ce sens, dans l’art de l’artiste avant son tableau, sa sculpture, sa fresque ou son poème. Elle serait, aussi, à puiser dans l’énergie qui cherche à s’exprimer dans les attitudes avant de devenir comportement ou acte propre. Elle serait, enfin, à capter dans l’intention du dire avant le dire, dans le dire qui doute de ses paroles et dans les paroles qui acceptent leurs manques et limites avant de devenir conviction.

Cependant, et pour pouvoir connaître cette valeur, il faudrait peut-être se fier à l’esprit en nous, à l’ange qui nous annonce notre vrai chemin et qui s’en va.

Cette image de l’esprit (l’ange en nous), nous montre les limites de la pensée en matière de recherche éthique objective, recherche qui se doit de proposer des hypothèse, de tirer des conclusions et de soumettre son analyse à l’avération scientifique.

L’ange, ou l’esprit qui nous annonce la bonne nouvelle, serait ainsi ce qui est derrière la science et non devant. Il existerait avant et après l’événement, et non dans son déroulement historique. Il résiderait dans le souffle stimulateur de la recherche, et non dans ses mécanismes. Il resterait enfin dans ce qui demeurerait caché à la recherche après la recherche, et non dans ses résultats.

L’esprit nous achemine ainsi vers notre vérité parce qu’il n’existe pas dans notre réalité sensible. Il est au-delà de cette réalité. Il est dans notre recherche d’authenticité. Il est l’insaisissable dans le saisissable. Il est porteur de sens, mais le sens qu’il porte et qu’il transmet appartient à sa vérité et n’est saisissable par nous qu’en nous référant à elle.

Pour illustrer mon propos, je vous renvoie à l’abbé Pierre dans «Mémoire d’un croyant»[5], où il définit sa croyance dans un espace de désillusion qu’il qualifie d’enthousiaste.

Je voudrais avoir moi-même cette espérance de l’abbé Pierre et vivre la désillusion enthousiaste, c’est-à-dire ne plus m’illusionner, et en même temps, croire en l’esprit et me fier à lui.

Je voudrais surtout que la valeur humaine que je convoite au sein de ma désillusion devienne plus qu’une recherche de ce qui est en dehors de moi-même et en moi-même. Je voudrais surtout qu’elle puisse transcender l’expérience du bien face au mal, pour devenir foi en l’esprit invisible, porteur du message de ma valeur humaine se dévoilant à travers ma valorisation des autres.

Si j’appelle à la transcendance dans la recherche éthique, c’est parce que je crois que l’homme devra toujours dans cette recherche dépasser l’espace normatif de la valeur qui le définit dans sa condition de vie objective et qui limite sa marge de manœuvre dans ses tentatives d’exprimer son amour.

L’homme apprendra, de la sorte, à apprécier la mesure de son amour au-delà de l’obéissance à un interdit, car obéir à l’amour, c’est obéir à sa volonté ultime de déplacement des lieux de son égoïsme à ceux de son altérité, pour s’élever vers les origines de la vie et de la création.

 

Cependant, ce déplacement du centre d’intérêt de l’homme, des lieux de son égoïsme aux espaces de son altérité, ne peut se faire sans son engagement vers ce qui n’est pas encore, jusqu'à sa désimplication totale par rapport à ce qui est. Obéir deviendrait, dans ce sens, s’engager, pour la vie à la limite de la vie. C’est aussi, s’effacer pour qu’apparaisse ce qui est effacé par la prépondérance de notre égoïsme. A travers cet effacement, le regard de l’homme ira à la rencontre de la valeur humaine, sa valeur qui transforme en lui toutes les perspectives de sa vie : son désir d’avoir en don d’être ; sa peur de la mort en attente de l’instant du passage de la réalité à la vérité ; sa jalousie de l’autre en envie de l’autre dans sa différence le fondant dans sa valeur.

Ne pourrions-nous pas dire, à partir de là, que l’absolu que nous voudrions atteindre (Dieu), n’est autre que celui que nous découvririons en nous-mêmes au travers de notre recherche éthique sur le chemin de notre effacement ? La perspective humaine éclairée par notre effacement ne serait-elle pas à rechercher dans notre questionnement éthique davantage que dans l’absolu qui s’impose à nous de l’extérieur ? 

Ces interrogations soulèvent en fait la problématique du lien entre morale et éthique. Et l’on pourrait se demander si ces dernières ne se rapportaient pas, l’une à l’autre, comme la réponse se soucierait de la question.

Là dessus, et pour éclairer la nature de ce lien, j’aimerais poser la série de questions suivants : La morale ne serait-elle pas la réponse en terme de conduite à respecter, qui statue sur l’état des choses, là ou l’éthique reste une question qui s’interroge sur le sens des choses dans leur état réel, le plus proche de leur vérité ? Ne peut-on pas dire ainsi que la morale est la définition d’état de ce qu’on doit observer, et que l’éthique est l’orientation dynamique de notre recherche du sens de notre humanité, c’est-à-dire la loi qui nous gouverne réellement de tout temps et pour tout les temps ? Dans ce sens, l’éthique ne serait-elle pas la recréation continuelle de la loi dans un acte de foi ?

Partant de là, le questionnement réel au sujet du rapport entre la morale et l’éthique se réduirait, à mon sens, à se demander si la valeur d’état, ou la morale définie dans les normes et dans les mœurs, était autre chose que l’état limite inférieur ou le point de départ à partir duquel la recherche éthique commencerait.

Et à la lumière de ce questionnement, la valeur humaine se dessinerait à travers les sens retrouvés de l’universel se découvrant à l’homme qui les recherche dans une épreuve éthique.

Il en serait ainsi, parce que dans cette épreuve on ne se soumettrait plus à l’état des choses telles qu’elles sont définies, mais on obéirait aux sens retrouvés sur la voie de son exploration des moyens les plus appropriés pour vivre son altérité et pour valoriser la vie en soi et dans le monde.

Mais reste que pour savoir, comment cette recherche du sens, entre morale et éthique, va-t-elle se produire, et comment la valeur humaine va-t-elle émerger au sein de cette recherche, on devrait appuyer l’hypothèse selon laquelle l’absolu objet de cette quête de sens, naît en soi quand il naît en nous. On aurait ainsi à défendre le paradoxe de cet absolu qui, bien qu’il soit avant nous, il ne peut exister concrètement qu’à travers sa prise de forme significative pour nous. Ceci veut dire tout simplement, que c’est à travers la signification que l’absolu prend dans notre acte de reconnaissance de sa présence en nous et en les autres, qu’il commence à exister réellement, pour nous et pour les autres.

La reconnaissance de l’absolu en toute personne humaine préfigure, dans ce sens, l’acte de son existence au fondement même de la valeur humaine. On découvrirait surtout qu’il n’existerait pas de valeur humaine sans la reconnaissance de l’homme par l’homme comme absolu. La reconnaissance de l’absolu constitue, de ce fait, le début du chemin vers l’éthique début à travers lequel l’absolu commence à exister en soi.

A travers cette reconnaissance, l’homme découvrirait son appartenance à cet absolu. Les reconnaissances particulières et spécifiques de l’absolu, dans des actes éthiques appropriés, composeraient de ce fait, les multiples facettes de ce dernier. Elles feraient preuve de son existence en soi, existence qui recouvre toutes les expressions qui cherchent à l’incarner en restant égales à elles-mêmes.

Si nous transposions cette dynamique de l’absolu sur le plan de la loi normative, véhiculée dans la morale, nous constaterions que cette dernière ne peut exister en soi que quand elle existe par l’homme, en l’homme et pour l’homme. Il faut donc qu’elle se transfigure et qu’elle devienne vie, pour s’incarner dans l’homme selon les formes qui lui sont signifiantes, tout en tendant vers l’absolu au-delà de toutes ses expressions conjoncturelles.

La valeur de l’homme s’acquierrait, de la sorte, à travers les efforts qu’il déploierait pour recevoir l’incarnation spécifique de l’absolu en lui. A travers ces efforts, l’homme se produirait lui-même dans un acte de reconnaissance et d’amour vis-à-vis de son prochain, ami ou ennemi. En le faisant, il s’acquitterait de l’obligation morale qui lui incombe sur une voie de recherche de sens et d’élévation vers Dieu. C’est donc l’homme lui-même qui produirait sa valeur à travers sa reconnaissance de l’absolu en lui et en tout homme, reconnaissance qui permettrait à ce dernier de s’incarner en lui.

Partant de ces réflexions, nous comprendrons pourquoi ce qui existe pour lui ne pourra découvrir son existence en soi qu’à partir de ses existences circonstancielles respectives. Nous comprendrons aussi pourquoi, suite à cela, il n’y aura plus de soumission ou d’obligation d’obéissance sommaire à un ordre moral qui vaille, car il ni restera que la vie qui engendrera la vie. En se consumant, de la sorte, pour la vie, on la retrouvera dans sa nature propre, qui est don d’amour et de joie à l’infini.

En nous basant sur cette analyse, nous découvrirons pourquoi l’éthique et la morale se doivent de dialoguer continuellement en s’appuyant l’une sur l’autre. Dans ce face-à-face, l’homme, en menant sa recherche éthique, ne peut pas se suffire de regarder les règles de bonne conduite, dans le sens de leur observance. Il se doit de les observer, comme un point de départ, ou comme une limite inférieure à ne pas trangresser. Il devra, en plus, dépasser cette limite, sinon, l’éthique perdra sa raison d’être comme questionnement perpétuel portant sur la formalisation de l’obligation morale, obligation qu’il aura à réincarner dans des actes de vie spécifiques.

Ne pas tuer se transformera, dans ce sens, en un effort qu’on devra déployer pour protéger la vie. Ne pas mentir retrouvera aussi ses résonances premières comme recherche de la transparence dans la communication avec l’autre et sa reconnaissance à valeur égale.

L’éthique n’est donc pas la même chose que la morale, ni son contraire. C’est la nature paradoxale de la morale. C’est ce qu’elle ne dit pas. C’est l’esprit du dire que la parole n’exprime pas.

Comment allons-nous pouvoir effectuer toutes ces transformations, sans notre regard reconnaissant de l’absolu humain en tout homme, regard qui nous aidera à tracer les perspectives de l’absolu et à planifier l’avènement de notre impossible altérité sur les routes de notre esprit ?

Comment allons-nous supporter de vivre le paradoxe de la morale sans accepter d’habiter dans les paysages de notre cœur battant au rythme de l’élan de notre imagination nourrie par notre regard dans son voyage vers l’absolu, au delà de ses expressions conjoncturelles.

Voilà la double question que l’on aura à élucider dans les travaux de ce colloque et que l’on devra laisser ouverte pour les observations qui vont suivre.

Cette double question nous orientera de la façon dans nos débats sur le comment faire pour pouvoir dépasser notre adhésion à un état de droit, où on s’interdirait de nuire à soi-même, à l’autre et à la collectivité, et où on réclamerait des services et des garanties. Elle nous permettra de rechercher les moyens les plus sûrs pour pouvoir remonter ensuite à notre engagement d’amour qui serait susceptible de nous aider à rechercher la vérité dans notre vision positive de la vie, où l’autre comme absolu nous orienterait dans nos choix éthiques ?

 

Conclusion

A ces débuts du 21ème siècle, et dans la foulée de la vitesse du mouvement de la vie, au sein de laquelle nous sommes assignés à agir et à réagir,  nous pouvons de plus en plus dire que nous ne savons pas, sans être taxés d’ignorants.

Je vais, dans ce qui suit, recommander à l’assemblée réunie à l’occasion de ce colloque et au lecteur, de me suivre sur l’axe de recherche du savoir qui n’est pas encore, plutôt que sur celui du savoir qui a fait ses preuves et qui est reconnu. Cette recommandation se justifierait par le fait que, sur cet axe, on ne peut plus facilement se hasarder à dire qu’on sait comment aller du négatif au positif, de l’interdit à l’amour, et de la valeur établie à la valorisation. On doit, par contre, oser dire qu’on ne sait pas encore, mais qu’on va essayer d’en savoir davantage à partir de son engagement positif et sa foi en l’homme.

La problématique que soulève ce type de recherche reviendrait à oser s’interroger sur les défis de l’éthique dans son rapport à la foi. Je poserai à cet effet les deux questions suivantes :

Comment se fier à ce qu’on ne sait pas, ou à ce qu’on n’a pas fait encore ?

Comment s’orienter vers l’invisible qui ordonnerait l’événement, en ce temps de vitesse et de liquidité, dans l’absence d’un terrain battu, un semblant de trace, aussi vague soit-il, qui dissiperait quelque peu notre angoisse ?

Je me rends compte, devant ces questions, que je ne peux les poser sans la foi,  la foi en Dieu, et ou la foi en l’humanité de l’homme, car c’est avec cette foi seulement qu’on arrivera à accepter, sans chercher à le comprendre, pourquoi les incarnations particulières de l’absolu ne sauront jamais l’épuiser.

Avec cette même foi, on arrivera pareillement à se convaincre du fait que, si l’absolu qu’on recherche n’est pas dans ce qu’on a trouvé, c’est parce qu’on doit le chercher continuellement avant l’évènement et après l’évènement. Avec la foi, on arrivera à saisir, ou plutôt à intracepter, pourquoi, pour pouvoir chercher l’absolu, il faut commencer tout d’abord par ne pas le dénier ou l’annuler dans sa possibilité d’être ou encore chercher à se l’approprier, et il faut, ensuite, s’arrêter de tuer, de mentir, de voler, etc..

Il faut donc cesser de contrevenir à l’ordre de la vie, qu’elle soit individuelle ou collective, pour arriver à comprendre la raison pour laquelle il est nécessaire de s’engager sur le chemin de la recherche des voies à emprunter en vue de réussir à maintenir la vie, et à s’employer à lui donner de soi-même plus qu’à penser à prendre d’elle.

Il faut surtout rester en recherche, et se convaincre du fait qu’il n’y a jamais d’arrivée en matière de recherche, parce que, quand on trouve, il n’y aura plus rien à rechercher.

Cela dit, nous pouvons nous demander sur ce que veut dire arriver en matière de recherche. Est-ce que, arriver dans une recherche veut dire arriver à trouver, ou bien, arriver à cheminer vers le lieu où le point d’arrivée et le point de départ se rejoignent ?

Nous pouvons nous demander aussi, si à ce dernier lieu, le point de départ de la recherche, ne doit pas rester questionnement sur lui-même et sur son contact possible avec le point d’arrivée.

Nous pouvons nous demander enfin s’il ne fallait pas que ce départ se transforme en lui-même, et qu’il ne soit plus, a chaque fois, le même départ, mais un départ différent,  un départ qui crée en lui son propre enthousiasme et sa propre désillusion ?

Cela nous conduirait de nouveau à nous questionner, s’il ne fallait pas cheminer dans la recherche, avec la conviction ferme, que trouver c’est avancer davantage vers ce qui n’est pas encore, et qu’avancer vers ce qui n’est pas encore, constitue, lui-même, l’objet de ce que nous voulons faire exister sans pouvoir l’épuiser dans l’avènement de son existence ?

 

Voilà la question qui doit nous orienter dans notre démarche éthique vers la valeur, notre valeur humaine, à ces grands moments de vitesse et de liquidité que nous vivons et de cristallisations socioculturelles qui en découlent dans nos sociétés d’aujourd’hui.

Pour être plus concret, je déclinerais cette question selon trois séquences, comme suit :

        Comment rechercher la loi plus loin que la loi positive ?

        Comment s’engager dans la foi aux confins de toute croyance ?

        Comment redéfinir l’espoir dans l’espérance du contact avec l’insaisissable et l’intangible ?

 

Ces sous-questions définissent pour moi les champs de recherche et d’action en matière de conduite éthique, champs qui soustendent les démarches à suivre pour pouvoir opérer les transformations nécessaires au sens normatif de nos conduites et jugements.

Elles nous aideront ainsi à échapper et à la tendance que nous avons de nous défendre derrière le rideau de nos normes érigées en valeurs absolues et indépassables, face à la vitesse du changement, et à la liquidité des liens sociaux qui perturbent la stabilité des sociétés à l’heure actuelle.

 

* Ce texte se base sur de larges extraits de mes deux livres: Le Silence gestuelle de la vie, sous presse à Dar An-Nahar, et Le Regard dialogue du sujet, Dar An-Nahar, 2003.

 

1 Hugo, Victor, Les chants du crepuscule, (1835), Paris, Ed Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t1, 1964, p.811 et 838.

2 Derrida, Jacques et Roudinesco, Elizabeth, De quoi demain… Dialogue, Ed Fayard/ Galilée, 2001.

3Touraine, Alain,  Pourrons-nous vivre ensemble égaux et différents, Fayard, 1998

[2]WALZER, Michael, Morale maximale, morale minimale, Bayard, 2004. 

[3] WALZER, Michael,  Guerres justes et injustes, Belin, 1999.

[4] Walzer, Michael,  politique et morale peuvent-elles faire bon ménage ? Voir propos recueillis par Catherine Holpern et Martha Zuber, revue Sciences Humaines, no  157, février 2005.

[5] Abbé Pierre, Mémoire d’un croyant, Fayard, Paris, 1997.

العولمة، سرعة وتراخي المجتمعات في مواجهة الترسيخات الإجتماعية الثقافية أية أخلاقية؟

كيف سيكون الغد؟...

بالفعل، إذا كنا ننظر من جهة أدوات التنبؤ، نلاحظ أن المخاوف من المخاطر التي يخبئها لنا الغد، تطغى على الفرص التي يمكن أن يحملها لنا الأمل.

كيف سنعيش معاً في المستقبل؟ وبشكل آخر، كيف سنعمل منذ اليوم لبناء مذاق العيش سويّة وان يحارب كل منا، من جهته مخاطر تدهور نوعية حياتنا الفردية والجماعية المستقبلية؟

لقد أراد الباحث من خلال هذه الدراسة، وفي محاولة شبه خائبة للظن، أن يجد الوسيلة الملائمة لنوعية الحياة المستقبلية.

انطلاقاً من هذه الاعتبارات، إن هدف هذه الدراسة هو تأمين أكبر قدر ممكن من الفرص لوضع استراتيجيات تثقيفية واجتماعية – سياسية، تجمع الرؤية العامة مع النشاطات الخاصة.

إن اختيار لبنان في هذه اللحظة الدقيقة من تاريخ البشرية بشكل عام، والشرق الأوسط بشكل خاص، حيث أن البحث عن ديمقراطية أكبر – يتم عن طريق إجراءات غير ديمقراطية علمتنا إياها الحرب من جهة والإرهاب من جهة أخرى، هو خيار عشوائيّ.

في ضوء هذا الخيار، تقوم هذه الدراسة على كيفية طرح القضية الأخلاقية في ظل العولمة التي لا سابقة لها والتي تخضع مجتمعات اليوم إلى الاختبار المزدوج لسرعة التكنولوجيا التي تزداد دون توقف، وتراخي الصلات الإنسانية وشبكات التواصل.